«Le changement climatique ne peut être appréhendé que régionalement»
Margit Schwikowski, les résultats de vos recherches au PSI sont intégrés dans le rapport d’un groupe de travail du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) qui a été publié en août dernier. Comment cela se fait-il?
Margit Schwikowski: Avec mon groupe de recherche, j’étudie notamment divers aérosols et la manière dont leur concentration dans l’atmosphère terrestre a augmenté ou diminué au cours des siècles passés. Cela est important pour le GIEC parce que les aérosols ont un impact sur le climat. Les aérosols sont de petites particules en suspension dans l’air; la suie en est un exemple classique. C’est ce que l’on voit quand une bougie ne brûle pas bien: cette substance noire et grasse. La suie est notamment produite lors de la combustion incomplète de combustibles fossiles.
Les aérosols sont pourtant aussi ces minuscules gouttelettes en suspension grâce auxquelles le coronavirus peut se propager?
Oui, ce sont aussi des aérosols, mais ils sont liquides. Mon groupe de travail étudie en revanche des particules en suspension solides, provenant justement de la suie ou d’autres composés chimiques, par exemple des aérosols de sulfate qui sont notamment produits par le dioxyde soufre.
Et ces aérosols solides contribuent également, comme les gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone (CO2) ou le méthane, au réchauffement global?
Avec les aérosols, un examen plus attentif est nécessaire. Ils ont un impact significatif sur le climat, mais cela est plus compliqué qu’avec les gaz à effet de serre. Premièrement, tous les aérosols n’ont pas le même impact. Les aérosols de suie sont sombres et se réchauffent à la lumière du soleil, ce qui fait que l’air se réchauffe aussi. Les aérosols de sulfate réfléchissent toutefois plutôt la lumière du soleil et rafraîchissent de ce fait l’atmosphère. Nous devons donc faire la part des effets des divers aérosols.
Et deuxièmement?
Deuxièmement, le CO2 et les autres gaz à effet de serre sont très persistants. Ils atteignent ainsi chaque coin du globe et peu importe donc que l’on détermine leur concentration à Hawaii ou en Suisse. On constate partout dans le monde la même forte augmentation de ces gaz depuis le début de l’industrialisation. Les aérosols ont en revanche une durée de vie beaucoup plus courte. Après quelques jours ou au plus tard une semaine, ils sont éliminés de l’air avec les précipitations, ce qui constitue le plus important processus de purification dans l’atmosphère. Ils ne parviennent donc pas à se répandre uniformément dans l’atmosphère et doivent être mesurés dans les régions où ils sont libérés.
Ce dernier élément semble être un avantage pour les modèles climatiques?
Oui, les modèles climatiques se sont améliorés grâce à la prise en considération des aérosols.
La majorité des gens ne pensent qu’au CO2 lorsqu’on évoque le changement climatique. Que devrait, selon vous, mieux comprendre les profanes?
Pour l’instant, nous devons nous en tenir à l’idée que les gaz à effet de serre sont clairement le plus grand facteur à l’origine du changement climatique. Comme on le sait certainement, le CO2 vient en première place. Le méthane arrive en deuxième position, mais tous les autres gaz sont souvent convertis en équivalents CO2 et sont ainsi intégrés dans le débat.
Ce qui est en revanche encore peu perçu dans l’opinion publique c’est que pris globalement les aérosols ont jusqu’à présent eu un effet rafraîchissant sur le climat. Les aérosols ayant un impact réchauffant sont actuellement supplantés par les aérosols ayant un effet rafraîchissant.
Cela peut-il être chiffré?
Oui. Actuellement, la température globale a déjà augmenté en moyenne de 1,1 degré Celsius par rapport à la période préindustrielle. Vous vous en souvenez certainement: l’Accord de Paris signé en 2015 prévoit de limiter cette hausse à 1,5 degré au maximum. La recherche nous apprend maintenant que nous avons déjà émis tellement de gaz à effet de serre dans l’atmosphère que nous aurions déjà dû presque atteindre ce 1,5 degré aujourd’hui. Le réchauffement global de 1,1 degré mesuré actuellement est uniquement dû à la prise en compte de l’impact global rafraîchissant des aérosols.
Un autre facteur s’ajoute-t-il aux gaz à effet de serre et aux aérosols?
Un troisième facteur qui influence fortement le climat et qui est intégré dans les modèles climatiques est le pouvoir réfléchissant de la Terre, ce qu’on appelle l’albédo. Dit plus simplement, il s’agit ici des surfaces claires comme la glace et les nuages qui réfléchissent la lumière du soleil pendant la journée et qui rafraîchissent ainsi la Terre, en comparaison avec les surfaces sombres comme les océans et les forêts.
Quelle est la conclusion que vous tirez du rapport actuel du GIEC et qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse?
Le changement climatique va nous impacter très fortement. Le réchauffement de 1,1 degré Celsius constaté actuellement à l’échelle planétaire est une valeur moyenne pour les cinq continents et les océans. Ces derniers réagissent plus lentement, alors que les terres émergées se sont déjà réchauffées plus fortement. C’est ce qui fait justement la force du rapport du GIEC. Il nuance cette évolution en fonction des régions. Que faire en effet sur la base d’une valeur globale moyenne? En Suisse, nous enregistrons aujourd’hui déjà une hausse moyenne de 1,8 degré Celsius, soit presque le double de la valeur globale.
Et comment cela va-t-il continuer?
Le scénario du GIEC qui dessine la suite de l’évolution actuelle prévoit jusqu’à l’an 2100 une hausse de la température moyenne mondiale pouvant aller jusqu’à 6 degrés Celsius. En Suisse, cela signifie que sans des interventions fortes on peut s’attendre à une hausse de la température de plus de 10 degrés en moyenne. Personne ne veut l’imaginer. L’été dernier qui a été marqué par des feux de forêt sur le pourtour méditerranéen, des sécheresses et des inondations est l’exact reflet de ce que prédisent de nombreux experts, et il ne s’agit là que d’un petit début. Il nous faut éviter cette crise climatique.