Les forêts tropicales ne peuvent se reconstituer naturellement sans les oiseaux frugivores

La régénération naturelle des forêts est considérée comme un moyen rentable de restaurer la biodiversité et de séquestrer le carbone. Cependant, la fragmentation des forêts tropicales a restreint les mouvements des grands oiseaux, limitant ainsi leur capacité à disperser les graines et à restaurer des forêts saines.
Le Toucan toco (Ramphastos toco) disperse les graines des arbres qui stockent potentiellement beaucoup de carbone. (Image : Adobe Stock / Michael Vodiansky)

En bref

  • Les oiseaux frugivores jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes forestiers, en particulier dans la forêt atlantique du Brésil.
  • Les oiseaux sauvages peuvent augmenter de 38% le potentiel de carbone des forêts tropicales en régénération.
  • L'augmentation du couvert forestier au-delà de 40% peut être déterminante pour le succès des initiatives de restauration.

De nouvelles recherches menées par le Crowther Lab de l'ETH Zurich mettent en évidence un obstacle majeur à la régénération naturelle des forêts tropicales. Leurs modèles, basés sur des données recueillies au sol dans la forêt atlantique du Brésil, montrent que lorsque les oiseaux tropicaux sauvages se déplacent librement dans les paysages forestiers, ils peuvent augmenter le stockage de carbone des forêts tropicales en régénération jusqu'à 38%.

Potentiel de carbone des graines d'oiseaux

Les oiseaux frugivores tels que le grimpereau à pattes rouges, le tangara ou la grive à ventre roux jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes forestiers en consommant, en excrétant et en disséminant les graines lorsqu'ils se déplacent dans un paysage forestier. Entre 70 et 90% des espèces d'arbres des forêts tropicales dépendent de la dispersion des graines par les animaux. Ce processus initial est essentiel pour permettre aux forêts de croître et de fonctionner. Alors que des études antérieures ont établi que les oiseaux sont importants pour la biodiversité des forêts, les sientifiques du Crowther Lab ont maintenant une compréhension quantitative de la façon dont ils contribuent à la restauration des forêts.

La nouvelle étude, publiée dans la revue Nature Climate Change, apporte la preuve de l'importante contribution des oiseaux sauvages (frugivores) à la régénération des forêts. Les chercheurs et chercheuses ont comparé le potentiel de stockage du carbone qui pourrait être récupéré dans des paysages peu fragmentés à celui de paysages très fragmentés. Leurs données montrent que les paysages fortement fragmentés restreignent les mouvements des oiseaux, réduisant ainsi le potentiel de récupération du carbone jusqu'à 38%. Dans la région de la forêt atlantique au Brésil, les scientifiques ont constaté qu'il est essentiel de maintenir un couvert forestier d'au moins 40%. Ils et elles ont également constaté qu'une distance de 133 mètres (environ 435 pieds) ou moins entre les zones boisées permet aux oiseaux de continuer à se déplacer dans le paysage et de faciliter la régénération écologique.

L'étude a également révélé que les différentes espèces d'oiseaux ont des impacts différents en termes de dispersion des graines. Les petits oiseaux dispersent plus de graines, mais ils ne peuvent disperser que de petites graines provenant d'arbres dont le potentiel de stockage de carbone est plus faible. En revanche, les oiseaux de plus grande taille, tels que le toucan toco ou le geai à crête, dispersent les graines des arbres dont le potentiel de stockage du carbone est plus élevé. Le problème est que les oiseaux de plus grande taille sont moins susceptibles de se déplacer dans des paysages très fragmentés. «Ces informations cruciales nous permettent de cibler les efforts de restauration active - comme la plantation d'arbres - dans les paysages qui tombent en dessous de ce seuil de couverture forestière, là où la restauration assistée est la plus urgente et la plus efficace», explique Daisy Dent, scientifique principale au Crowther Lab de l'ETH Zurich.

Rétablir les services écosystémiques fonctionnels

«Permettre aux grands frugivores de se déplacer librement dans les paysages forestiers est essentiel à la régénération des forêts tropicales», explique Carolina Bello, chercheuse post-doctorale au sein du Crowther lab et autrice principale de l'étude. «Cette étude démontre que, notamment dans les écosystèmes tropicaux, la dispersion des graines par les oiseaux joue un rôle fondamental dans la détermination des espèces qui peuvent se régénérer.»

Basée sur des données actuelles, cette étude fait progresser la recherche à partir d'études de terrain antérieures menées par les auteurs dans la forêt atlantique du Brésil. Cette forêt est l'une des régions les plus diversifiées au monde sur le plan biologique, mais elle est aussi l'une des plus fragmentées, avec seulement 12% de la forêt d'origine qui subsiste, principalement dans de petites zones. La forêt est également l'une des régions les plus importantes de la planète pour la restauration écologique à grande échelle, avec 12 millions d'hectares de terres ciblées pour la restauration et le rétablissement naturel dans le cadre du pacte de restauration de la forêt atlantique. La recherche montre que l'augmentation de la couverture forestière au-delà de 40% peut être essentielle non seulement pour maintenir la diversité des espèces, comme cela a déjà été démontré, mais aussi pour maintenir et restaurer le fonctionnement des services écosystémiques, tels que la dispersion des graines et le stockage du carbone, afin de maximiser le succès de l'initiative de restauration à grande échelle dans cette région.

«Nous avons toujours su que les oiseaux étaient essentiels, mais il est remarquable de découvrir l'ampleur de ces effets», déclare Thomas Crowther, professeur d'écologie à l'ETH Zurich et principal coauteur de l'étude. «Si nous pouvons retrouver la complexité de la vie dans ces forêts, leur potentiel de stockage du carbone augmentera considérablement.»

Stratégies de reconstitution des forêts tropicales

Des recherches antérieures suggèrent que la régénération des forêts pourrait capturer plus de 2,3 milliards de tonnes de carbone dans la région de la forêt atlantique, et que la régénération naturelle est probablement plus rentable - jusqu'à 77% de moins en coûts de mise en œuvre - que la plantation active.

Les scientifiques notent qu'une série de stratégies, telles que la plantation d'arbres fruitiers et la prévention du braconnage, pourraient améliorer les déplacements des animaux dans les zones tropicales où la restauration passive est plus probable. Une restauration active est nécessaire dans les paysages très fragmentés.

«En identifiant les seuils de couverture forestière dans le paysage environnant qui permettent la dispersion des graines, nous pouvons identifier les zones où la régénération naturelle est possible, ainsi que les zones où nous devons planter activement des arbres, ce qui nous permet de maximiser la rentabilité de la restauration forestière», explique Danielle Ramos, coautrice de l'article affilié à l'Université d'Exeter, au Royaume-Uni, et à l'Universidade Estadual Paulista, Rio Claro, São Paulo, au Brésil.