Dépister plus précocement le cancer du sein
En matière de dépistage du cancer du sein, les femmes – et les médecins – peuvent espérer une nette amélioration. Conjointement avec l’Hôpital cantonal de Baden (KSB) et l’Hôpital universitaire de Zurich (USZ), une équipe de scientifiques de l’Institut Paul Scherrer PSI et de l’ETH Zurich a réussi à perfectionner la mammographie pour le dépistage précoce des tumeurs afin qu’elle fournisse des résultats beaucoup plus fiables, tout en étant plus agréable pour la patiente. En effet, les scientifiques ont amélioré la tomodensitométrie (CT-Scan) conventionnelle et, ce faisant, ils ont nettement amélioré la résolution des images moyennant la même dose de rayonnement. Cela permet d’identifier potentiellement plus rapidement les petits dépôts de calcium, appelés microcalcifications, qui peuvent être indicatifs de tumeurs du sein, et cela pourrait augmenter les chances de survie des femmes concernées. Les experts estiment que ce procédé fondé sur l’imagerie par rayons X à contraste de phase pourrait être rapidement mise en œuvre en milieu clinique. «Nous avons encore besoin d’un peu de temps, tempère Marco Stampanoni, chef du groupe de recherche au PSI et professeur d’imagerie par rayons X à l’ETH Zurich. Mais avec nos travaux, nous avons franchi une étape majeure sur la voie qui y mène.»
Des diagnostics plus précoces et de meilleurs traitements
En 2020, le cancer du sein a été le cancer le plus fréquemment diagnostiqué dans le monde, avec plus de 2 millions de cas. Chez les femmes, il représente 24,5 % des nouveaux cas de cancer et 15,5 % des décès liés au cancer. Dans de nombreux pays industrialisés, des programmes de dépistage par mammographie servent d’instruments de prévention et il a été démontré qu’ils abaissaient le taux de mortalité. Comme pour toutes les tumeurs, dans le cas du cancer du sein, plus le diagnostic est précoce et plus le traitement est adapté, plus les chances de survie sont élevées. Cependant, l’efficacité de la mammographie est controversée. Des études cas-témoin ont constaté que seulement 46 % des cas suspects découverts étaient bel et bien des cancers. Or une fausse alarme de ce genre entraîne un stress psychologique important chez les individus concernés, car il peut s’écouler deux à trois semaines avant que le résultat de la biopsie ne lève finalement l’alerte. Par ailleurs, la mammographie passe à côté de 22 % des cas réels: elle rassure donc les personnes concernées alors qu’elles sont malades. C’est encore plus grave, car cela fait perdre un temps précieux qui pourrait être dévolu au traitement.
La raison de ces défaillances réside dans le fait que, même pour des spécialistes, les clichés de mammographie sont difficiles à lire. Les tissus mous du sein n’offrent qu’un contraste limité lors de la radiographie. Par ailleurs, la structure interne complexe du sein reste souvent flou lors d’une radiographie en 2D. Enfin, pour être accessible à l’examen radiologique, le sein doit être fortement comprimé. Pour les femmes, c’est souvent désagréable, parfois douloureux, ce qui fait que certaines ne se font pas dépister.
Augmentation de la résolution jusqu'à 45 %
Avec l’imagerie par rayons X à contraste de phase, les scientifiques étoffent le diagnostic de la tumeur avec des informations physiques supplémentaires. Ils utilisent un phénomène physique présent lors de la réalisation de l’image qui n’est pas pris en compte lors de la radiographie conventionnelle. Il s’agit de signaux qui sont générés par la réfraction et la diffraction des rayons X lorsqu’ils atteignent les tissus biologiques. En effet, la lumière (les rayons X ne sont rien d’autre) est non seulement affaiblie lorsqu’elle passe à travers des structures de différente densité, mais elle est aussi réfractée et diffractée. Utiliser ces informations permet d’améliorer le contraste des images et leur résolution. Les plus petits objets sont alors plus facilement identifiables.
Les scientifiques utilisent une méthode bien connue dans le domaine des techniques d’imagerie par rayons X: l’interférométrie à réseaux basée sur des grilles (en anglais grating-interferometry ou GI). Avec cette technique, les rayons X ne traversent pas seulement l’objet étudié, mais aussi trois grilles avec un interligne de quelques micromètres, qui permettent de visualiser les informations supplémentaires. Le groupe de travail emmené par Marco Stampanoni a publié plusieurs images dans la revue spécialisée Optica, qui démontrent clairement les avantages de la tomodensitométrie par interférométrie à réseaux en matière de résolution et de contraste, comparé aux radiographies conventionnelles. La lumière de type rayons X nécessaire à cet effet peut être produite par une source de rayons X conventionnelles et correspond plus ou moins à la dose de rayonnement émise lors d’une mammographie conventionnelle. «Notre objectif est de réduire la dose de radiation d’un facteur deux à trois, tout en obtenant la même résolution, voire en augmentant celle-ci de 18 à 45 %, et ce toujours comparé à la radiographie conventionnelle», détaille Michał Rawlik, physicien, premier auteur de la publication et membre de l’équipe de recherche menée par Marco Stampanoni.
De nouvelles méthodes et plus de confort pour le dépistage
Sous réserve de l’autorisation de Swissmedic, les scientifiques prévoient de lancer des essais cliniques d’ici fin 2024, en collaboration avec leurs partenaires cliniques que sont l’USZ et le KSB. D’ici là, un prototype de l’appareil permettant de conduire les premiers examens sur des patientes devrait être opérationnel. Pour ces séries de tests, les scientifiques prévoient une durée de projet d’un à quatre ans, estime Marco Stampanoni. «Si tout se déroule comme prévu, les travaux de développement de l’appareil commercial et les études dans les cliniques sélectionnées pourraient alors démarrer», estime le chercheur.
Le nouveau dispositif devrait également améliorer le confort du dépistage. Il est conçu pour que la patiente puisse s’allonger à plat ventre sur une surface de repos avec des évidements au niveau des seins. En dessous, hors de portée de la patiente, se trouve le scanner, dont le dispositif de mesure tourne autour des seins et crée une image en 3D.
«L’imagerie par rayons X à contraste de phase permet de rendre visibles des détails fins des tissus, ajoute Rahel Kubik-Huch, directrice du Département Services médicaux au KSB et médecin-cheffe de la radiologie. Dans le cadre de ce projet translationnel, il s’agit de sonder le potentiel de cette technologie pour le dépistage du cancer du sein. Le KSB est très intéressé à faire avancer cette collaboration scientifique avec le PSI et l’ETH Zurich. Nous avons l’espoir que nos patientes puissent un jour profiter de ces progrès.»