L'IA dans un mini-laboratoire ou la précision à l'épreuve
Quiconque développe une solution d'IA part parfois à la découverte de l'inconnu. Au moins au début, les chercheuses et chercheurs et les concepteurs et conceptrices ne savent pas toujours si leurs algorithmes et leurs modèles d'IA fonctionneront comme prévu ou si l'IA finira par commettre des erreurs. Parfois, des applications d'IA qui fonctionnent bien en théorie donnent de mauvais résultats dans des conditions réelles. Or, pour gagner la confiance des utilisatrices et utilisateurs, une IA doit fonctionner de manière fiable et correcte (voir ETH Globe Magazine, 18.03.2025). Cela s'applique aussi bien aux chatbots populaires qu'aux outils d'IA en cours de recherche.
Tout nouvel outil d'IA doit être testé de manière approfondie avant d'être déployé dans le monde réel. Cependant, les tests dans le monde réel peuvent s'avérer coûteux, voire risqués. C'est pourquoi les scientifiques testent souvent leurs algorithmes dans des simulations informatiques de la réalité. Toutefois, les simulations étant des approximations de la réalité, tester des solutions d'IA de cette manière peut conduire les chercheurs et chercheuses à surestimer les performances d'une IA. Dans un article paru dans Nature Machine Intelligence, Juan Gamella, mathématicien à l'ETH Zurich, présente une nouvelle approche que les scientifiques peuvent utiliser pour vérifier la fiabilité et la justesse du fonctionnement de leurs algorithmes et de leurs modèles d'IA. Un modèle d'IA est basé sur certaines hypothèses et est formé pour apprendre à partir de données et effectuer des tâches données de manière intelligente. Un algorithme comprend les règles mathématiques que le modèle d'IA suit pour traiter une tâche.
Tester l'IA au lieu de la surestimer
Juan Gamella a construit des laboratoires miniatures spéciaux (mini-labs) qui peuvent être utilisés comme bancs d'essai pour de nouveaux algorithmes d'IA. «Les mini-laboratoires offrent un environnement de test flexible qui fournit des données de mesure réelles. C'est un peu comme un terrain de jeu pour les algorithmes, où les chercheurs et chercheuses peuvent tester leur IA au-delà des données simulées dans un environnement contrôlé et sûr», explique Juan Gamella. Les mini-laboratoires sont construits autour d'une physique bien comprise, de sorte que les scientifiques peuvent utiliser ces connaissances pour vérifier si leurs algorithmes parviennent à la bonne solution pour toute une série de problèmes. Si une IA échoue au test, les chercheuses et chercheurs peuvent apporter des améliorations ciblées aux hypothèses mathématiques et aux algorithmes sous-jacents dès le début du processus de développement.
Les premiers mini-laboratoires de Juan Gamella sont basés sur deux systèmes physiques qui présentent des propriétés essentielles avec lesquelles de nombreux outils d'intelligence artificielle doivent composer dans des conditions réelles. La manière dont les mini-laboratoires sont utilisés dépend de la question examinée et de l'objectif de l'algorithme. Par exemple, son premier mini-laboratoire contient un système dynamique tel que le vent, qui change constamment et réagit aux influences extérieures. Il peut être utilisé pour tester les outils d'IA pour les problèmes de contrôle. Son deuxième mini-laboratoire, qui obéit à des lois physiques connues pour la lumière, peut être utilisé pour tester une IA qui vise à apprendre automatiquement ces lois à partir de données et à aider ainsi les scientifiques à faire de nouvelles découvertes.
Les mini-laboratoires sont des dispositifs tangibles, de la taille d'un ordinateur de bureau, qui peuvent être commandés à distance. Ils rappellent les expériences de démonstration historiques menées par les scientifiques à partir du XVIe siècle pour présenter, discuter et améliorer leurs théories et leurs découvertes dans les sociétés scientifiques. Juan Gamella compare le rôle des mini-laboratoires dans la conception d'algorithmes d'IA à celui d'une soufflerie dans la construction aéronautique : lorsqu'un nouvel avion est en cours de développement, la majeure partie du travail de conception est d'abord réalisée à l'aide de simulations informatiques, parce que c'est plus efficace et plus rentable. Une fois que les ingénieur·es se sont mis d'accord sur leurs conceptions, ils et elles construisent des modèles miniatures et les testent dans une soufflerie. Ce n'est qu'ensuite qu'elles et ils construisent un avion de taille normale et le testent en vol réel.
Une étape intermédiaire entre la simulation et la réalité
«À l'instar de la soufflerie pour les avions, les mini-laboratoires servent à vérifier que tout fonctionne dès le début, lorsque nous passons de la simulation à la réalité», explique Juan Gamella. Il considère les tests d'algorithmes d'IA dans un environnement contrôlé comme une étape intermédiaire cruciale pour s'assurer qu'une IA fonctionne dans des scénarios complexes du monde réel. Les mini-laboratoires offrent cette possibilité pour certains types d'IA, en particulier ceux qui sont conçus pour interagir directement avec le monde physique.
