Climpact: voyage, fondue et CO2
Alors que l’environnement, y compris notre climat, est devenu la principale préoccupation de la population suisse en 2022, une enquête mondiale réalisée par l’entreprise d’étude de marché IPSOS a révélé que des idées fausses circulent sur les solutions climatiques les plus efficaces.
Afin de mieux comprendre comment les gens perçoivent l’efficacité des actions climatiques, deux chercheurs de l’EPFL, Victor Kristof et Lucas Maystre, qui font partie du Laboratoire de la dynamique de l’information et des réseaux de la Faculté informatique et communications (IC), ont lancé un outil interactif pour mesurer et partager la perception qu’ont les gens de l’impact de leurs choix quotidiens.
«Nous voulions appliquer des modèles statistiques que nous avons développés dans notre recherche pour étudier comment les gens perçoivent l’empreinte carbone de leurs actions, par exemple boire de l’eau en bouteille plastique représente quelle quantité d’émissions? C’est une question très difficile. La plupart des gens n’en ont sans doute aucune idée. Le modèle que nous avons développé convertit les comparaisons de l’empreinte carbone de différentes actions en une échelle absolue. Nous pouvons ainsi comparer la perception à celle de l’empreinte carbone réelle», explique Victor Kristof.
Les jeux de données n’existaient pas
En 2019, le duo a commencé à créer un jeu de données d’actions comme prendre l’avion, manger de la viande ou chauffer son logement. Ils ont développé une petite application de démonstration et ont recueilli 2 000 réponses de 250 étudiantes et étudiants, créant un jeu de données de 18 actions. Ils ont trouvé que la tâche la plus difficile n’était pas de collecter les données de l’enquête, d’exécuter leur modèle ni de développer le site web, mais de trouver les informations sur la quantité d’émissions de carbone produites par des actions spécifiques.
«Ce que l’on trouve très souvent, c’est une approche descendante. Les 45 millions de tonnes de CO2 produites chaque année par la Suisse sont divisées par sa population de 8 millions d’habitants pour obtenir un nombre de tonnes de carbone par habitant, mais cela ne révèle pas grand-chose sur les détails de la vie quotidienne des gens et sur la manière dont ils peuvent réduire leur impact», poursuit-il.
Victor Kristof et Lucas Maystre ont croisé les départements et ont commencé à travailler avec Jérôme Payet et une équipe d’étudiantes et d’étudiants de Master de la Faculté de l’Environnement Naturel, Architectural et Construit (ENAC) de l’EPFL pour créer un jeu de données plus complet de l’empreinte carbone de 52 actions selon une méthodologie solide d’analyse du cycle de vie. Selon Victor Kristof, les jeux de données n’existaient tout simplement pas. Il a donc fallu les créer. «Nous avons adopté une approche ascendante et, action après action, nous avons rigoureusement calculé leur empreinte carbone. Par exemple, plutôt qu’un nombre général par habitant, pour un trajet en train, nous avons pris en considération la source d’énergie, les wagons, les voies ferrées, la gare, tout.» Ce jeu de données, compilé par Blanche Dalimier, Alexis Barrou et Edouard Cattin, a obtenu le Prix Durabilis 2021.
Ils ont ainsi calculé que l’empreinte carbone moyenne d’un citoyen ou d’une citoyenne suisse est de 11,6 tonnes de CO2, ce qui confirme les résultats d’autres sources faisant appel à des méthodologies différentes.
Le tennis ou les tomates?
Pour étoffer le jeu de données et pour partager les connaissances recueillies, Climpact, désormais public, invite les utilisatrices et utilisateurs à répondre à une enquête, puis révèle si leur perception de l’impact de leurs actions est précise et conforme à la réalité.
Les comparaisons quotidiennes sont, par exemple, acheter des tomates ou manger de la viande pendant un an, skier pendant une semaine, manger une fondue, jouer au tennis, se rendre au travail pendant un an en voiture, en bus ou à vélo, ou chauffer son logement avec une vieille chaudière.
Ce dernier exemple est particulièrement pertinent car le mois prochain, les électrices et électeurs suisses voteront pour ou contre la loi sur le climat et l’innovation. Il s’agit d’une initiative du gouvernement fédéral qui vise à réduire la consommation nationale de pétrole et de gaz, à produire davantage d’énergie localement et à faire en sorte que la Suisse atteigne la neutralité carbone d’ici 2050.
