Les aérosols peuvent-ils enrayer le réchauffement de la Terre?
Dans les discussions autour des solutions pour ralentir le changement climatique , la notion de géo-ingénierie, un terme générique qui désigne l’ensemble des techniques développées pour agir sur le système climatique, est fréquemment mentionnée. L’une de ces méthodes consiste par exemple à injecter des aérosols, qui sont de minuscules gouttelettes ou des particules solides, dans la stratosphère, cette couche atmosphérique située au-dessus d’une altitude d’environ15 kilomètres. Dans ce que l'on appelle la géo-ingénierie solaire, la lumière du soleil serait dispersée par les aérosols, ce qui pourrait refroidir la surface de la Terre. L’utilisation de cette méthode est toutefois controversée car les conséquences d’une telle intervention ne peuvent pas encore être estimées précisément.
Markus Ammann, l’idée d’injecter des aérosols dans la stratosphère pour stopper le changement climatique semble aventureuse. Un tel procédé peut-il vraiment fonctionner?
Il a été démontré que les éruptions volcaniques pouvaient refroidir la température globale. Les oxydes de soufre libérés dans l’atmosphère suite aux violentes éruptions sont responsables de ce phénomène. Des réactions chimiques produisent de minuscules gouttelettes qui réfléchissent une partie du rayonnement solaire incident et refroidissent ainsi la surface de la Terre. En 1991, l’éruption du volcan Pinatubo aux Philippines en 1991 avait induit l’année suivante une baisse de 0,5º C de la température globale. Mais cinq ans plus tard, cette dernière était déjà revenue à la normale.
Théoriquement, il serait donc possible d’acheminer des particules jusqu’à la stratosphère par avion, en ballon météorologique ou avec une fusée et d’endiguer ainsi le réchauffement de la Terre, du moins à court terme. En effet, comme l’a montré l’éruption du Mount Pinatubo, la température finirait par revenir à la normale et il faudrait constamment réacheminer des particules là-haut.
Si l’on a donc la preuve que cela fonctionne, pourquoi la discussion sur de telles méthodes suscite-t-elle sans cesse des critiques?
Les critiques sont principalement motivées par le fait que cette technologie inconnue comporte trop de risques, sans pour autant offrir de «vraie solution » pour le climat. Par ailleurs, on craint que le simple fait d’évoquer la possibilité d'une telle utilisation ne mette un terme aux s efforts visant à stopper les émissions de gaz à effet de serre. Certains pourraient dire, par exemple : «Pourquoi devrais-je renoncer à mon moteur à combustion? Puisque le climat peut être régulé par la géo-ingénierie...»
Quels sont les possibles risques de la géo-ingénierie solaire?
Les grandes inconnues constituent le principal problème. La stratosphère et son influence sur le climat sont extrêmement complexes. Si l’on fait tourner un seul rouage, même de manière minimale, cela peut déclencher une réaction en chaîne aux conséquences imprévisibles. La géo-ingénierie solaire pourrait par exemple influencer la mousson, cette circulation d’air à grande échelle dans les régions tropicales et subtropicales qui détermine, entre autres, les précipitations annuelles. L’alimentation de millions de personnes entre donc en jeu et une modification de ce système pourrait avoir des conséquences fatales. Le problème avec ce genre de théories est le fait qu’elles ne peuvent pas être démontrées, car elles reposent sur une très faible quantité de données. Les processus chimiques dans la stratosphère sont très difficiles à reproduire en laboratoire. De mauvaises conditions expérimentales pourraient induire des simulations encore plus imprécises et entraîner des prédictions qui peuvent tout aussi bien s’avérer fausses qu’exactes. L’influence des aérosols sur la couche d’ozone en est un exemple.
De quoi s’agit-il?
Jusqu’au milieu des années 1990, les émissions de chlorofluorocarbones (CFC), gaz utilisés comme réfrigérants, ont été massivement dispersées dans la stratosphère. Sous l’action du rayonnement UV, très agressif, les CFC sont dissociés et convertis en composés halogènes stables, comme l’acide chlorhydrique et le nitrate de chlore. Ces substances ont beau être stables en phase gazeuse, elles réagissent très rapidement à la surface des aérosols. C’est un phénomène connu de l’hiver polaire lors duquel de plus en plus nuages stratosphériques se forment au-dessus des pôles. En principe, ces nuages sont constitués d’un mélange d’eau, d’acide sulfurique et d’acide nitrique. En raison des températures glaciales, qui peuvent descendre jusqu’à moins 90 °C, ces composés ne sont pas gazeux, mais liquides, voire solides - ce sont donc des aérosols. Si de l’acide chlorhydrique et du nitrate de chlore entre en contact avec ces particules, ces deux composés peuvent interagir et entraîner la formation de chlore gazeux. Aussitôt que les premiers rayons de soleil apparaissent sur les pôles au printemps, la division photochimique libère des atomes de chlore, qui dégradent l’ozone. Ainsi, la couche qui nous protège des dangers du rayonnement UV est peu à peu détruite.
