Brille brille petite satellite
Imaginez Babylone vers 1000 av. J.-C. Les habitants de la cité antique ont consigné leur vision des étoiles, créant quelques-uns des premiers documents astronomiques. À Babylone et au-delà, depuis des millénaires, les êtres humains se servent des étoiles pour la mesure du temps, la cartographie, la navigation et les semailles.
Des milliers d’années plus tard, l’astronome italien Galilée a commencé à changer notre vision de l’Univers grâce aux observations qu’il a faites à l’aide de son télescope, notamment que la Terre n’était pas au centre de tout.
Aujourd’hui, les astronomes observent l’Espace à travers le spectre électromagnétique, des ondes radioélectriques basses fréquences et de la lumière visible jusqu’aux rayons gamma. À l’aide de télescopes terrestres et spatiaux, ils ont détecté des sursauts radio rapides, des milliers d’exoplanètes et de la matière noire. Ces découvertes fondamentales nous aident à mieux comprendre notre place dans l’Univers.
Cependant, des problèmes se préparent dans le ciel. Malgré les avantages des activités spatiales pour l’humanité, l’augmentation de la pollution lumineuse et du bruit radioélectrique provenant des satellites artificiels nuit à notre capacité d’accéder au ciel nocturne, ce qui a de graves conséquences pour la science et la société.
L’orbite de la Terre inondée de dizaines de milliers de satellites
Il y a actuellement une dizaine de milliers de satellites actifs en orbite autour de la Terre, et on estime qu’ils seront 100 000 d’ici à 2030. La plupart seront lancés par Starlink, OneWeb et Amazon pour permettre un accès Internet haut débit ou l’observation de la Terre. Si l’on ajoute à cela les 37 000 débris spatiaux de plus de 10 cm qui réfléchissent également la lumière du soleil, on peut résumer la situation ainsi: «Houston, nous avons un problème».
«L’augmentation exponentielle du nombre de satellites actifs entraîne des niveaux plus élevés de pollution lumineuse et crée de longues traînées lumineuses sur les images d’astronomie optique prises à la surface de la Terre. Dans le même temps, les ondes radio émises par les satellites de télécommunication interfèrent avec les radiotélescopes», explique le professeur Jean-Paul Kneib, directeur du Laboratoire d’astrophysique (LASTRO) de l’EPFL.
Jean-Paul Kneib est également délégué scientifique suisse auprès du Square Kilometer Array Observatory (SKAO), une organisation internationale qui construit le plus grand radiotélescope du monde. Le secrétariat du Square Kilometre Array Switzerland (SKACH) se trouve à l’EPFL.
Cette installation de radioastronomie de nouvelle génération sera notamment en mesure de détecter pour la première fois les signaux de l’aube cosmique, lorsque les toutes premières étoiles et galaxies étaient sur le point de se former. Cela permettra de répondre à certaines des questions scientifiques les plus fondamentales de notre époque.
Avec une phase opérationnelle prévue d’au moins 50 ans, le SKAO sera l’une des pierres angulaires de la physique du XXIe siècle, mais la prolifération des constellations de satellites pose déjà un défi aux travaux préliminaires qu’elle et ses installations précurseurs effectuent.
Les radiofréquences pour la science et la société
Aujourd’hui, de nombreux radiotélescopes sont situés dans des zones de silence radio protégées pour prévenir les interférences de radiofréquences au sol. Cependant, le nombre de nouveaux satellites en orbite proche de la Terre signifie que ces zones n’assurent plus le niveau de protection qu’elles avaient dans le passé. Les constellations de satellites de plus en plus nombreuses émettront constamment des signaux au-dessus de ces radiotélescopes hautement sensibles et risquent d’influer fortement sur les mesures si des actions préventives ne sont pas prises.
Certaines bandes de fréquences étroites sont protégées par l’Union internationale des télécommunications (UIT) pour la radioastronomie, mais ne représentent qu’une infime fraction du spectre radioélectrique qui est principalement alloué aux communications, à la navigation, ainsi qu’à des utilisations militaires et commerciales.
