Gestion de l’eau: décider malgré les incertitudes

Dans la pratique, les décisions relatives à la gestion de l’eau sont souvent liées à de grandes incertitudes. Il est essentiel de quantifier ces incertitudes et de communiquer sur celles-ci pour que la science soutienne la transparence des décisions sociétales.
Eschelisbach Thurgovie (Photo: Esther Michel, Eawag)

Comment la recherche peut-elle soutenir les décisions pratiques de gestion de l’eau si de nombreux facteurs sont encore incertains? Pour la gestion des rivières, les prévisions des conséquences des diverses mesures sont souvent entachées d’incertitudes. L’état final que visent les projets de revitalisation de la rivière n’est pas toujours clair non plus, car les parties prenantes ne poursuivent pas toutes les mêmes objectifs – comme la régénération, la protection de la nature, la protection contre les inondations, la pêche ou la production d’énergie – et jugent donc les résultats possibles de manière contradictoire. Néanmoins, et malgré les incertitudes, il faut bien finir par prendre une décision.

Soutien à la décision plutôt qu’actions recommandées

Dans de telles situations, la recherche essaie d’apporter son soutien à l’administration et à la politique dans leurs décisions à l’aide de procédures formelles. Plutôt que de faire des recommandations sur les actions à engager, le but de cette procédure est de présenter aussi ouvertement que possible la pluralité des mesures potentielles et de montrer laquelle des alternatives proposées ou nouvellement développées permet de remplir au mieux les objectifs sociétaux. Ceci permet d’assurer la transparence sur les raisons à l’origine des décisions afin de pouvoir les justifier devant la société.

À cet effet, les chercheuses et les chercheurs utilisent d’une part les prévisions scientifiques pour présenter les conséquences des différentes options, par exemple l’impact d’une revitalisation d’un cours d’eau sur les organismes, la chimie et la morphologie de ce cours d’eau. D’autre part, des méthodes scientifiques sont utilisées pour recenser la palette souvent large des objectifs sociétaux, pour structurer la discussion et pour formuler ensuite un objectif clair. En effet, un projet de revitalisation de la rivière ne poursuit au début qu’un but assez vague, à savoir un «cours d’eau en bon état». Mais qu’est-ce que cela signifie exactement pour les poissons de cette rivière, pour les invertébrés, pour la qualité de l’eau et pour les caractéristiques morphologiques? Grâce à des analyses qualitatives des différentes valeurs cibles, les scientifiques peuvent aider les parties prenantes à établir une hiérarchie des objectifs et à définir un but final commun.

Le passage du soutien qualitatif au soutien quantitatif dans la prise de décision

Pour les petits projets décisionnels, une analyse qualitative est généralement suffisante. En revanche, lorsqu’il s’agit de projets de plus grande envergure ou de plusieurs projets similaires, l’administration et la politique souhaitent souvent des informations plus détaillées. Des analyses plus précises sont utiles pour le développement du système modulaire gradué, une méthode d’étude et d’évaluation systématique des cours d’eau destinée aux services cantonaux de la protection des eaux. C’est pourquoi les responsables de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) ont élaboré de telles analyses ces dernières décennies en collaboration avec les chercheuses et les chercheurs de l’Eawag et le personnel des offices cantonaux de protection des eaux et de bureaux de conseil en environnement. De premières procédures qui s’appuient sur une hiérarchie des objectifs et sur l’évaluation du degré de réalisation des objectifs ont été mises au point ces dernières années. Dans le système modulaire gradué, il s’agit des modules destinés à l’évaluation des macrophytes des cours d’eau et à l’évaluation morphologique des rives lacustres.

Quantifier les incertitudes et communiquer de manière intelligible

Si l’on parvient à quantifier les prévisions et les valeurs sociétales à l’aide de formules mathématiques, il n’en reste pas moins que si l’on dispose alors d’informations plus précises, celles-ci contiennent toujours des incertitudes inhérentes à la problématique de base. Formuler clairement et de manière intelligible ces incertitudes mathématiques et communiquer à leur propos est l’un des grands défis que doit relever la recherche – et pas seulement dans la gestion de l’environnement.

Peter Reichert, physicien et responsable du groupe Analyse appliquée des systèmes et gestion de l’eau à l’Eawag, intervient précisément à ce niveau. Il développe des méthodes élargies pour pouvoir quantifier de manière globale ces incertitudes et communiquer sur celles-ci. Il combine pour cela des techniques de statistiques éprouvées à d’autres rarement appliquées. Il a publié cette méthode dans l’article «Towards a comprehensive uncertainty assessment in environmental research and decision support» du journal Water Science & Technology.

Comment la pratique réagit-elle aux résultats complexes?

Dans le cadre d’un nouveau projet soutenu par le Fonds national suisse, il développe à présent ces méthodes avec Ambuj Sriwastava, postdoctorant à l’Eawag (voir description du projet ci-dessous). Lorsque les bases mathématiques seront établies, il sera intéressant d’appliquer les nouvelles méthodes à un cas réel et de voir les avantages et les défis qu’implique une prise en compte globale des incertitudes. Et à la fin, la grande question est la suivante: est-ce que les décideuses et décideurs auront la volonté d’accepter des résultats plus complexes et de s’en servir de support pour leurs décisions?  

Projet FNS «Comprehensive Uncertainty Assessment in Environmental Decision Support»

Dans les procédures conventionnelles de soutien à la décision, seules les incertitudes des prévisions scientifiques sont généralement prises en compte. En raison des grandes incertitudes liées à la formulation des objectifs et à la quantification incertaine de l’incertitude des prévisions, les incertitudes ne sont prises en compte que de manière incomplète. Ce projet a pour objectif de montrer comment prendre les incertitudes en compte de manière globale et comment ces méthodes font leurs preuves dans la pratique. Il s’agit dans un premier temps d’améliorer les méthodes de saisie des préférences et de décrire leurs incertitudes par une répartition des probabilités. On tient ainsi compte du fait que non seulement les prévisions scientifiques sont incertaines, mais les objectifs sociétaux aussi. Cela se justifie par les différents objectifs poursuivis par les différentes parties prenantes, par la mutation des valeurs sociétales au fil du temps et par la difficulté de décrire mathématiquement ces valeurs. L’étape suivante est de prendre en compte les incertitudes dans les probabilités qui décrivent les valeurs sociétales incertaines mais aussi les prévisions scientifiques incertaines. Dans une dernière

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Publication originale

Reichert, P. (2020) Towards a comprehensive uncertainty assessment in environmental research and decision support, Water Science and Technology, 81(8), 1588-1596, doi:10.2166/wst.2020.032, Institutional Repository

Liens

  • REFORM– Restoring rivers for effective catchment management, Projet Eawag (en anglais)
  • Système modulaire gradué- Informations de l'Office fédéral de l'environnement OFEV