La Suisse veut une économie circulaire – mais pas de partage
Réutiliser, partager, collecter et recycler - en ces temps de chaînes d'approvisionnement défaillantes, les économies circulaires sont très demandées. Lorsque les produits et les matériaux circulent dans des flux de matières fermés, cela permet d'économiser les ressources et d'éviter les déchets. Le succès de cette démarche dépend aussi fortement de l'attitude et du comportement des consommatrices et consommateurs, qui utilisent, réparent, achètent d'occasion ou partagent les produits le plus longtemps possible.
Des politologues de l'ETH Zurich, en collaboration avec l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), ont examiné l'attitude de la population suisse vis-à-vis de l'économie circulaire. Leur enquête représentative auprès de plus de 6000 personnes montre que les Suissesses et Suisses ont une haute opinion de l'économie circulaire et sont conscients de ses avantages, mais qu'ils et elles la mettent rarement en œuvre dans leur vie quotidienne. «Il existe un fossé évident entre le soutien de principe et les comportements pratiques», explique Thomas Bernauer, professeur à l'ETH Zurich, qui a dirigé l'étude.
Majorité en faveur des mesures de soutien
Selon l'étude, une nette majorité de la population pense que les mesures d'économie circulaire auraient un effet bénéfique sur l'économie suisse. Les personnes interrogées partent du principe que la production de produits plus durables à partir de matériaux plus recyclés rendra la Suisse plus compétitive et moins dépendante des importations d'énergie et de matières premières sans affecter le marché du travail.
Par conséquent, de nombreuses personnes interrogées soutiennent fermement les mesures politiques qui favorisent l'économie circulaire, notamment l'obligation de réparation pour les détaillants, un label de réparabilité, une déclaration obligatoire de transport aérien et de durée de vie, ou un pourcentage obligatoire de matériaux recyclés dans les emballages.
Préférer acheter du neuf plutôt que de partager
La majorité des personnes interrogées se disent soucieuses de l'environnement. Pour les quatre produits que l'étude a examinés en détail - smartphones, aspirateurs, machines à laver et vêtements - deux tiers ont déclaré avoir vendu ou donné des produits usagés au cours des 12 derniers mois. Ce sont surtout les vêtements et les smartphones qui sont donnés d'occasion.
En revanche, les personnes interrogées sont beaucoup moins nombreuses à vouloir acheter elles-mêmes des produits d'occasion. Grâce aux boutiques de charité et aux magasins d'occasion, une certaine quantité de vêtements de seconde main est achetée - mais rarement des aspirateurs, des smartphones et des machines à laver. «On est beaucoup plus enclin à vendre ou à donner des articles usagés qu'à les acquérir soi-même», explique Franziska Quoss, coordinatrice de projet du groupe de Thomas Bernauer. L'offre et la demande entretiennent donc un rapport défavorable.
Selon les personnes interrogées, cela s'explique par le fait que l'achat ou la réparation de smartphones ou de vêtements d'occasion n'est pas rentable. Elles s'inquiètent également de la baisse de qualité des produits d'occasion. Toutefois, beaucoup déclarent simplement qu'elles préfèrent acheter et posséder des produits neufs.
Peu d'empressement à partager
Dans l'ensemble, la population suisse affiche un faible comportement circulaire. Qu'il s'agisse de vêtements, de téléphones portables, de perceuses ou d'aspirateurs, les consommateurs et consommatrices suisses semblent très réticents à partager des biens de consommation avec d'autres personnes, à louer, à faire réparer ou à acheter d'occasion. «L'économie du partage, souvent invoquée, est encore loin d'être une réalité», commente Thomas Bernauer.
Il est intéressant de noter que ce constat est relativement indépendant du prix de certains biens - même pour les voitures et les machines à laver, la location et le partage jouent un rôle moins important. Dans le cas des machines à laver et des voitures, l'écart entre le soutien de principe à l'idée et la mise en œuvre pratique est un peu plus faible, car ces produits plus chers sont plus susceptibles d'être réparés et recyclés.
En outre, les expériences de prise de décision de l'étude montrent que la volonté de payer pour des biens présentant des avantages circulaires est assez limitée. Lors de l'achat d'un produit, les consommatrices et consommateurs se concentrent beaucoup plus sur le prix et la durée de vie que sur des caractéristiques comme la réparabilité ou la recyclabilité.
Une marge de manœuvre pour les décideurs et décideuses politiques
Malgré ce tableau général peu réjouissant, l'étude fournit également de multiples points de départ aux décideuses et décideurs politiques. Les réglementations gouvernementales telles que l'obligation de réparer pour les détaillants, l'obligation de déclarer la durée de vie ou l'interdiction des produits invendus ont de bonnes chances d'avoir un écho majoritaire.
«Un label de réparabilité indiquant la facilité de réparation d'un produit serait toutefois d'une utilité limitée, surtout pour les biens bon marché, si la réparabilité en soi n'est pas un facteur décisif lors de l'achat et si les biens achetés sont rarement réparés», souligne Thomas Bernauer.
Il serait probablement plus judicieux de renforcer la demande de biens d'occasion de manière ciblée, par exemple par des incitations financières et des campagnes d'information soulignant les avantages pour le porte-monnaie et l'environnement, ajoute Franziska Quoss.
De cette manière, l'économie du partage pourrait contribuer à économiser des ressources et des coûts. Toutefois, son potentiel ne pourra être pleinement exploité que lorsque le partage deviendra chic et que l'achat d'occasion deviendra cool.
Panel suisse de l'environnement
En collaboration avec l'Office fédéral de l'environnement, des chercheuses et chercheurs de l'ETH Zurich interrogent deux fois par an, depuis 2018, plusieurs milliers de personnes sélectionnées au hasard en Suisse sur leur attitude à l'égard de diverses questions, mesures et tendances de politique environnementale et sur leur comportement. L'enquête par panel sert de base d'information pour les décideurs et décideuses politiques, l'administration, la science et la publicité.