Le Règlement des radiocommunications est révisé tous les 3 à 4 ans lors des Conférences mondiales des radiocommunications (CMR). En 2023, pour la première fois depuis plus de dix ans, les parties prenantes de la radioastronomie ont fait approuver un nouveau point à l’ordre du jour de la prochaine réunion en 2027 afin d’examiner les «études sur les dispositions techniques et réglementaires nécessaires à la protection de la radioastronomie opérant dans des zones de silence radio spécifiques».
La communauté de la radioastronomie prépare actuellement ses positions pour la CMR de 2027, en informant les gouvernements de l’importance des radiofréquences pour la recherche et en sensibilisant le grand public et les astronomes.
La gouvernance de l’Espace extra-atmosphérique
Réglementer ce qui va dans l’Espace est une autre histoire. On peut y voir le «Far West» là-haut. Le Traité sur l’Espace extra-atmosphérique, l’accord international fondamental qui régit la manière dont les nations agissent dans l’Espace, a été adopté par les Nations Unies en 1967. Il contient peu de règles, bien qu’il garantisse la liberté d’exploration de l’Espace et de son utilisation à des fins pacifiques, le libre accès à l’Espace et la liberté de recherche scientifique dans l’Espace extra-atmosphérique.
Un autre principe clé du Traité est que «les États doivent éviter la contamination nuisible de l’Espace et des corps célestes». Lorsque les satellites existent par dizaines ou centaines de milliers, peut-on les qualifier de contamination nuisible? Combien sont suffisants?
«Il est important que la communauté mondiale élabore une approche innovante de la gouvernance spatiale, qui tienne compte des complexités de la géopolitique actuelle tout en garantissant un accès équitable aux infrastructures spatiales pour le bien de l’humanité. La communauté spatiale pourrait certainement chercher à tirer des enseignements de la crise climatique et à prendre en compte différentes valeurs et opinions culturelles», affirme Emmanuelle David, directrice exécutive du Centre spatial de l’EPFL.
Un ciel sombre et calme
Face au défi posé par des dizaines de milliers de satellites dans le ciel, le Centre de l’Union astronomique internationale (UAI) pour la protection du ciel sombre et calme contre les interférences des constellations de satellites a été officiellement inauguré en 2022. La même année, et pour la première fois, l’UAI, la SKAO et l’Observatoire européen austral (ESO) ont soumis pour examen un document au Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA).
C’était la première fois que la protection du ciel sombre et calme de la Terre était inscrite officiellement à l’ordre du jour des Nations Unies. Cela encourage la communauté internationale à protéger les capacités mondiales d’observation astronomique contre les interférences artificielles perturbatrices et nuisibles. Aujourd’hui, Jean-Paul Kneib et Thomas Schildknetch de l’Université de Berne ont été nommés par le gouvernement suisse comme représentants au sein de la nouvelle initiative Group of Friends of the Dark & Quiet Skies for Science and Society. Sous les auspices du CUPEEA, celui-ci rassemblera des recommandations de spécialistes en vue d’atténuer les interférences des satellites et des constellations de grands satellites sur l’astronomie.
«Nous devons reconnaître les dommages causés par l’expansion de la lumière artificielle la nuit. En tant que membre de cette initiative GoF, nous voulons nous assurer que “l’impact des constellations de satellites sur les installations astronomiques” est à l’ordre du jour afin de discuter de ces problèmes et de veiller à ce qu’ils soient résolus ou atténués de manière satisfaisante», déclare Jean-Paul Kneib.
Aujourd’hui, si vous avez la chance d’observer une belle nuit étoilée dans un endroit éloigné, vous verrez plus de satellites en orbite qu’il n’y a d’étoiles filantes. Les célèbres colliers de perles de Starlink peuvent être momentanément fascinants, mais avons-nous envie de voir des centaines de satellites sans cesse en mouvement, de n’importe quel endroit sur Terre, qui éclipsent les étoiles? Le ciel nocturne immaculé est-il un patrimoine humain?
«En l’absence de toute réglementation existante, ce sont nos sociétés, et non les entreprises privées, qui devraient décider de protéger ou non notre ciel sombre et calme en tant que ressource partagée par toute l’humanité», conclut Jean-Paul Kneib.