Les bâtiments sont responsables d’environ un tiers des émissions de CO2 en Suisse par le chauffage et la consommation générale d’énergie. La loi prévoit une aide financière à celles et ceux qui remplacent leur ancienne chaudière au fioul, au gaz ou à l’électricité.
Victor Kristof indique que si, jusqu’à présent, la perception de l’impact carbone de nombreuses actions est globalement assez bonne, il existe quelques divergences intéressantes. «Nous espérons montrer aux pouvoirs publics que nombreuses sont les personnes à sous-estimer l’impact de certaines de leurs actions qui ont une empreinte carbone importante. Les premiers résultats révèlent que c’est le cas par exemple pour le chauffage des logements. Nous pensons que c’est très important de sensibiliser le grand public à ce sujet.»
Responsabilité individuelle contre responsabilité des gouvernements et des entreprises
Les visiteuses et visiteurs du site web Climpact peuvent également parcourir l’ensemble des 52 actions pour voir celles qui émettent le plus ou le moins, et calculer l’impact de leurs actions individuelles. Les chercheuses et chercheurs ont mesuré l’impact d’un trajet en train de Zurich à Lausanne, mais si les utilisatrices et utilisateurs connaissent la distance par rapport à d’autres villes, un calculateur calculera automatiquement l’empreinte carbone du voyage. D’un point de vue éducatif, cela peut être utile, mais Victor Kristof précise que ce que les chercheuses et chercheurs n’ont pu faire est tout aussi intéressant que les jeux de données qu’ils ont pu créer.
«Nous parlons souvent de responsabilité individuelle et il est vrai que nous devrions tous faire plus attention à notre impact sur le climat, mais il y a beaucoup d’éléments sur lesquels les gens n’ont tout simplement pas moyen d’agir. Les gouvernements et les entreprises ont une grande responsabilité pour faire avancer les choses dans la bonne direction grâce à leurs politiques et à leurs pratiques.»
«Pour la plupart des actions, nous pouvons utiliser l’approche ascendante, mais pour certains secteurs comme l’éducation, les soins de santé et les loisirs, c’était très difficile d’obtenir des données précises. Si vous allez au restaurant ou dormez une nuit à l’hôtel, vous n’aurez pas la moindre idée des émissions carbone produites. Ce n’est pas du tout transparent et cela indique que nous avons besoin de faire davantage de recherches dans ces secteurs pour obtenir des données précises.»
Selon Victor Kristof, d’autres éléments sont très difficiles à évaluer et ne pouvaient pas être intégrés dans Climpact mais ils ont potentiellement un impact important sur la façon dont nous gérons la crise climatique. Victor Kristof a invité les gens à y réfléchir: «Où placez-vous votre argent, par exemple, quelle banque avez-vous choisie, quelle est sa politique en matière de climat? Votez-vous et, si oui, pour qui? Participez-vous à des initiatives locales ou faites-vous partie d’associations? Il s’agit d’actions douces dont l’empreinte carbone est pratiquement impossible à mesurer, mais qui ont potentiellement le plus grand impact sur sa diminution.»
Les scientifiques ont utilisé ce qu’ils appellent un «modèle à choix discret» qui provient de la littérature de psychométrie du début des années 1920. Ce dernier a été adapté en un algorithme d’apprentissage actif. Il s’agit d’une méthode d’apprentissage machine qui permet de choisir de façon optimale la prochaine paire d’actions à présenter à une utilisatrice ou un utilisateur en maximisant les informations qui seront reçues à partir de cette comparaison. Ce modèle permet ensuite de passer des données de comparaison par paire (c’est-à-dire, une action par rapport à une autre) à la perception sur une échelle absolue (c’est-à-dire, la perception de chaque action individuellement). Cela permet de passer de la complexité de certaines questions auxquelles doit répondre une utilisatrice ou un utilisateur (quelle quantité d’émissions produit le chauffage de votre logement?) à un algorithme informatique qui traitera des questions plus simples (le chauffage d’un logement génère-t-il plus d’émissions que l’avion?).