Comment le Botox pénètre dans nos cellules
La toxine botulique A1, mieux connue sous le nom de marque Botox, n’est pas uniquement un adjuvant cosmétique populaire, mais aussi une puissante neurotoxine bactérienne qui, lorsqu’elle est soigneusement dosée, est utilisée comme médicament. Elle bloque la transmission du signal des nerfs aux muscles, ce qui relaxe les muscles sous la peau. Cet effet est exploité en cosmétique pour lisser les traits du visage. Mais il peut également soulager des affections dues à des muscles spasmodique ou à des signaux nerveux erronés, comme la spasticité, l’incontinence ou le strabisme. Toutefois, s’il est trop fortement dosé, le Botox peut être mortel, car il provoque la paralysie de la musculature respiratoire. Un phénomène qui se produit le plus souvent à la suite d’une intoxication bactérienne par la viande. On parle alors de «botulisme».
Pour pouvoir utiliser la toxine botulique comme médicament de manière aussi efficace que possible, contrôler précisément son effet et élargir ses possibilités d’utilisation, les scientifiques aimeraient mieux comprendre comment cette neurotoxine pénètre dans les cellules nerveuses pour déployer son effet. Mais, à ce jour, on en sait peu sur le sujet. «Cela vient principalement du fait que nous ne disposons pas encore de données structurelles sur la manière dont la toxine se présente sur toute sa longueur une fois qu’elle s’est liée au récepteur de la cellule nerveuse», explique Richard Kammerer du Centre des sciences de la vie au PSI. A ce jour, on ne dispose que d’études portant sur la structure de certains domaines de la toxine – c’est-à-dire de certaines parties de sa structure moléculaire complexe – et sur la structure de tels domaines en lien avec le récepteur ou avec l’un des domaines de ce dernier.
Des observations menées à moins 160 degrés Celsius
Pour changer la donne, Richard Kammerer et son équipe se sont associés avec le groupe de recherche de Volodymyr Korkhov. Ce dernier travaille dans le même laboratoire du PSI et est spécialisé dans l’élucidation structurale des protéines, en particulier des protéines membranaires. Dans le cadre de leur étude commune, ces scientifiques ont analysé, dans ce qu’on appelle un cryo-microscope électronique, des échantillons de la neurotoxine seule et avec le récepteur. Avec la cryo-microscopie électronique, les échantillons sont congelés à moins 160 degrés Celsius, ce qui empêche la formation de cristaux de glace. «De la sorte, l’échantillon conserve durablement sa structure et nous pouvons l’étudier en toute tranquillité», explique Volodymyr Korkhov.
De cette manière, les scientifiques ont déterminé aussi bien la structure de l’ensemble de la toxine prise pour elle-même, que la structure du complexe moléculaire en association avec le récepteur. Ce faisant, ils ont travaillé à des valeurs de pH faibles et neutres, comme celles qui règnent dans ce qu’on appelle la vésicule synaptique. Après l’arrimage de la toxine au récepteur, cet organite cellulaire en forme de vésicule, absorbe la toxine et la transporte à l’intérieur de la cellule.
La forme compacte peut mieux interagir
Il s’est avéré que la baisse du pH de la vésicule «en cours de maturation» est décisive pour le transport de la toxine à travers la membrane, en passant de la vésicule dans le cytosol. Le cytosol est la partie du liquide à l’intérieur d’une cellule où la plupart des réactions biochimiques se produisent et où la toxine déploie également son action. «A un pH bas, autour de 5,5, la toxine se recourbe, passant de sa forme habituellement allongée et ouverte à une forme sphérique et compacte», rapporte Richard Kammerer. Les domaines décisifs de la protéine se retrouvent ainsi à proximité de la membrane de la vésicule. «En revanche, à un pH neutre d’environ 7,5 dans la forme allongée, ils sont trop éloignés de la membrane pour une interaction». Et la translocation de la toxine de l’intérieur de la vésicule vers le cytosol de la cellule ne peut pas avoir lieu.
Parmi les groupes de recherche qui travaillent sur la même thématique, l’équipe du PSI est la première à fournir les données structurales de la toxine sur toute sa longueur et dans le complexe avec le récepteur avant la translocation. «Nous avons ainsi une idée plus réaliste des mécanismes déterminants de la translocation», relève Richard Kammerer. D’autres études seront nécessaire jusqu’à ce que la translocation soit déchiffrée. Son groupe les planifie et les conduit déjà. «Mais avec la publication actuelle de cette étude, nous avons déjà franchi une étape importante qui pourrait contribuer à l’avènement prochain d’une utilisation thérapeutique encore plus effective de la toxine botulique, par exemple dans le traitement de la douleur», conclut-il.