«L’objectif est un calculateur quantique expérimental dans le canton d’Argovie»
Gabriel Aeppli, Christian Rüegg, le contrat décisif pour l’ETH Zurich - PSI Quantum Computing Hub a été signé ces jours par les deux parties. Comment cette collaboration a-t-elle vu le jour?
Gabriel Aeppli: La recherche académique menée à l’ETH est d’excellent niveau. Deux groupes de recherche y ont déjà produit et interconnecté des bits quantiques individuels ou qubits. Notre objectif, maintenant, est d’unir nos forces sur cette base et de changer d’échelle. Ce passage à une plus grande échelle est une tâche classique d’ingénierie. C’est ce que nous offrons ici au PSI, outre notre propre expérience académique.
Christian Rüegg: Cette collaboration, nous la souhaitions depuis longtemps. Et heureusement, l’ETH était tout aussi intéressée que nous. Notamment Detlef Günther, vice-président chargé de la recherche, et Joël Mesot, qui était directeur du PSI il y a deux ans avant de devenir président de l’ETH Zurich.
Gabriel Aeppli: Pour toutes les personnes impliquées, une chose était claire: nous ne voulions pas que la Suisse rate ce train. L’architecture de calculateurs quantiques évolutifs n’a pas encore été découverte. Nous voulons contribuer à l’avènement de la solution à cette question cruciale et mettre en place dès le départ une expertise de premier plan en Suisse.
Les calculateurs quantiques remplaceront-ils un jour tous les ordinateurs existants?
Christian Rüegg: Probablement non. Les calculateurs quantiques ne sont pas supérieurs dans tous les domaines aux ordinateurs classiques. Mais avec ces derniers, il est très ardu de calculer le comportement des plus petits composants de la matière, autrement dit l’univers quantique. Cela concerne par exemple la physique des solides, la biologie et la chimie, soit des thématiques de recherche centrales au PSI.
Gabriel Aeppli: Actuellement, on alimente des ordinateurs classiques avec des formules complexes de mécanique quantique. Ces machines sont parfaitement en mesure d’en calculer une partie. Mais pour d’autres, cela prendrait tellement de temps que cela en devient impossible. Un calculateur quantique, en revanche, recourt lui-même à la mécanique quantique. Il est capable de simuler simplement et de manière directe les processus que nous voulons connaître. Ce sera beaucoup plus rapide.
Christian Rüegg: Aujourd’hui déjà, nous choisissons les instruments avec lesquels nous voulons nous attaquer à tel ou tel problème de calcul. Si je dois additionner 2 + 3, je n’utilise pas d’ordinateur, je le fais rapidement de tête. Pour beaucoup l’autres calculs et d’applications, nous utilisons des PC, des ordinateurs portables ou des smartphones. Les simulations météo sont conduites aujourd’hui avec des supercalculateurs classiques. Mais dans nos laboratoires, nous explorons des processus de mécanique quantique et c’est précisément là qu’un calculateur quantique apportera vraiment une révolution.
Vous allez donc construire ici des ordinateurs quantiques et vous en servir en même temps?
Christian Rüegg: Exactement. Un calculateur quantique, comme celui que nous réalisons au PSI avec l’ETH Zurich, ne se fera pas en un jour. Il s’agira plutôt d’une plateforme de recherche, dont on se servira pour développer. Il sera testé, utilisé, constamment amélioré et développé. Exactement de la même manière que nos grandes installations de recherche. Afin de pouvoir rester à la pointe sur le plan scientifique.
Et y aura-t-il aussi un jour des ordinateurs quantiques issus d’une production de masse?
Gabriel Aeppli: Des ordinateurs quantiques entiers, peut-être pas de sitôt. Mais je pense que dans une dizaine d’années, des processeurs quantiques seront disponibles en production commerciale.
Revenons au Quantum Computing Hub: concrètement, quelles seront les prochaines étapes?
Gabriel Aeppli: Des groupes de recherche qui travailleront sur place au PSI sont en train d’être formés. Trois groupes sont prévu: le premier utilisera des qubits à base de pièges à ions pour développer un calculateur quantique. Le deuxième poursuivra le même objectifs, mais en utilisant des qubits supraconducteurs. Ces deux groupes sont couplés aux groupes de recherche thématiques correspondants de l’ETH Zurich, dont les professeurs Jonathan Holme et Andreas Wallraff assument respectivement la direction scientifique. Voilà pour les deux premiers groupes. Pour le troisième, le poste de responsale de groupe et de professeur à l’ETH Zurich est encore mis au concours, et cette personne déterminera elle-même le thème de recherche.
Trois groupes de recherche, cela représente combien de collaborateurs?
Gabriel Aeppli: Au PSI, une cinquantaine de spécialistes de premier plan seront bientôt employés à cette fin.
Les calculateurs quantiques sont donc basés sur des qubits qui doivent être interconnectés. De combien de qubits parlons-nous? Et le Quantum Computing Hub s’est-il fixé des objectifs concrets?
Christian Rüegg: Notre premier objectif d’étape avec les deux méthodes – pièges à ions et qubits supraconducteurs – est d’interconnecter chaque fois une centaine de qubits et d’utiliser ces deux variantes de manière complémentaire, de les comparer et de les explorer.
Gabriel Aeppli: Pour pouvoir parler d’un véritable processeur quantique, il faudra quelque 10 millions de qubits bruts. C’est donc une autre paire de manches et pour y arriver, il faudra plutôt 100 à 200 collaborateurs, de même que des investisseurs externes et des partenaires de l’industrie. Le Park Innovaare, qui est en train d’être construit à proximité immédiate du PSI, offre par exemple des possibilités très intéressantes pour collaborer avec l’industrie hightech.
Christian Rüegg: Et c’est bien là notre objectif à long terme. Nous voulons pouvoir dire dans quelques années: dans le canton d’Argovie, il existe un calculateur quantique expérimental. Ce supercalculateur offrira des possibilités uniques à la communauté scientifique en Suisse pour mener des recherches conjointes dans le domaine de l’informatique quantique et de ses applications.