Apprendre à contrôler le VIH grâce à l'analyse de génomes africains
En recherchant des variations génétiques humaines associées au contrôle spontané du VIH, nous avons identifié une nouvelle région du génome qui n’est variable que dans les populations d’ascendance africaine», déclare Jacques Fellay, professeur à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL. «Nous avons exploré le mécanisme biologique à l’origine de l’association génétique au travers d’approches informatiques et expérimentales, ce qui nous a permis de montrer que le gène CHD1L limite la réplication du VIH dans un sous-ensemble de globules blancs.»
Le VIH reste un problème
Malgré des avancées significatives en matière de médicaments et d’accès à la thérapie, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) reste un enjeu sanitaire mondial avec près de 40 millions de personnes contaminées, et toujours pas de vaccin ni de traitement curatif. Ce virus attaque les cellules immunitaires (cellules T auxiliaires, macrophages et cellules dendritiques), diminuant leur capacité à organiser une réponse immunitaire. En l’absence de traitement, la personne contaminée devient plus vulnérable aux infections opportunistes et à certains cancers, ce qui caractérise le syndrome d’immunodéficience acquise, connu sous le nom de SIDA.
Bien que le nombre annuel de contaminations par le VIH ait diminué grâce à la généralisation des thérapies antirétrovirales, la tendance s’est considérablement ralentie depuis 2005, et le nombre d’adultes nouvellement contaminés augmente même de façon inquiétante dans certaines régions.
VIH et études sur le génome humain
Le chemin vers de nouvelles thérapies passe par la recherche fondamentale, notamment l’étude de la relation entre le génome humain et la progression de l’infection par le VIH, qui peut révéler de potentielles cibles thérapeutiques.
Les études d’association pangénomique ou GWAS analysent l’ensemble du génome d’un grand nombre d’individus afin d’identifier les variantes génétiques associées à des différences importantes cliniquement, comme la capacité à contrôler naturellement la réplication virale.
Mesurer le contrôle de la réplication du VIH: insuffisant chez les populations africaines
Le degré d’infection virale est estimé par la mesure de la charge virale («set point viral load» ou spVL). Celle-ci correspond au niveau relativement stable de réplication du VIH dans l’organisme après la phase initiale de l’infection chez les personnes non traitées.
Facteur déterminant de la progression et de la transmissibilité de l’infection par le VIH, la spVL est exprimée en nombre de virus par millilitre de plasma. La spVL du VIH varie considérablement au sein de la population contaminée, en fonction de la capacité du système immunitaire de chaque individu à contrôler la réplication virale sans médicaments antirétroviraux.
Alors que de vastes études ont été menées sur le contrôle de la spVL dans les populations d’ascendance européenne, on en dénombre beaucoup moins dans les populations d’ascendance africaine, qui sont encore largement sous-représentées dans les études génomiques humaines. Il s’agit à la fois d’un problème majeur, compte tenu du fardeau disproportionné du VIH en Afrique, et d’une occasion manquée, étant donné la grande diversité du génome des personnes d’ascendance africaine, qui augmente la probabilité de découvertes génétiques.
Un gène clé pour la résistance à la réplication du VIH chez les personnes d’ascendance africaine
Pour remédier à cette disparité, une vaste collaboration internationale de scientifiques et de cliniciennes et cliniciens a réalisé une étude d’association pangénomique à partir de données provenant de diverses populations d’ascendance africaine. Au total, les scientifiques ont analysé les génomes de 3 879 personnes vivant avec le VIH-1. Leur analyse a permis l’identification d’une nouvelle région du génome qui présente une forte association avec le contrôle de la spVL.
L'étude a été codirigée par Jacques Fellay de l'EPFL, Paul McLaren du Laboratoire national de microbiologie de l'Agence santé publique du Canada, et Manjinder Sandhu de l’Imperial College London. Elle est maintenant publiée dans Nature.
Cette région correspond à un gène connu sous le nom de CHD1L (pour «Chromodomain Helicase DNA Binding Protein 1 Like»), qui code pour une protéine qui aide l’ADN à se dérouler après avoir été endommagé, ce qui permet de le réparer. L’étude a identifié, au sein du gène CHD1L, une variation génétique spécifique aux populations d’ascendance africaine, liée au contrôle spontané du type de VIH le plus courant et le plus virulent, appelé VIH-1.
Après avoir identifié CHD1L comme modulateur potentiel de l’infection par le VIH-1, les chercheuses et chercheurs ont étudié le mécanisme biologique à l’origine de l’association génétique et sont arrivés à la conclusion que CHD1L joue un rôle dans la limitation de la réplication du VIH dans un sous-type spécifique de globules blancs.
La découverte du rôle du CHD1L dans la limitation de la réplication du VIH pourrait permettre d’améliorer les options thérapeutiques pour les personnes contaminées. «Nos résultats fournissent des indications sur de potentielles cibles thérapeutiques, qui sont nécessaires pour poursuivre la lutte contre le VIH-1», affirme Jacques Fellay. «Ils soulignent également l’importance de réaliser des études génomiques dans diverses populations ancestrales afin de mieux répondre à leurs besoins médicaux spécifiques et aux inégalités mondiales en matière de santé.»