Un outil pour étudier une nouvelle classe de médicaments
En 2014, l’Agence européenne des médicaments a autorisé le Tecfidera pour le traitement de la sclérose en plaques récurrente, une maladie neurodégénérative qui touche des millions de personnes dans le monde. Dans la sclérose en plaques, l’inflammation endommage la gaine de myéline qui entoure les nerfs, ainsi que les nerfs eux-mêmes. L’ingrédient actif du Tecfidera est le fumarate de diméthyle. Il s’agit d’un composé qui est censé moduler le système immunitaire, agissant ainsi comme un anti-inflammatoire qui atténue les symptômes de la sclérose en plaques.
Mais un élément aurait pu être moins apprécié dans le cadre de l’autorisation du Tecfidera: l’arrivée sur le marché d’un élément de la classe relativement nouvelle – et encore largement inexplorée – de médicaments connus sous le nom d’électrophiles réactifs.
Les composés électrophiles réactifs comme le fumarate de diméthyle sont des molécules qui «cherchent» avidement à se lier à des atomes ou à d’autres molécules possédant une paire d’électrons disponible. Il s’est avéré que l’ajout d’une partie électrophile à certains médicaments augmente considérablement leurs effets pharmacologiques, ce qui a également donné lieu à de nombreuses recherches dans ce domaine.
Malheureusement, le problème est que l’on ne connaît pas exactement le fonctionnement de la plupart d’électrophiles réactifs, ce qui rend difficile la prévision de leurs effets et de leurs résultats, ainsi que la conception efficace de nouveaux médicaments. Le principal obstacle est que les électrophiles réactifs semblent avoir une grande «promiscuité» à l’intérieur du corps ou même d’une cellule. Ils se lient à de multiples cibles au même temps, ce qui peut, en plus d’améliorer la situation, entraîner des effets secondaires imprévus et une toxicité du médicament, voire, dans des cas extrêmes, la mort.
Aujourd’hui, une équipe de scientifiques de l’EPFL, dirigée par la professeure Yimon Aye, a accompli une avancée significative dans l’étude des effets des électrophiles réactifs dans le corps. Les scientifiques ont utilisé une technique appelée «électrophiles et oxydants réactifs ciblables» ou T-REX en abrégé. La méthode T-REX et les «technologies REX» plus larges ont été mises au point par Yimon Aye au cours de ses travaux à l’université Cornell, alors qu’elle cherchait à comprendre les mécanismes de la signalisation faite par les électrophiles réactifs. Publiée pour la première fois en 2016, la méthode T-REX libère un électrophile réactif spécifique sur une protéine cible, et les ramifications de la liaison entre les deux peuvent être observées dans l’espace et au fil du temps, ainsi que dans des cellules/organismes vivant.es.
Dans cette étude, les chercheurs ont adapté la méthode T-REX pour qu’elle soit compatible avec le poisson-zèbre (une technique qu’ils ont nommée Z-REX), et l’ont utilisée pour étudier systématiquement les interactions du fumarate de diméthyle avec protéines spécifiques, et comment ces interactions produisent les effets immunomodulateurs du Tecfidera.
Les scientifiques ont ciblé la protéine Keap-1, un suppresseur de cancer et de métastases connu, qui a été examinée comme cible potentielle du fumarate de diméthyle. En utilisant la méthode Z-REX pour cibler la protéine Keap-1 avec différents électrophiles réactifs, ils ont découvert que certains d’entre eux déclenchaient une voie de signalisation qui conduit à l’apoptose des neutrophiles et des macrophages.
Cette voie implique également de nouveaux «acteurs protéiques» qui n’avaient pas encore été considérés dans le domaine du Tecfidera. En éliminant ces «acteurs», les chercheurs ont découvert que les effets anti-inflammatoires du Tecfidera, qui en font un traitement de la sclérose en plaques, étaient également supprimés.
Ces travaux démontrent que la méthode Z-REX, et par extension, les technologies REX, sont des outils efficaces pour étudier les interactions des composés électrophiles et des médicaments dans les organismes vivants.