«C'est une rupture historique»
Benno Zogg, qu'est-ce que Vladimir Poutine essaie d'atteindre avec son invasion de l'Ukraine?
Benno Zogg: Nous ne savons pas encore si Poutine poursuit des objectifs limités ou maximalistes. Ce qui est clair, en revanche, c'est qu'il veut faire de l'Ukraine un État complaisant, dépendant de la Russie et restant en permanence en dehors de l'OTAN et de l'Union européenne. Dans la mesure où l'Ukraine doit encore exister en tant qu'État. Tout est envisageable - de son occupation partielle à son annexion totale.
Qu'est-ce qui le motive?
Poutine regarde l'Ukraine avec dédain. Pour lui, ce n'est ni un État souverain ni un peuple indépendant. Elle fait partie de la culture et de l'histoire russes. Dans sa vision du monde, toute orientation occidentale ne peut être que le résultat d'une ingérence occidentale. Lorsqu'il parle des troupes russes accueillies comme des libérateurs, cela est à prendre très au sérieux. Poutine veut démontrer que la Russie est toujours une superpuissance. Et selon son interprétation, une superpuissance à craindre, pas nécessairement à admirer.
Que signifie ce développement pour les voisins européens de la Russie?
Ils se sentiront d'autant plus menacés par la Russie et se tourneront vers l'Ouest et vers leurs partenaires de l'OTAN pour obtenir une assistance militaire. Les États membres de l'OTAN tels que la Pologne, l'Estonie ou la Lettonie, qui partagent une frontière directe avec la Russie, insisteront de plus en plus sur la présence de troupes américaines sur leur sol. La pertinence de l'OTAN augmentera, même parmi les non-membres neutres comme la Finlande et la Suède. Je crains également une militarisation croissante de l'Europe de l'Est. Le risque d'une nouvelle intensification - intentionnelle ou non - augmente.
L'Occident discute actuellement de nouvelles sanctions contre la Russie. Quelles sanctions doivent être imposées pour forcer la Russie à changer de cap militaire?
Les recherches montrent que les sanctions n'entraînent un changement de politique que si elles ont un impact sur les coalitions et les relations de pouvoir dans le pays sanctionné. On peut donc supposer que Poutine ne changera de cap que si les sanctions divisent l'élite dirigeante du Kremlin. Cela est très peu probable, car le cercle restreint qui entoure Poutine est déjà susceptible de résister aux sanctions et pourrait même en bénéficier. À court terme, les sanctions doivent être considérées comme un signal politique important. À moyen et long terme, cependant, les sanctions économiques, financières et technologiques pourraient très bien affaiblir l'économie russe, son budget national, son industrie de la défense et donc aussi son armée. Toutefois, je doute fort que Poutine s'en laisse dissuader.
La guerre s'étendra-t-elle à d'autres pays?
Des incidents accidentels à la frontière avec les États voisins pourraient également entraîner d'autres pays dans le conflit. Toutefois, je pense qu'il est plus probable que les combats restent confinés à l'Ukraine. Mais l'impact du conflit va évidemment bien au-delà de l'Ukraine et nous affecte toutes et tous.
Quelles options diplomatiques envisagez-vous pour le moment?
La diplomatie se limite actuellement aux déclarations unilatérales, aux conférences de presse - et aux sanctions. Bien que des rencontres directes à haut niveau entre la Russie, l'Ukraine et l'Occident soient impensables dans la situation actuelle, les canaux de communication doivent rester ouverts pour assurer un minimum de prévisibilité. Exclure la Russie de l'ONU ou de l'OSCE ne servirait à rien.
Quelles sont les implications de l'invasion pour la sécurité européenne?
Il s'agit d'une rupture historique: déplacer les frontières nationales de manière unilatérale et par des moyens militaires et annexer des territoires est une contradiction fondamentale de l'ordre européen d'après-guerre. La Russie viole à nouveau ce principe - après son annexion de la Crimée en 2014. Si la légitimité de l'intervention occidentale au Kosovo ou en Irak, par exemple, a également été controversée, elle n'est en aucun cas aussi défectueuse que l'attaque de Poutine. Il reste à voir si les conflits en Europe seront à nouveau de plus en plus résolus par la politique de puissance et les moyens militaires à l'avenir. Ce qui est certain, en revanche, c'est que l'Europe va améliorer ses capacités militaires. À l'avenir, elle pourra encore moins compter sur les États-Unis, qui axeront leur politique de sécurité à long terme sur la Chine. La pression exercée sur l'Europe pour qu'elle renforce ses propres capacités de défense continuera donc de croître.