L’énigme des microgels a été élucidée
Ils coulent dans nos veines, colorent les murs et rendent le lait goûteux: ils, ce sont les minuscules particules ou gouttelettes qui sont finement dispersées dans un solvant. Ensemble, ils forment un colloïde. Alors que les colloïdes contenant des particules dures – comme les pigments colorés dans une peinture à dispersion – sont bien compris sur le plan physique, les colloïdes avec particules molles – comme le colorant rouge de l’hémoglobine dans le sang ou les gouttelettes de graisse dans le lait – réservent une surprise de taille. Une expérience menée il y a 15 ans avait montré que les particules molles – appelés microgels – se compriment brusquement lorsqu’on augmente leur concentration au-delà d’un certain seuil. Les grandes particules se contractent alors pour adopter la taille de leurs voisines plus petites. Ce qui ne laisse pas d’étonner: cela se produit aussi lorsque les particules n’ont pas de contact les unes avec les autres. Les chercheurs se sont interrogés: comme une particule de gel peut-elle connaître la taille de sa voisine sans la toucher? Les microgels pratiqueraient-ils quelque chose de l’ordre de la «transmission de pensée»?
Confirmation de la thèse de 2016
«Non, bien entendu», sourit Urs Gasser. Depuis dix ans, ce physicien traque la rétraction miraculeuse des microgels dans les colloïdes. Avec une équipe de recherche, il a publié en 2016 des travaux qui expliquaient le phénomène. En deux mots: dans ce cas, les particules de polymères sont composées de longue chaînes de carbone, qui portent à une extrémité une faible charge négative. Ces chaînes forment une pelote, le microgel. Il faut l’imaginer comme une espèce de pelote de laine avec les propriétés d’une éponge. Dans cet enchevêtrement tridimensionnel, il existe donc des points de charge négative qui attirent les ions chargés positivement contenus dans le liquide. Ces ions, appelés contre-ions, s’organisent dans la pelote autour des charges négatives et forment un nuage chargé positivement à la surface du microgel. Lorsque les microgels se rapprochent, les nuages se chevauchent (voir aussi l’illustration). Cela augmente à nouveau la pression dans le liquide, ce qui comprime les particules de microgel jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre soit atteint.
Mais à l’époque, l’équipe de recherche n’était pas encore en mesure de démontrer l’existence du nuage de contre-ions de manière expérimentale. Aujourd’hui, Urs Gasser a apporté cette preuve avec son doctorant Boyang Zhou et Alberto Fernandez-Nieves de l’Université de Barcelone. Et cette preuve étaye de manière impressionnante la thèse de 2016. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue spécialisée Nature Communications.
Le rôle décisif de la source de neutrons SINQ pour résoudre le mystère
Ce sont les neutrons de la source de spallation SINQ au PSI, assortis d’une astuce expérimentale, qui ont rendu tout cela possible. En effet, le nuage de contre-ions dans le colloïde est si dilué qu’il n’est pas visible sur l’image des neutrons diffusés. Les contre-ions représentent moins d’un pourcent de la masse d’un microgel. Urs Gasser, Boyang Zhou et Alberto Fernandez-Nieves ont étudié deux échantillons: le premier était un colloïde contenant uniquement des ions sodium comme contre-ions, le second contenait des ions ammonium (NH4). Ces deux ions sont également présents naturellement dans les microgels. Et ils diffusent les neutrons différemment. Si l’on soustrait une image de l’autre, il ne reste que les signaux des contre-ions. «Cette solution apparemment simple exige le plus grand soin lors de la préparation des colloïdes si l’on veut rendre visibles les nuages d’ions, précise Boyang Zhou. Personne n’avait jamais mesuré un nuage d’ions aussi dilué.»
Applications dans les domaines des cosmétiques ou de la pharmacie
Le fait de savoir comment les microgels mous se comportent dans des colloïdes permet de les tailler sur mesure pour de nombreuses applications. L’industrie pétrolière les pompe dans les gisements souterrains pour adapter les viscosité des puits de pétrole et faciliter l’extraction. Dans les cosmétiques, ce sont eux qui assurent la consistance des crèmes. On pourrait également imaginer des microgels intelligents que l’on pourrait charger de médicaments: les particules réagiraient par exemple à l’acide gastrique et libéreraient le médicament en se rétractant. Ou alors un microgel qui se rétracterait à haute température en une petite boule de polymère bien tassée et réfléchirait la lumière différemment que lorsqu’il est gonflé. Le phénomène pourrait être exploité pour un capteur de température dans de fins canaux de liquide. D’autres capteurs pourraient être conçus pour indiquer les changements de pression ou les impuretés. «Tout est imaginable, il n’y a pas de limites», conclut Urs Gasser.