Mieux comprendre l'évolution des bactéries intestinales
«Nous sommes habitués à penser que l’évolution est un processus très lent, et c’est certainement le cas pour les grands mammifères», explique la professeure Anne-Florence Bitbol, de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL. «Mais les virus évoluent assez rapidement, comme le montre la succession rapide des variants de la COVID-19. Les bactéries évoluent à des échelles de temps intermédiaires. Celles présentes dans notre intestin peuvent évoluer à des échelles de temps pertinentes pour nous.»
La mutation et l’évolution des bactéries intestinales peuvent avoir des répercussions importantes sur la santé publique. La résistance aux antibiotiques en est un exemple évident. Ainsi, de nombreuses recherches ont été menées pour déterminer les facteurs qui influencent l’évolution des bactéries intestinales. Certaines études ont mis en évidence la structure même de l’intestin, notamment son flux hydrodynamique qui provoque différents gradients de concentration en aliments et bactéries sur toute sa longueur.
Un nouveau modèle de l’intestin
En collaboration avec Darka Labavić et Claude Loverdo de Sorbonne Université, Anne-Florence Bitbol a aujourd’hui mis au point un «modèle minimal» de mutation et d’évolution bactériennes dans l’intestin. Ce modèle permet de comprendre comment le flux interne de l’intestin affecte la distribution du patrimoine génétique. Cette étude est publiée dans PNAS.
«Notre modèle démontre que la structure spatiale spécifique de l’intestin, avec son hydrodynamique et ses gradients de concentration, peut augmenter considérablement la probabilité que des mutants neutres atteignent des proportions élevées et finissent par dominer», déclare Anne-Florence Bitbol. Ces mutants neutres font référence aux bactéries qui subissent des mutations n’ayant aucun effet sur le taux de croissance, ou du moins leur impact est négligeable dans le cas de toute une population bactérienne.
«Comme l’environnement de l’intestin augmente fortement la proportion moyenne attendue de mutants neutres, il augmente également leur capacité à prendre finalement le dessus sur la population, par rapport à une population standard mixte», poursuit Anne-Florence Bitbol. «De ce fait, l’environnement spécifique de l’intestin renforce la diversité bactérienne neutre.»
Rôle des mutations neutres dans la santé et les maladies intestinales
Mais que signifie la prévalence de mutants neutres dans l’intestin? «Cela signifie qu’une fraction plus importante de mutants apparaissant de manière aléatoire peut atteindre des fractions importantes au lieu de disparaître rapidement», explique Anne-Florence Bitbol. «Cela peut augmenter la diversité du microbiote intestinal ainsi que sa capacité à s’adapter aux changements d’environnement. Et comme la composition du microbiote intestinal peut affecter le métabolisme, cela pourrait avoir des implications indirectes sur le métabolisme.»
Les résultats peuvent également avoir des implications sur notre façon de traiter les maladies métaboliques, telles que les maladies inflammatoires de l’intestin. «Un point clé est que l’augmentation de la diversité et de l’adaptabilité que nous prévoyons est fortement associée à l’existence de forts gradients de concentration en aliments et bactéries dans le côlon», affirme Anne-Florence Bitbol. «Les concentrations bactériennes sont beaucoup plus faibles dans l’intestin grêle que dans le côlon. À l’entrée du côlon, il y a donc beaucoup d’aliments et moins de bactéries.»
«Mais plus loin dans l’intestin, les bactéries ont mangé les aliments et se sont reproduites. Il y a donc moins d’aliments mais plus de bactéries. Si ces gradients sont plus faibles, le renforcement de la diversité prédit par notre modèle sera également plus faible. Cela peut survenir si le flux dans l’intestin change ou si les contractions des muscles intestinaux deviennent plus fortes ou plus faibles. Il pourrait donc y avoir des liens possibles avec des troubles métaboliques tels que les maladies inflammatoires de l’intestin. Comprendre ces effets pourrait être une première étape pour apprendre à les modifier afin de soigner ces pathologies.»
Prochaines étapes
Anne-Florence Bitbol envisage déjà de suivre cette étude pour répondre à d’autres questions. «Jusqu’à présent, dans un souci de simplicité, nous avons travaillé sur des mutants neutres. Mais étudier le cas des mutants bénéfiques – ceux qui augmentent le taux de croissance – et des mutants délétères – ceux qui le diminuent – serait extrêmement intéressant et donnerait une meilleure vue d’ensemble de l’impact de la structure spatiale de l’intestin sur l’évolution des bactéries intestinales. Il y a également beaucoup à faire pour augmenter progressivement le réalisme du modèle.»