Un test de l'Eawag permet de remplacer les expérimentations animales
Une multitude de produits chimiques sont utilisés dans les produits du quotidien, dans l’agriculture et dans l’industrie. Nombre d’entre eux finissent tôt ou tard par se retrouver dans l’environnement. Afin que ces substances soient homologuées sur le marché, les fabricants doivent d’abord prouver qu’elles sont inoffensives pour l’homme et la nature. C’est le rôle des essais de toxicité pour lesquels des êtres vivants sont exposés aux effets des produits chimiques. Chaque année, des milliers de poissons meurent parce qu’ils servent de cobayes pour déterminer les effets de ces produits sur les vertébrés aquatiques.
Grâce à un procédé développé ces dernières années par l’Institut de recherche de l’eau Eawag, ces méthodes appartiendront toutefois bientôt au passé. Cet essai basé sur des cellules branchiales isolées des truites arc-en-ciel a été publié par l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) en tant que ligne directrice la plus récente dans le domaine de la toxicologie environnementale. La voie est ainsi tracée pour une procédure d’agrément sans expérimentation animale.
Les entreprises vivement intéressées
L’essai portant sur lignée cellulaire de poissons représente la première alternative mondiale aux expérimentations sur des poissons vivants. La nouvelle ligne directrice de l’OCDE permet aux entreprises de recourir à l’essai sur lignée cellulaire de poissons pour développer leurs produits et de joindre les résultats aux dossiers de demande d’agrément des produits chimiques. «L’industrie s’intéresse vivement aux essais déconnectés de toute expérimentation animale», confirme la prof. Kristin Schirmer, cheffe de département à l’Eawag, qui a dirigé ces travaux pionniers avec Melanie Fischer (Eawag). Les exigences pesant sur l’évaluation des risques environnementaux sont d’une part de plus en plus strictes et le nombre de nouveaux produits chimiques qui doivent être testés augmente d’autre part constamment. L’essai sur lignée cellulaire de poissons ménage par ailleurs les ressources. La miniaturisation résultant de l’emploi de cellules permet en effet d’économiser des produits chimiques et de l’eau, mais aussi de gagner du temps.
Kristin Schirmer s’attend à ce que les autorités règlementaires telles que l’AEPC à Helsinki ou l’EPA aux États-Unis acceptent de plus en plus l’essai sur lignée cellulaire de poissons comme substitut équivalent à l’essai ordinaire sur les poissons: «En ce qui nous concerne, la recommandation de l’OCDE a été la dernière étape importante après la certification ISO de notre méthode il y a deux ans, ce qui signifie que plus rien ne s’oppose à une procédure d’agrément sans expérimentation animale».
L'Eawag contribue ainsi au développement de la toxicologie en réduisant le nombre d’expérimentations animales. Des essais d’écotoxicité ont en effet été menés sur près de 8000 poissons en Suisse en 2019.
L’essai sur lignée cellulaire de poissons – brièvement expliqué
L’idée d’origine
Cette approche signale la fin d’une longue et intensive période qui a exigé ténacité et soutien de la part du milieu professionnel. Le professeur Schirmer a développé cette idée pendant sa thèse de doctorat au milieu des années 90. Elle travaillait à l’époque à la University of Waterloo (Canada) sur exactement la lignée cellulaire sur laquelle repose la méthode aujourd’hui. La lignée cellulaire de Kristin Schirmer remonte à son directeur de thèse, Niels C. Bols, qui fut le premier à isoler les cellules branchiales de la truite arc-en-ciel et à les cultiver afin qu’elles puissent se reproduire à l’infini.
«Nous avons choisi les cellules branchiales car ce sont les branchies qui entrent d’abord en contact avec un produit chimique du fait de leur surface importante chez le poisson» explique Kristin Schirmer. Si les produits chimiques endommagent les cellules branchiales, certaines fonctions vitales pour le poisson telle que son alimentation en oxygène ne fonctionnent plus. «Par conséquent, en observant les effets d’un produit chimique sur les cellules branchiales, nous sommes en mesure de prévoir l’impact de ce produit sur un poisson vivant», précise Kristin Schirmer.
