Traiter l'anémie avec des ciseaux génétiques
De nombreuses maladies héréditaires ont été largement considérées comme incurables. L'intervention sur le génome est trop imprévisible et complexe et les résultats de cette manipulation trop incertains. En effet, ces maladies impliquent souvent non pas un mais plusieurs gènes, qui peuvent être situés sur différents chromosomes.
Mais avec l'essor phénoménal des ciseaux à gènes CRISPR-Cas9, les règles du jeu ont été largement réécrites. Au cours des dernières années, la manipulation ciblée de gènes individuels, voire de blocs entiers d'ADN, a beaucoup progressé. Le résultat de ces efforts de collaboration est que la guérison des maladies héréditaires chez l'homme est désormais à portée de main.
Les ciseaux à gènes contre les bêta-hémoglobinopathies
La biologiste moléculaire Mandy Boontanrart, du groupe dirigé par le professeur Jacob Corn de l'ETH, fait partie de ceux qui cherchent à s'attaquer à une maladie héréditaire à l'aide de la technologie CRISPR-Cas9. Elle a récemment travaillé sur une étude qui pourrait s'avérer révolutionnaire dans le traitement des bêta-hémoglobinopathies héréditaires. Ce terme recouvre deux types d'anémie : la bêta-thalassémie et la drépanocytose, qui comptent parmi les maladies héréditaires les plus répandues dans le monde.
Les hémoglobinopathies bêta sont causées par des mutations du gène HBB. Ce gène contient le plan d'une chaîne de protéines appelée bêta-globine, un composant de l'hémoglobine. Présente en grande quantité dans les globules rouges, l'hémoglobine donne sa couleur au sang et est responsable du transport de l'oxygène dans tout l'organisme. Chez l'adulte, l'hémoglobine est composée de deux alpha-globines et de deux bêta-globines. Présente en moindre quantité, l'hémoglobine peut être composée de deux alpha-globines et de deux delta-globines. Les delta-globines fonctionnent exactement comme les bêta-globines mais ne sont produites naturellement dans les globules rouges qu'en très petites quantités.
Si le gène HBB présente une mutation qui entraîne un dysfonctionnement de la production de bêta-globine, il y aura une pénurie d'hémoglobine fonctionnelle. En règle générale, cela peut entraîner la mort prématurée des globules rouges, ce qui conduit à l'anémie. Tous les organes du corps souffrent alors d'un manque chronique d'oxygène.
Si la mutation se limite à une seule copie du gène HBB, les porteuses et porteurs peuvent mener une vie relativement normale. «Une personne atteinte d'une seule mutation aura beaucoup de mal à devenir un athlète professionnel, mais elle pourra toujours faire du jogging, de la natation et du vélo», explique Mandy Boontanrart, qui est elle-même porteuse d'un gène muté. Mais si les deux copies sont endommagées, la situation devient problématique : «Si vous envisagez d'avoir des enfants avec un ou une partenaire également porteuse ou porteur de la mutation, les enfants risquent d'hériter des deux gènes mutés et seraient alors atteints d'une maladie grave.»
Augmentation de la production de delta-globine
Il n'existe pas encore de traitement efficace pour les bêta-hémoglobinopathies. Dans leur nouvelle étude, Mandy Boontanrart et ses collègues montrent que le problème pourrait être résolu en augmentant la production de delta-globine, qui remplacerait la bêta-globine défectueuse. «Lêtre humain ne produit naturellement que de minuscules quantités de delta-globine. Cela est lié à une séquence de contrôle spéciale de l'ADN qui entrave la transcription du gène concerné», explique la biologiste. Les chercheuses et chercheurs ont donc eu l'idée de modifier cette séquence de contrôle afin d'augmenter la production de delta-globines.
Mandy Boontanrart a utilisé les ciseaux CRISPR-Cas9 pour modifier l'ADN des cellules sanguines progénitrices en insérant trois sections supplémentaires avant le gène HBD, qui contient le schéma directeur des delta-globines. Ces insertions sont conçues pour stimuler la machinerie cellulaire afin qu'elle produise davantage de delta-globine - et c'est exactement ce qui s'est produit.
Les résultats sont prometteurs : «Nous avons réussi à augmenter de manière significative la proportion de delta-globine, au point que cela pourrait offrir un avantage thérapeutique», explique Mandy Boontanrart.
Toutefois, l'insertion de plusieurs éléments d'ADN n'est pas sans poser de problèmes. «Elle est plus exigeante que les techniques utilisées par d'autres groupes de recherche et sociétés pharmaceutiques», précise la biologiste. Des chercheuses et chercheurs américains utilisent également le système CRISPR-Cas9 pour s'attaquer aux hémoglobinopathies bêta en manipulant des cellules souches sanguines pour produire de l'hémoglobine fœtale. Il s'agit du type d'hémoglobine prédominant chez les fœtus, mais les bébés cessent de la produire au plus tard à l'âge de quelques mois. Pour le traitement qu'ils proposent, les chercheurs et chercheuses américaines envisagent d'utiliser l'hémoglobine fœtale pour remplacer la bêta-globine. Cette approche est en cours d'approbation par la Federal Drug Administration (FDA).
Bien que cette approche ait une couverture relativement large, elle présente des inconvénients, explique Mandy Boontanrart. Elle est contre-indiquée pour les femmes enceintes ou qui essaient de le devenir, car l'hémoglobine fœtale se lie plus fortement à l'oxygène que l'hémoglobine adulte. Le traitement pourrait donc conduire la mère à priver son enfant à naître d'oxygène.
«À mon avis, l'augmentation de la production de delta-globine est la meilleure option thérapeutique. L'hémoglobine delta a des propriétés très similaires à celles de la bêta-globine et peut être utilisée pour traiter presque tous les patientes et patients», explique Mandy Boontanrart.
Un spin-off en préparation
Afin de mettre en pratique les résultats de ses recherches, Mandy Boontanrart a lancé le projet Ariya Bio en 2021 dans le cadre de son ETH Pioneer Fellowship. Ariya Bio a son siège dans l'ieLab de l'ETH Zurich à Schlieren, dans la banlieue de Zurich. L'année suivante, l'ETH Zurich a également déposé une demande de brevet pour protéger l'invention.
Mandy Boontanrart prépare actuellement des études précliniques avec l'aide de deux subventions supplémentaires, une bourse Bridge du FNS et l'Agence suisse pour l'innovation Innosuisse. Ces études devraient débuter en septembre. Les chercheurs et chercheuses souhaitent d'abord tester leur traitement sur des animaux afin de déterminer s'il est sûr et efficace pour les organismes vivants. Les tests précédents ont été effectués sur des cultures cellulaires.
Mandy Boontanrart estime qu'il est trop tôt pour dire avec précision quand son traitement contre la bêta-thalassémie sera prêt à être mis sur le marché. Elle espère terminer tous les essais cliniques et lancer un produit d'ici à 2030. «J'ai bon espoir que le processus d'approbation sera plus rapide pour nous que pour les techniques d'édition de gènes actuellement à l'étude, car elles contribuent également à ouvrir la voie à notre approche.»