Les mini-laboratoires aident les scientifiques à étudier le problème de la transition entre la simulation et la réalité en leur fournissant un banc d'essai où elles et ils peuvent réaliser autant d'expériences qu'ils et elles le souhaitent. Ce problème de transition est également pertinent à l'intersection entre la robotique et l'IA, où les algorithmes d'IA sont souvent formés pour résoudre des tâches dans un environnement simulé d'abord, et seulement ensuite dans le monde réel. La fiabilité s'en trouve accrue.
Juan Gamella a commencé par obtenir un bachelor en mathématiques avant de poursuivre un master en robotique à l'ETH Zurich. En tant que doctorant, il est revenu aux mathématiques et à la recherche sur l'intelligence artificielle. Il a conservé son goût pour la physique et la technologie : «Je veux développer des outils qui aident les scientifiques à résoudre des questions de recherche.» L'application de ses mini-laboratoires ne se limite pas à l'ingénierie. Avec un collègue de l'Hôpital universitaire de la Charité à Berlin, il a tenté de concevoir un mini-laboratoire pour tester les algorithmes d'IA en biologie cellulaire et en biologie synthétique. Mais les coûts étaient trop élevés. En revanche, son deuxième mini-laboratoire, un tunnel lumineux, est déjà utilisé comme environnement de test dans la production industrielle - pour un problème d'optique. Les mini-laboratoires ont également permis de tester diverses nouvelles méthodes permettant aux grands modèles de langage (LLM) de faire des prédictions plus précises dans le monde réel.
L'IA causale - la solution miracle pour une IA correcte
Dans un article publié dans Nature Machine Intelligence, Juan Gamella a adopté l'approche de la solution miracle pour prouver la pertinence de ses mini-laboratoires et a finalement démontré qu'ils sont utiles même pour les questions d'IA causale. La recherche sur la causalité et l'IA causale est un domaine clé des statistiques et de l'informatique théorique qui est fondamental pour les modèles d'IA : pour que les modèles d'IA fonctionnent de manière fiable et correcte, ils doivent comprendre les relations causales.
Cependant, les modèles d'IA ne reflètent souvent pas les relations causales du monde, mais font des prédictions basées sur des corrélations statistiques (voir l'interview de Thomas Hofmann, professeur d'informatique à l'ETH Zurich). D'un point de vue scientifique, la causalité est un concept fondamental qui décrit les relations entre la cause et l'effet. L'IA causale fait référence aux modèles d'IA qui reconnaissent les relations de cause à effet. Les résultats de l'IA causale sont plus précis et plus transparents. C'est pourquoi l'IA causale est importante pour des domaines tels que la médecine, l'économie et la recherche sur le climat.
De nouvelles méthodes statistiques sont nécessaires pour développer l'IA causale, car les relations causales sont parfois influencées par des circonstances particulières et des coïncidences. En outre, elles ne peuvent pas être facilement séparées les unes des autres dans des contextes complexes. Juan Gamella a travaillé sur des recherches en partenariat avec les professeurs de mathématiques de l'ETH Zurich Peter Bühlmann et Jonas Peters. Tous deux ont développé des approches importantes pour identifier les relations causales dans des conditions changeantes et les distinguer des influences confusionnelles ou du bruit aléatoire.
«Toutefois, ces méthodes sont généralement difficiles à tester dans le monde réel», explique Juan Gamella. «Pour ce faire, nous avons besoin de données provenant de systèmes où les relations de cause à effet sont déjà connues afin de vérifier si nos algorithmes peuvent les apprendre avec précision. Ces données sont difficiles à trouver.» Pour la publication, les trois chercheurs de l'ETH Zurich ont donc testé des algorithmes d'IA causale dans les mini-laboratoires construits par Juan Gamella. Ce dernier appelle d'ailleurs ses mini-laboratoires des chambres causales. Ils ont d'abord vérifié si les algorithmes apprenaient le bon modèle causal pour chaque mini-laboratoire, c'est-à-dire pour le vent et la lumière. Ils ont également observé dans quelle mesure les algorithmes identifiaient les facteurs qui s'influencent mutuellement et comment ils se comportaient dans des conditions inhabituelles ou lorsque des changements soudains se produisaient. Peter Bühlmann, le directeur de thèse de Juan Gamella, ne tarit pas d'éloges : «Les chambres causales constituent un complément précieux à la recherche sur la causalité. De nouveaux algorithmes peuvent être validés d'une manière sans précédent.»
Une manière sûre et ludique d'apprendre
Juan Gamella se réjouit des avantages inattendus que les chambres causales apportent à l'enseignement. «Comme les mini-laboratoires constituent un terrain de jeu sûr pour les algorithmes, ils sont aussi un excellent terrain de jeu pour les étudiant·es», explique-t-il. Les professeur·es d'intelligence artificielle, de statistiques et d'autres domaines de l'ingénierie peuvent les utiliser pour permettre à leurs étudiant·es d'appliquer directement ce qu'elles et ils ont appris dans un environnement pratique. Des professeur·es du monde entier ont déjà manifesté leur intérêt, et Juan Gamella met actuellement en place des études pilotes à l'ETH Zurich et à l'Université de Liège.