Une centrale de chauffe qui cumule les énergies renouvelables
Vu du métro, le bâtiment surprend. Cet ensemble de parallélépipèdes rouges, aux façades entièrement recouvertes de panneaux photovoltaïques, est la partie émergée d’un vaste réseau souterrain allant du lac Léman au Quartier de l’innovation. Depuis cette année, la nouvelle centrale de chauffe par thermopompes (CCT) brille par son éclat esthétique, son côté novateur et sa performance écologique. Elle a été présentée dans le cadre de la CISBAT 2021, conférence sur l’efficacité énergétique et environnementale du bâti, hébergée par l’EPFL du 8 au 10 septembre.
Accolées à l’édifice, deux cheminées raccordées à des chaudières à gaz ont permis de chauffer le campus pendant les deux ans de travaux. Elles ne serviront plus dorénavant qu’en cas de panne du système. «Cette année en février, nous avons eu un week-end glacial qui a permis de démontrer le bon fonctionnement de la nouvelle centrale de chauffe», relève Pascal Gebhard. Ce collaborateur du groupe Infrastructure, au sein de la Vice-présidence pour les Opérations (VPO), a suivi avec ses collègues des services Construction et Exploitation le projet depuis son démarrage en 2014, et surtout depuis 2019, moment où l’ancienne centrale de chauffe a été démantelée.
Avant travaux et depuis 1985, le campus des hautes écoles lausannoises se chauffait déjà grâce à l’eau du lac. Depuis la fin des années 70, l’EPFL était même pionnière en la matière, avec une première station de pompage pour les besoins en refroidissement. Mais pendant toutes ces années, deux turbines à mazout complétaient la production de chauffage, surtout avec l’augmentation du nombre de constructions sur le site.
Solution novatrice
Quand est venu le moment de rénover la centrale de chauffe devenue obsolète, l’unité Durabilité – et notamment son ancien responsable Philippe Vollichard, maintenant parti à la retraite – a fortement milité pour développer une solution novatrice: au lieu de privilégier le gaz, solution plus économique à court terme mais émettrice de CO2, le choix s’est porté sur un système intégré cumulant différentes sources d’énergies renouvelables.
La nouvelle station de pompage offre l’avantage d’aller puiser l’eau du lac plus profondément à une température constante de 7°. Elle est reliée à des pompes à chaleur de nouvelle génération qui permettent d’amener l’eau à 50° grâce au processus thermodynamique de compression, condensation, détente et évaporation avec une performance énergétique nettement renforcée.
L’autre grand progrès, c’est le couplage du système avec la valorisation des rejets thermiques d’un data center prévu juste au-dessus, avec des racks à serveurs dont les portes sont conçues pour faire circuler une eau industrielle filtrée, refroidie par l’eau du lac, une solution économe en énergie mais techniquement audacieuse. En effet, on évite généralement d’amener de l’eau près de l’électronique.
En refroidissant les serveurs pour chauffer le reste de l’EPFL, le gain en électricité est appréciable, surtout si on le compare à l’approche classique qui consiste à refroidir les serveurs avec une machine frigorifique. Dans un système conventionnel, 3.3 unités d’électricité sont nécessaires pour délivrer une unité d’électricité aux serveurs. Ici, en comptant le gain sur le chauffage, cela fera 1.3 unité, soit une réduction de 60 %.
Et les déchets végétaux?
L’innovation ne s’arrête pas là. Avec des panneaux solaires recouvrant l’ensemble du bâtiment, murs et toit inclus, et une vaste zone pilote pour des essais scientifiques restant à aménager, la CCT pourrait un jour également exploiter la compostière située juste à côté, où sont déversés les déchets végétaux des parcs et jardins du campus voisin. Un digesteur pour les restes alimentaires des cafétérias serait l’étape de plus vers une petite production locale de biogaz.
Chef de projet Energies au sein de la VPO, David Gremaud souligne cependant que cette production de biogaz ne permettrait pas d’alimenter l’entier de l’EPFL, vu les très faibles quantités produites.
