La technologie suisse à la recherche des origines de l'Univers
En janvier 2022, la Suisse a officiellement rejoint le Square Kilometer Array Observatory (SKAO), une organisation internationale qui construit le plus grand radiotélescope du monde dont la mission sera de percer certains des plus grands mystères de l’Univers.
Des centaines d’antennes paraboliques sont en cours d’installation en Afrique du Sud dans la gamme des moyennes fréquences et seront opérationnelles d’ici la fin de la décennie, tandis que plus de 130 000 antennes à basse fréquence seront érigées en Australie. Cette installation de radioastronomie de nouvelle génération remontera jusqu’à l’aube cosmique, à l’ère de la formation des toutes premières étoiles et galaxies, et tentera de résoudre certaines questions scientifiques fondamentales de notre époque. Avec une phase opérationnelle qui devrait durer au moins 50 ans, elle sera l’un des instruments de physique les plus importants du XXIe siècle.
En tant que projet mondial de collaboration auquel participent actuellement 16 pays, le consortium suisse SKACH regroupe 10 institutions universitaires suisses qui travaillent sur cinq programmes majeurs: science, science des données, plateformes et infrastructures informatiques, instrumentation, et éducation et sensibilisation du public.
«Située au sein de l’organisation mondiale SKAO, la structure du consortium SKACH est unique», explique Carolyn Crichton, directrice du consortium SKACH. «Nous sommes une équipe multi-institutionnelle et interdisciplinaire et c’est en partie la raison pour laquelle nous avons tant contribué à l’effort mondial dans un laps de temps relativement court.»
La Suisse s’est engagée à hauteur de plus de 33 millions de francs suisses jusqu’en 2030 pour la construction et le fonctionnement initial du radiotélescope. Ce dernier recueillera des volumes de données sans précédent et mobilisera les superordinateurs les plus performants du marché pour les traiter presque en temps réel. Les chercheuses et chercheurs suisses joueront un rôle essentiel dans le traitement d’environ 650 pétaoctets par an dans des domaines tels que la cosmologie, l’énergie noire et l’astrobiologie.
La majeure partie de cette tâche se déroulera au Centre régional suisse SKAO pour la distribution et l’analyse des données du Swiss National Supercomputing Center (CSCS), qui fournira une infrastructure intégrée permettant l’accès aux données et aux outils d’analyse à la communauté internationale. Les informaticiennes et informaticiens du consortium SKACH travaillent directement avec les astrophysiciennes et astrophysiciens pour créer des simulations évolutives, de nouvelles techniques d’imagerie, une planification automatisée, des capacités d’éco-informatique et de calcul haute performance (HPC) en utilisant la recherche en intelligence artificielle et en apprentissage machine.
En effet, les scientifiques du consortium SKACH se sont récemment vu attribuer le plus grand nombre d’heures de nœuds sur le superordinateur européen LUMI-G pour réaliser une simulation sur le rôle des turbulences et de la gravité dans l’Univers. Cette expérience de simulation contribue au développement de codes de programmation, améliorés par des techniques HPC et d’apprentissage machine, pour traiter de grands flux de données tels que ceux qui seront collectés par le SKAO.
«Pour la Suisse, il est passionnant de participer à la plus grande initiative mondiale de radioastronomie à ce jour et de chercher des réponses à certains des plus grands mystères de l’astrophysique, notamment le modèle cosmologique, l’évolution des galaxies, le magnétisme cosmique et les origines de la vie, explique Jean-Paul Kneib, professeur à l’EPFL et délégué scientifique suisse au conseil SKAO. Nous utilisons des réseaux de télescopes beaucoup plus sensibles et jusqu’à 130 fois plus rapides que les meilleurs radiotélescopes actuels à des fréquences équivalentes.»
Pour le compte du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI), le consortium SKACH a déjà établi des partenariats avec des partenaires universitaires, industriels et techniques afin d’apporter une expertise dans le développement de récepteurs de pointe pour les antennes paraboliques, la synchronisation de précision, l’automatisation, le traitement des signaux et le big data.
