Découverte de deux nouvelles espèces de poissons dans les eaux suisses
Madame Calegari, vous avez découvert deux nouvelles espèces de poissons. Avez-vous été surprise?
Bárbara Calegari: Non, pas vraiment. Le genre de poissons Barbatula que nous étudions, appelée aussi loche franche, est connu pour sa diversité génétique. Les différentes espèces présentent néanmoins une morphologie similaire, c’est-à-dire une ressemblance au regard de leurs caractéristique extérieures; il est donc difficile de reconnaître les différences. Ce genre a déjà été décrit autrefois par des naturalistes, mais n’a plus guère été étudié depuis.
Où avez-vous découvert ces nouvelles espèces de poissons?
Les deux ont été découvertes dans des eaux suisses, mais elles peuplent différents biotopes. L’une vit dans des ruisseaux à débit rapide et des rivières du système rhénan, et s’étend jusque dans les gorges du Danube en Bavière, en Allemagne et en Autriche. L’autre vit dans les lacs calmes du système de l’Aar; elle est présente dans les lacs de Neuchâtel, de Bienne, des Quatre-Cantons, de Zurich et de Walenstadt. Les poissons du genre Barbatula vivent dans les eaux d’Europe et d’Asie.
Comment avez-vous pu confirmer qu’il s’agissait bien de nouvelles espèces?
Nous avons étudié les poissons en détail, notamment leurs caractéristiques extérieures (morphologie), l’agencement et la structure de leurs os (ostéologie) ainsi que leur biotope (écologie), avec des méthodes génétiques modernes. Les analyses ont montré des différences cohérentes permettant de confirmer et de valider l’existence de ces deux nouvelles espèces.
Sondage: participer pour tenter de gagner
Participez à trouver le nom des deux nouvelles espèces et vous pourrez peut-être gagner deux billets pour le musée d’histoire naturelle de Berne!
Projet LANAT-3 Bárbara Calegari et l’équipe de l’université de Berne, du musée d’histoire naturelle de Berne et de l’Eawag ont découvert les espèces de poissons inconnues dans le cadre du projet LANAT-3 sur mandat de la Wyss Academy for Nature, du canton de Berne et de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), en coopération avec le Centre suisse de compétences pour la pêche. Plus d’informations
En quoi ces nouvelles espèces de poissons se différencient-elles de celles déjà connues?
Ces nouvelles espèces présentent des différences morphologiques et génétiques très marquées par rapport aux 13 espèces du genre Barbatula européennes connues jusqu’à présent. On constate en particulier des différences morphologiques dans la structure de la tête et du corps. Par exemple, l’aplatissement de la tête ou la longueur du tronc, la longueur et la position de la tête par rapport au corps, la largeur de la tête et la distance entre les yeux, mais aussi la pigmentation du ventre et de la poitrine. Comparées entre elles, ces deux nouvelles espèces présentent des différences qui sont liées à leur biotope respectif. L’espèce vivant dans des eaux courantes rapides possède des nageoires pectorales plus grandes et plus puissantes qui lui permettent de rester stable et de résister aux courants turbulents. En revanche, celle issue des eaux calmes possède des nageoires pectorales plus petites et plus fines ainsi qu’une vessie natatoire plus grosse lui permettant un meilleur contrôle de sa flottabilité à différentes profondeurs.
Comment est-il possible de découvrir encore de nouvelles espèces de poissons en Suisse? Ne sont-elles pas déjà toutes connues?
Non, il existe bien 36 400 espèces de poissons connues dans le monde, mais beaucoup d’autres n’ont pas encore été découvertes. On estime que, rien qu’en Europe, il en reste environ 800 à décrire. En Suisse, certaines espèces de poissons sont occultées, car leurs biotopes sont réputés bien étudiés. Étant donné que de nombreuses espèces européennes ont été décrites il y a plus de 200 ans, peu de chercheuses et chercheurs ont étudié ces populations ces dernières années. Pourtant, les analyses ADN modernes permettent aujourd’hui de découvrir plus facilement des différences génétiques et d’identifier de nouvelles espèces.
Pouvez-vous nous livrer un de vos secrets: où faut-il chercher pour découvrir d’autres espèces de poissons?
Ce n’est pas facile à dire. La découverte de nouvelles espèces de poissons exige de vastes connaissances et commence souvent avec la capture dans la nature d’un individu inhabituel ou la découverte d’exemplaires non identifiés dans les collections d’un musée. Les chances de trouver de nouvelles espèces sont plus élevées dans les régions reculées, peu étudiées, comme les régions tropicales par exemple.
Que se passe-t-il après la découverte d’une nouvelle espèce de poisson?
S’il est confirmé qu’il s’agit bien d’une nouvelle espèce, une sélection d’individus types est intégrée à une collection scientifique et rendue accessible à la recherche. Vient ensuite la description formelle de l’espèce, une étape incontournable pour la documentation de la biodiversité. Il s’agit là de documenter des caractéristiques telles que l’apparence, les différences par rapport aux espèces connues, le biotope et le nom. Et enfin, tout est consigné dans une publication qui sert de référence à d’autres études et à l’identification d’autres individus.
Comment décide-t-on de nommer les nouvelles espèces de poissons? Vont-elles hériter de votre nom, donc Calegari 1 et Calegari 2?
Non, il n’est pas d’usage de donner son nom à une nouvelle espèce. Il s’agit d’un processus créatif qui me procure beaucoup de joie. Il est bien sûr possible de baptiser une espèce en référence à une personne, mais, généralement, le nom choisi reflète plutôt une caractéristique particulière de l’espèce de poisson, par exemple, son apparence, sa région d’origine ou un aspect de son biotope. Les noms scientifiques sont généralement latins ou grecs et suivent une nomenclature binomiale. Ils sont constitués du nom de genre, dans notre cas Barbatula, et d’un épithète spécifique, soit la seconde partie du nom scientifique, qui fournit une description plus précise ou une différence de l’espèce. Cette seconde partie manque encore pour nos poissons. Nous souhaitons donner à la population la possibilité de trouver un nom aux deux nouvelles espèces en participant à un sondage.
Comment vous est venue l’idée de faire participer la population pour nommer les poissons?
Je pense que cette approche nous offre une excellente possibilité de mieux sensibiliser la population à la biodiversité. Les gens peuvent en apprendre davantage sur les espèces de poissons vivant dans leurs eaux et être plus attentifs au recul préoccupant de la biodiversité, en particulier dans les écosystèmes aquatiques. En impliquant activement la population dans le processus de découverte, nous souhaitons encourager un lien plus étroit avec la nature, susciter un intérêt pour la science et motiver aussi à la protection de la biodiversité subaquatique.
En quoi la découverte d’espèces de poissons peut-elle contribuer à la protection des espèces?
La découverte de nouvelles espèces est essentielle pour leur protection, car de fait, nous ne pouvons pas protéger ce que nous ne connaissons pas. La description d’une espèce documente son existence et permet une planification adéquate de sa préservation. Il est aussi important pour l’être humain de disposer d’écosystèmes d’eau douce intacts, et la compréhension de leur diversité est la clé pour protéger ces biotopes, avec les espèces déjà connues et de nombreuses autres encore à décrire.