D’abord le rétablissement, puis la stagnation: l’état de la biodiversité dans les cours d’eau européens
Même si les éphéméroptères, les plécoptères et les tricoptères sont des insectes volants, ils passent la majeure partie de leur vie dans l’eau en tant que larves. «Ces invertébrés et beaucoup d’autres contribuent aux importants processus des écosystèmes dans les cours d’eau douce. Ils décomposent les matériaux organiques, filtrent l’eau et transportent les nutriments entre zones aquatiques et terrestres. Par ailleurs, les invertébrés de ce type sont depuis longtemps un indicateur pour la surveillance de la qualité de l’eau», explique l’auteur principal de l’étude, le Prof. Peter Haase du Senckenberg Forschungsinstitut und Naturmuseum Frankfurt.
À cause de l’utilisation des sols agricoles et urbains, les eaux intérieures subissent des pressions anthropiques. Elles accumulent les polluants, des eaux usées chargées organiquement, des sédiments fins et des pesticides, et sont en outre menacées par des modifications telles que les barrages, le pompage d’eau, les espèces invasives et le changement climatique. Dans les années 1950 et 1960, des contre-mesures ont été prises en réaction au mauvais état des cours d’eau afin de rétablir les biotopes en eau douce. «En Suisse, la construction sur tout le territoire de stations d’épuration et la précipitation du phosphore dans celles-ci a provoqué un net recul de la pollution organique à partir des années 1980», explique Florian Altermatt. Ce responsable de groupe à l’Institut de recherche sur l’eau Eawag et professeur à l’université de Zurich a été le seul représentant d’un institut de recherche suisse participant à l’étude et a fourni des données sur la diversité des insectes en Suisse.
Durant les 50 dernières années, les étapes de prévention de la pollution des cours d’eau ont contribué à l’amélioration observée de la diversité biologique. Néanmoins, le nombre et l’effet des facteurs de stress qui menacent ces écosystèmes continuent d’augmenter dans le monde entier et la qualité biologique des rivières reste insuffisante dans de nombreux pays.
Les mesures sont épuisées – en Suisse comme ailleurs
En collaboration avec une grande équipe internationale, un jeu de données complet de 1816 séries chronologiques recueillies dans les systèmes fluviaux de 22 pays européens entre 1968 et 2020 a été analysé et comprend 714’698 observations de 2’648 espèces dans 26’668 échantillons. Les évaluations montrent que, partant de valeurs faibles durant la seconde moitié du 20e siècle, la diversité des espèces avec 0,73 pour cent comme la diversité fonctionnelle avec 2,4 pour cent par an, et la fréquence des espèces avec 1,17 pour cent par an, ont nettement augmenté sur une période de 53 ans.
«Ces augmentations se rencontrent toutefois surtout avant 2010 et se situent malheureusement depuis à un niveau plus ou moins égal. Tandis que l’augmentation de la diversité biologique dans les années 1990 et 2000 est probablement le reflet de l’efficacité des améliorations de la qualité de l’eau et des projets de renaturalisation, la stagnation qui s’ensuit indique un épuisement des mesures actuelles», explique Peter Haase.
Selon les résultats de l’étude, les communautés d’eau douce récupèrent moins vite en aval des barrages, des zones urbaines et de la zone d’influence des terres arables. Sur les sites qui se réchauffent plus vite, la faune enregistre en outre une croissance plus faible de la diversité des espèces, de la fréquence des individus et de la diversité fonctionnelle.
«Les communautés n’ont plus atteint la diversité qu’elles avaient à l’origine, et les espèces des grands fleuves qui coulent librement sont éteintes ou fortement menacées dans toute l’Europe», déclare Florian Altermatt. «Nous en déduisons qu’une partie des efforts entrepris pour protéger la biodiversité ont été utiles mais que ceux-ci étaient insuffisants – d’autant que nous faisons face à de nouveaux défis comme le changement climatique par exemple.»
Ces constatations valent également pour la Suisse, explique-t-il. «Il peut exister localement d’autres modèles, l’utilisation des sols en Suisse est par exemple plus intensive, notamment à cause de l’agriculture et de l’urbanisation.» Une autre grande différence par rapport à de nombreux autres pays, ce sont les cours d’eau alpins, utilisés pour la production d’électricité et plus touchés par le réchauffement climatique que les rivières en plaine.
Options de mesures envisageables
L’équipe de scientifiques recommande notamment de réduire les apports d’engrais et de produits phytosanitaires sur les surfaces agricoles et de créer de vastes zones alluviales et inondables – ce qui constitue aussi une adaptation des systèmes fluviaux aux futures conditions climatiques et hydrologiques.
«À l’avenir, la surveillance de la diversité biologique devrait être associée à la collecte en parallèle de données environnementales. C’est l’unique solution pour pouvoir décrire les changements temporels au sein de la biodiversité, déterminer les facteurs liés à l’environnement et les zones fortement menacées et de maximiser la protection de la diversité biologique», conclut Haase.