Gains d’énergie
L’arrêt total du recours au mazout permet déjà de réduire de 1800 tonnes les émissions annuelles de CO2 de l’EPFL. Le gain apporté par le photovoltaïque est par contre marginal, puisque l’ensemble de la surface n’a qu’une puissance de 160 kW, alors qu’une seule des quatre pompes à chaleur de l’installation en nécessite 2000. Mais l’intégration des panneaux à la structure-même de la façade n’en reste pas moins un exemple rare et instructif en matière de BiPV (building integrated photovoltaics), l’un des sujets de la CISBAT, mentionne Gianluca Paglia, chargé de projets Constructions, énergies et développement au sein de l’unité Durabilité.
L’ensemble du projet a connu plusieurs aléas, entre retards dus au Covid et une invasion de moules quagga. Vivant dans les profondeurs du Léman, ces créatures ont colonisé les installations et nécessité un nettoyage en profondeur et l’installation d’une nouvelle crépine démontable afin de pouvoir la nettoyer en surface. De nouveau filtres complètent le dispositif.
Il a fallu gérer également un autre volet en lien avec les rejets d’eau industrielle dans la rivière, le dossier ayant finalement été conclu par une notice d’impact environnemental acceptée par le canton, puisque le système permet de réguler les éclusées afin de ne pas nuire au biotope.
Data center bientôt opérationnel
Les retards ont aussi impacté la mise en place du data center, encore en travaux et qui attend la livraison des racks à serveurs. «Nous sommes à flux tendu», indique Aristide Boisseau, responsable de l’exploitation et de la gestion des centres de données de l’EPFL. A la CCT, près de 1000 m2 au sol accueilleront à terme douze allées de serveurs, dont une réservée à l’Université de Lausanne. Légèrement plus haut que les racks traditionnels, le modèle avec porte réfrigérante est déjà utilisé dans d’autres bâtiments, mais jusqu’à présent uniquement pour le refroidissement. La revalorisation des émissions de chaleur dans la nouvelle CCT devrait être opérationnelle dès cet hiver. L’augmentation de la capacité de stockage et de calcul du campus montera alors crescendo, d’abord à moitié de charge à 2 mégawatts, puis à 4 MW.
Une zone pilote à investir
Le dernier gros atout, et non des moindres, de la nouvelle centrale de chauffe, c’est la zone pilote pour essais scientifiques élevée sur un pan entier du bâtiment. Grande comme six terrains de badminton, elle pourrait accueillir toutes sortes d’expériences ou démonstrations. «Avant le départ de Philippe Vollichard, nous avions identifié une collection de projets possibles, que ce soit dans l’enseignement ou la recherche», déclare François Maréchal, ingénieur chimiste et professeur en génie mécanique.
Design et comparaison de systèmes, suivi de performances, réconciliations de mesures, pilotage et contrôle optimal, prédictions: les pistes pour l’enseignement ne manquent pas. Les potentiels de synergies entre laboratoires non plus, surtout à la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur. Par exemple, son collègue Jan van Herle, maître d’enseignement et de recherche au Group of Energy Materials (GEM) de Sion, propose l’intégration d’une pile à combustible pour convertir en électricité et en chaleur le biogaz produit à partir des déchets verts. Jürg Schiffmann, professeur associé au Laboratoire de conception mécanique appliquée, propose quant à lui un nouveau type de compresseur pour les pompes à chaleur, et le professeur Mario Paolone, du Laboratoire des systèmes électriques distribués, d’intégrer la CCT au système intelligent de gestion de l’électricité du campus.
Le domaine est riche en promesses d’avenir, et François Maréchal salue la manière dont la centrale de chauffe de l’EPFL a évolué au fil des ans.
Autre promesse d’avenir, dans son cours «Optimisation des systèmes énergétiques», où il utilise la CCT de l’EPFL comme étude de cas, le nombre d’étudiants de François Maréchal est passé de 15 à 60 en quelques années. «Dans le domaine de l’énergie, tous nos ingénieurs seront responsables de la transition énergétique. C’est un sujet d’importance qui les motive énormément. Même si cela leur demande beaucoup de travail, ils découvrent l’importance de l’analyse systémique pour l’intégration des énergies renouvelables et sont très fiers de leurs résultats.»