En 2022, la société suisse Cosylab, l’un des principaux fournisseurs de systèmes de contrôle pour certains des projets les plus complexes au monde, notamment l’accélérateur de particules du CERN à Genève, a rejoint d’autres développeurs travaillant sur le logiciel de contrôle de gestion de l’Observatoire SKA.
Une autre réussite suisse est la livraison d’horloges atomiques ultramodernes fabriquées par la division neuchâteloise de Safran Electronics & Defense, anciennement l’Observatoire de Neuchâtel. Les réseaux de télescopes ont besoin d’horloges ultrastables appelées masers à hydrogène. Les temps que ces derniers produisent sont constamment comparés les uns aux autres pour identifier les défaillances et sont également comparés par satellite au temps UTC conservé par le Bureau international des poids et mesures.
Le SKAO a fait l’acquisition de quatre masers à hydrogène iM3000 SAFRAN Active. Ces masers haute performance intègrent des fonctionnalités intelligentes et ont une durée de vie opérationnelle de plus de 30 ans. Les horloges maser déployées depuis 1982 fonctionnent encore parfaitement aujourd’hui.
«Nous sommes très fiers de nos horloges et de notre partenariat avec le SKAO. Il y a plus de 40 ans, nos premiers clients travaillaient dans le domaine de la radioastronomie. La fabrication d’horloges pour cette application est l’un de nos principaux objectifs. C’est formidable de voir que nos horloges sont utilisées pour un projet aussi extraordinaire et que la Suisse est reconnue dans un domaine aussi technique et de haute précision», déclare Gilles Cibiel-Mahiout, chef de produit, département Science et Météorologie de Safran Electronics & Defense.
L’un d’entre eux sera déployé en Afrique du Sud et les trois autres seront expédiés en Australie. Les deux sites disposeront d’une salle dédiée aux masers.
«Du milieu universitaire au monde des affaires, le consortium SKACH veille à ce que la Suisse joue un rôle de premier plan dans ce projet international extraordinaire. Grâce à lui, l’EPFL contribue à créer un véritable centre national et multidisciplinaire pour la recherche spatiale. Je suis impatient de voir ce que nous réserve la prochaine décennie de ce projet, en particulier pour les jeunes scientifiques, car participer à l’Observatoire SKA nous offre l’opportunité d’accéder aux données exclusives du SKA et de travailler dans le cadre d’une véritable collaboration mondiale», conclut le professeur Kneib.
Comment l’EPFL participe à ce formidable projet mondial
Le Centre d’imagerie a travaillé au développement d’un nouvel algorithme d’imagerie pour la radioastronomie tandis que l’équipe de radioastronomie interdisciplinaire LASTRO/SCITAS mène un projet de recherche en cosmologie à 21 cm pour mettre au point de nouvelles techniques de réduction et d’analyse des données avec la nouvelle génération d’instruments de radioastronomie.
Les chercheuses et chercheurs de l’EPFL font partie d’une équipe de coconception SKA chargée de la conception matérielle du centre de traitement scientifique SKA. Cette équipe évalue les paires logicielles/matérielles idéales pour optimiser le débit de données, réduire la consommation d’énergie des flux de travail d’analyse des données du SKA et favoriser l’efficacité énergétique.
Récemment, des scientifiques des données SKACH, sous la houlette du Laboratoire d’Astrophysique (LASTRO) de l’EPFL, se sont classés dans le top 10 d’un concours mondial de science des données où ils ont analysé des données astronomiques simulées remontant à des milliards d’années à travers le temps cosmique. Ce concours faisait partie d’une série de tests visant à préparer la communauté de radioastronomie à traiter les vastes ensembles de données qui seront produites par le SKA-Low – le télescope situé à l’ouest de l’Australie – lorsque celui-ci sera opérationnel, ainsi qu’à évaluer les moyens les plus efficaces de les traiter.