Cela signifie-t-il que le fait d’acheminer des aérosols artificiels dans la stratosphère pourrait accélérer la destruction de de la couche d’ozone?
C’est précisément là que réside le danger; si d’autres particules s’ajoutent aux particules naturellement présentes dans les nuages stratosphériques, la réaction s’accélérerait. Nous n’en sommes toutefois pas certains. Selon les propriétés chimiques des aérosols, les conséquences peuvent être différentes. Si l’on veut savoir comment ces particules réagissent une fois là-haut, il nous faut des données fiables et, malheureusement, nous ne les avons toujours pas. Pour une étude publiée en décembre 2023, nous avons modélisé l’évolution de la dégradation de la couche d’ozone en utilisant l’exemple des particules d’oxyde d’aluminium, qui ont un pouvoir de réflexion élevé et seraient donc particulièrement adaptées à la géo-ingénierie solaire. Nous avons cependant conclu que nous en savions beaucoup trop peu sur leur influence sur la couche d’ozone.
Cela ne semble pas être un résultat très fort.
Il s’agit pourtant d’une prise de conscience importante: nous avons urgemment besoin de données fiables. Pour notre simulation, nous n’avons pu nous appuyer que sur une seule expérience menée au PSI dans les années 1990, qui portait sur des particules d’oxyde d’aluminium dans la stratosphère. A l’époque, personne ne songeait à la géo-ingénierie solaire. Cette expérience portait sur la réactivité chimique des particules d’oxyde d’aluminium et de l’acide chlorhydrique, tous deux émis lors des lancements de fusées, au sein du panache de fumée produit dans la stratosphère. Il s’agissait évidemment de conditions différentes de celles régnant naturellement dans la stratosphère. Nous avons donc mis en place l’expérience en testant différentes conditions, et avons obtenu de fortes incertitudes dans nos résultats. En effet, : soit les effets de l’oxyde d’aluminium n’avaient aucun effet sur la couche d’ozone, soit ils accentuaient considérablement son appauvrissement, jusqu’à 30 % de plus qu’auparavant. Compte tenu de tels résultats, injecter de l’oxyde d’aluminium dans la stratosphère serait totalement irresponsable.
Que faudrait-il pour reproduire en laboratoire les conditions complexes qui règnent dans la stratosphère afin d’obtenir des données fiables?
C’est l’objectif que nous visons avec nos expériences actuelles et futures au PSI. A la Source de Lumière Suisse SLS, nous avons la possibilité de déterminer avec précision les propriétés de surface des aérosols et d’observer leur évolution dans le temps en nous servant de ce qu’on appelle la spectrométrie photoélectronique X. En d’autres termes, nous savons ce qu’il y a à la surface de l’aérosol et comment ces espèces y réagissent.. Ce faisant, nous pouvons ajouter tous les gaz résiduels stratosphériques que nous souhaitons tout en travaillant à la pression adéquate. Lors d’une première expérience, nous avons étudié l’influence de la calcite sur la couche d’ozone. La calcite est elle aussi un aérosol potentiellement candidat avec un pouvoir de réflexion élevé. D’autres expériences avec de l’aluminium ou du diamant sont planifiées.
Ne craignez-vous pas que vos recherches incitent à l’utilisation de la géo-ingénierie solaire?
Non, je ne crois pas que la recherche fondamentale ouvre ici la voie à une application. Avec nos recherches, nous fournissons les données dont nous avons urgemment besoin. A mes yeux, c’est là que réside ma tâche en tant que scientifique. Les expériences que nous avons menées jusque-là à la SLS indiquent clairement qu’il existe un risque considérable pour la couche d’ozone et donc pour notre santé à tous. C’est déjà un argument important contre son utilisation. S’ajoutent à cela d’autres risques comme celui de l’influence sur la mousson que j’ai déjà cité, ou d’autres dangers que nous n’avons peut-être même pas envisagés. Les interactions sont tellement complexes que nous ne serons probablement jamais assez confiants pour un jour envisager une application réelle de la géo-ingénierie.