Les difficultés de prédire le bloom de cyanobactéries
Le ciel est immaculé, l’air est lourd. L’envie nous prend de nous rafraîchir dans le lac. Mais l’eau a parfois une apparence peu ragoûtante – d’une couleur verdâtre ou rougeâtre, voire recouverte d’une épaisse couche visqueuse. La cause: une efflorescence de cyanobactéries potentiellement toxique.
Les algues bleues, appelées aussi cyanobactéries, font partie du phytoplancton. Ce sont des organismes qui pratiquent la photosynthèse et nagent librement dans l’eau. Normalement, elles fournissent nourriture et oxygène à d’autres organismes aquatiques. La croissance du phytoplancton dépend de la quantité de nutriments présents dans l’eau. Dans un écosystème sain, sa croissance est régulée par de petits animaux appelés zooplancton. Le zooplancton se nourrit de phytoplancton, comme les vaches se nourrissent d’herbe. Certaines espèces d’algues bleues peuvent produire des substances toxiques pour le zooplancton. C’est pourquoi ce dernier les évite, ce qui leur permet de se multiplier et de s’accumuler en un temps record; un phénomène appelé «efflorescence» ou «bloom». Cette situation est comparable aux plantes qui poussent dans les pâturages et que les vaches évitent parce qu’elles sont toxiques. Dans ce cas, les plantes toxiques vont rapidement envahir le pré.
La plupart des efflorescences dans les lacs et les lacs de retenue sont provoquées par les cyanobactéries. Les substances toxiques produites par les cyanobactéries sont non seulement nocives pour le zooplancton, mais aussi pour les humains, le bétail et les animaux domestiques. Elles peuvent provoquer des irritations cutanées chez les personnes qui vont nager dans un lac pendant une efflorescence algale. Les sources d’eau potable polluées peuvent également affecter la santé du bétail, des animaux domestiques ou des populations. «Une grande efflorescence peut provoquer la mort des poissons», explique Peter Isles, ancien postdoctorant à l’Eawag. Lorsque les algues bleues meurent, elles coulent au fond du lac où elles se décomposent. Ce processus de décomposition consomme souvent presque tout l’oxygène du lac, ce qui peut entraîner une hécatombe chez les poissons.
Le réchauffement climatique pourrait rendre les efflorescences plus fréquentes
Une eau calme, chaude, riche en nutriments et un fort rayonnement solaire favorisent l’accumulation de phytoplancton. Dans des conditions favorables, des efflorescences de cyanobactéries peuvent se former en quelques jours ou en quelques semaines. «Les efflorescences sont fréquentes dans les lacs suisses. Néanmoins, les efflorescences toxiques n’apparaissent pas tous les ans dans tous les lacs», précise Francesco Pomati, responsable de groupe à l’Eawag. «Le réchauffement climatique pourrait toutefois démultiplier l’apparition d’efflorescences.» Une surveillance stricte des lacs est nécessaire pour protéger la santé humaine et limiter les pertes économiques causées par exemple par l’empoisonnement du bétail ou par la contamination de l’eau potable. C’est ce que font les chercheuses et les chercheurs, notamment pour le lac de Greifen avec Aquascope, la plateforme d’observation en temps réel la plus moderne au monde. Outre les paramètre physiques et chimiques de l’eau, on y surveille aussi le phytoplancton et le zooplancton à l’aide de caméras sous-marines à résolution temporelle très fine. «Nous observons actuellement dans le lac de Greifen la présence d’une multitude de cyanobactéries susceptibles de produire des substances toxiques. Si une longue période de chaleur s’installe dans un avenir proche, il est probable que des efflorescences nocives apparaissent», explique Francesco Pomati.
Avec le soutien d’une prestigieuse bourse Sinergia-Grant financée par le Fonds national suisse à hauteur de 1,8 million de francs suisses, Francesco Pomati et son équipe ont l’intention de continuer à étudier les espèces d’algues toxiques. Cela passe concrètement par la collecte manuelle de données génétiques qui permettront de déterminer si oui ou non le «gène toxique» est présent dans les cyanobactéries. Cette information doit ensuite être croisée avec les données à haute résolution temporelle sur le zooplancton et l’environnement collectées automatiquement, afin de mieux comprendre la dynamique de la population de cyanobactéries.
L’aide de la population est requise
Actuellement, les scientifiques testent également une application mobile existante combinée à un «système de caméra» simple à manipuler (PlanktoScope). Cette méthode devrait être utilisée à l’avenir par les «Citizen Scientists». Toute personne intéressée pourra ainsi contribuer à alerter précocement sur la présence d’efflorescences de cyanobactéries. Les scientifiques espèrent ainsi obtenir des données en temps réel sur les espèces et les quantités de phytoplancton dans toute la Suisse, et réduire les écarts de temps dans la collecte des données.
Une standardisation nécessaire
Des instruments de surveillance avec une fréquence élevée de collecte des données ne sont toutefois pas le seul défi à relever lorsqu’il s’agit d’alerter la population sur les dangereuses efflorescences algales. La modélisation et la prédiction de tels événements sont tout aussi importantes. Un bon modèle de prévision doit impérativement donner une définition standardisée des efflorescences. Et celle-ci faisait défaut jusqu’à présent. «Bien qu’il existe de multiples définitions de l’efflorescence, chacune d’entre elles est différente et calquée sur une application particulière», expliquent Francesco Pomati et Peter Isles dans une récente publication parue dans le célèbre magazine spécialisé Frontiers in Ecology and the Environment. Ils proposent par conséquent une définition standardisée de l’efflorescence. Contrairement aux autres définitions, elle ne s’appuie pas sur une valeur seuil de concentration de la biomasse, mais se réfère aux processus de croissance et de perte du phytoplancton.
En plus de la définition standardisée de l’efflorescence, Francesco Pomati et son équipe collaborent actuellement avec plusieurs autorités cantonales pour définir une méthode permettant de gérer au mieux les efflorescences. Ils testent et standardisent pour cela différentes méthodes et systèmes d’alerte précoce. Au final, tout cela contribuera à protéger la population et le bétail, et à réduire les pertes économiques dus aux efflorescences.