L’épreuve de vérité
La subvention attribuée à Kristin Schirmer en 2006 par le Conseil européen de l’industrie chimique (CEFIC) pour une proposition de projet a lancé le développement de l’essai sur lignée cellulaire de poissons à présent validé. Kristin Schirmer a d’abord poursuivi ses recherches en tant que cheffe de département au Centre Helmholtz pour la recherche environnementale de Leipzig puis, dès 2008, en qualité de cheffe de département à l’Eawag. En 2009, Melanie Fischer, ingénieure et laborantine, a rejoint l’équipe.
«Lors de la première phase, nous avons développé et optimisé notre méthode avant de comparer les résultats avec les essais ordinaires menés sur des poissons», explique Kristin Schirmer. Une étude publiée en 2013 a ainsi prouvé pour la première fois que le nouvel essai sur lignée cellulaire de poissons conduisait aux mêmes valeurs de toxicité pour plus de 30 produits chimiques que l’essai sur les poissons. «Il a ensuite fallu démontrer que la méthode fonctionnait aussi dans d’autres laboratoires», explique Kristin Schirmer. Six laboratoires d’entreprises industrielles et d’universités participé à l’étude circulaire internationale réalisée à cette fin en 2013-2014. Les résultats qu’ils ont obtenu avec la méthode Eawag étaient reproductibles et comparables.
Objectif atteint
Les données de cette étude ont jeté les bases de la certification ISO 2019 et de la ligne directrice OCDE 2021. «La certification accordée par des organisations au rayonnement international est très importante. Elle constitue en effet la seule méthode permettant de garantir que les essais seront réalisés de manière standardisée dans le monde entier pour que les résultats soient reconnus», déclare Kristin Schirmer. Il n’a fallu que deux ans de la soumission à l’OCDE à la validation qui vient d’avoir lieu. Au cours de cette période exceptionnelle courte, la méthode a été révisée à nouveau dans le cadre d’un processus élaboré afin d’harmoniser les propositions et les opinions d’experts de nombreux pays représentatifs et d’organisations. L’équipe a été assistée par les représentants de la Suisse (Petra Kunz, Office fédéral de l’environnement OFEV) et de la Norvège (Sjur Andersen, office fédéral de l’environnement norvégien et Adam Lillicrap, NIVA). Eszter Simon (OFEV) a soutenu le travail en tant qu'expert.
Kristin Schirmer estime que la ligne directrice a été adoptée si rapidement grâce à l’intérêt et au soutien indéfectible de toutes les parties prenantes: «Nous avons discuté activement avec les pays de l’OCDE, les industriels, les ONG et les autorités règlementaires.» Leon van der Wal, de l’OCDE, le confirme également: «L’adoption rapide de cette première méthode in vitro portant sur des essais d’écotoxicité traduit l’engagement des pays de l’OCDE en faveur de la réduction des expérimentations animales. Nous le devons également à la communication organisée et transparente des pays qui ont joué un rôle de premier plan ainsi qu’au travail acharné des concepteurs de la méthode et des experts de l’OCDE qui l’ont examinée.»
Kristin Schirmer constate rétrospectivement que: «Notre courbe d’apprentissage a été très abrupte. Mais tout le temps et l’énergie investis ont porté leurs fruits: le succès de ces méthodes d’évaluations alternatives de l’écotoxicité sans expérimentation animale est formidable et durable.»
Une recherche primée
Le travail de l’Eawag visant à développer des méthodes d’essai dépourvues d’expérimentations animales est d’une importance capitale. Tel est également l’avis du Centre de compétence suisse 3R (3RCC). L’association souhaite remplacer, réduire et améliorer les expérimentations animales. En 2019, elle a décerné le 3Rs Award à la chercheuse, et à sa collègue Melanie Fischer, pour leurs travaux de recherche. Le 3RCC a par ailleurs attribué une bourse de 250’000 francs aux scientifiques en 2019. Ces fonds leur permettent de travailler sur le développement d’un milieu sans sérum capable de remplacer le sérum fœtal de veaux qui reste indispensable pour cultiver des cellules.