Une autre façon de manipuler les états quantiques
En bref
- Les spins d'électrons sont de plus en plus utilisés pour le stockage et le traitement des données dans les aimants classiques et les bits quantiques (qubits)
- Jusqu'à présent, l'orientation d'un spin unique est généralement contrôlée à l'aide de champs électromagnétiques. Les scientifiques montrent aujourd'hui qu'il est également possible de manipuler sélectivement les états quantiques de ces spins à l'aide de courants polarisés en spin.
- Ces courants pourraient également être utilisés pour piloter avec précision des éléments de circuit dans des dispositifs quantiques et ainsi, par exemple, contrôler les états quantiques de qubits magnétiques.
Les électrons possèdent un moment angulaire intrinsèque, appelé spin, qui leur permet de s'aligner sur un champ magnétique, à l'instar d'une aiguille de boussole. Outre la charge électrique des électrons, qui détermine leur comportement dans les circuits électroniques, leur spin est de plus en plus utilisé pour le stockage et le traitement des données. On peut d'ores et déjà acheter des éléments de mémoire MRAM (magnetic random access memories), dans lesquels l'information est stockée dans des aimants très petits mais encore classiques, c'est-à-dire contenant un très grand nombre de spins d'électrons. Les MRAM sont basées sur des courants d'électrons dont les spins sont alignés en parallèle et qui peuvent modifier l'aimantation en un point particulier d'un matériau.
Pietro Gambardella et ses collaboratrices et collaborateurs de l'ETH Zurich montrent aujourd'hui que ces courants polarisés en spin peuvent également être utilisés pour contrôler les états quantiques des spins d'un seul électron. Leurs résultats, qui viennent d'être publiés dans la revue scientifique Science, pourraient être utilisés à l'avenir dans différentes technologies, par exemple pour contrôler les états quantiques de bits quantiques (qubits).
Courants tunnel dans les molécules simples
«Traditionnellement, les spins des électrons sont manipulés à l'aide de champs électromagnétiques tels que les ondes radiofréquences ou les micro-ondes», explique Sebastian Stepanow, chercheur principal au laboratoire de Pietro Gambardella. Cette technique, également connue sous le nom de résonance paramagnétique électronique, a été mise au point dès le milieu des années 1940 et a depuis été utilisée dans différents domaines tels que la recherche sur les matériaux, la chimie et la biophysique. «Il y a quelques années, il a été démontré que l'on pouvait induire la résonance paramagnétique électronique dans des atomes uniques ; cependant, jusqu'à présent, le mécanisme exact de ce phénomène n'était pas clair», explique Sebastian Stepanow.
Pour étudier de plus près les processus mécaniques quantiques à l'origine de ce mécanisme, les chercheuses et chercheurs ont préparé des molécules de pentacène (un hydrocarbure aromatique) sur un substrat d'argent. Une fine couche isolante d'oxyde de magnésium avait été déposée au préalable sur le substrat. Cette couche garantit que les électrons de la molécule se comportent plus ou moins comme dans l'espace libre.
À l'aide d'un microscope à effet tunnel, les scientifiques ont d'abord caractérisé les nuages d'électrons dans la molécule. Pour ce faire, ils et elles ont mesuré le courant créé lorsque les électrons se déplacent par effet mécanique quantique de la pointe d'une aiguille en tungstène vers la molécule. Selon les lois de la physique classique, les électrons ne devraient pas pouvoir franchir l'espace entre la pointe de l'aiguille et la molécule parce qu'ils n'ont pas l'énergie nécessaire. La mécanique quantique, cependant, permet aux électrons de franchir l'espace par «tunnel» malgré ce manque d'énergie, ce qui conduit à un courant mesurable.
Aimant miniature sur la pointe d'une aiguille
Ce courant tunnel peut être polarisé en spin en utilisant d'abord la pointe de tungstène pour capter quelques atomes de fer, qui se trouvent également sur la couche isolante. Sur la pointe, les atomes de fer créent une sorte d'aimant miniature. Lorsqu'un courant tunnel traverse cet aimant, les spins des électrons dans le courant s'alignent tous parallèlement à sa magnétisation.
Les scientifiques ont appliqué une tension constante et une tension oscillant rapidement à la pointe de tungstène magnétisée et ont mesuré le courant tunnel qui en résulte. En variant l'intensité des deux tensions et la fréquence de la tension oscillante, elles et ils ont pu observer des résonances caractéristiques dans le courant tunnel. La forme exacte de ces résonances leur a permis de tirer des conclusions sur les processus qui se sont produits entre les électrons tunnel et ceux de la molécule.
Contrôle direct du spin par des courants polarisés
Sebastian Stepanow et ses collègues ont pu tirer deux conclusions de ces données. D'une part, les spins des électrons de la molécule de pentacène réagissaient au champ électromagnétique créé par la tension alternative de la même manière que dans la résonance paramagnétique électronique ordinaire. D'autre part, la forme des résonances suggère l'existence d'un processus supplémentaire qui influence également les spins des électrons dans la molécule.
«Ce processus est ce que l'on appelle le couple de transfert de spin, pour lequel la molécule de pentacène est un système modèle idéal», explique Stepan Kovarik, étudiant en doctorat. Le couple de transfert de spin est un effet dans lequel le spin de la molécule est modifié sous l'influence d'un courant polarisé en spin sans l'action directe d'un champ électromagnétique. Les chercheurs et chercheuses de l'ETH Zurich ont démontré qu'il est également possible de créer des états de superposition mécanique quantique du spin moléculaire de cette manière. De tels états de superposition sont utilisés, par exemple, dans les technologies quantiques.
«Ce contrôle du spin par des courants polarisés au niveau quantique ouvre la voie à de nombreuses applications», explique Stepan Kovarik. Contrairement aux champs électromagnétiques, les courants polarisés en spin agissent très localement et peuvent être dirigés avec une précision inférieure au nanomètre. Ces courants pourraient être utilisés pour adresser très précisément des éléments de circuits électroniques dans des dispositifs quantiques et ainsi, par exemple, contrôler les états quantiques de qubits magnétiques.