Contact entre deux cordes expliqué par la théorie et les expériences
Pedro Reis, directeur du laboratoire des structures flexibles, et John Maddocks, directeur du laboratoire de calcul et de visualisation en mathématiques et en mécanique, possèdent un point commun. Leur intérêt pour les cordes et les nœuds. L’ingénieur est adepte de l’escalade et le mathématicien nourrit une passion pour la voile. Mais ce n’est pas seulement pour la pratique de loisirs que les nœuds intriguent les scientifiques, car ils sont aussi utilisés en chirurgie par exemple. La mécanique des nœuds reste un domaine mal compris quand bien même ces derniers font partie de notre quotidien depuis la nuit des temps.
Un nœud simplifié
Pedro Reis, John Maddocks et leurs équipes se sont penchés sur l’étude de la configuration de deux filaments en contact, celle où deux cordes s’entrelacent comme deux pinces. Celle-ci peut être considérée comme l’élément de base de tout nœud. « Cet enlacement est le nœud le plus élémentaire qui soit, mais aussi le plus répandu. On le retrouve par exemple dans l’agencement des fils qui composent nos habits », explique Pedro Reis. Les scientifiques se sont intéressés à la zone de contact entre les deux cordes. Leur recherche est publiée dans PNAS.
Depuis plus de trente ans, John Maddocks travaille entre autres sur des théories mathématiques qui s’intéressent à la mécanique des nœuds, en particulier à la géométrie compliquée des courbes qui composent la zone de contact entre les cordes. L’analyse du cas particulier de deux cordes en pinces a été publiée en 2003 par son collègue de l’époque, Eugène Starostin. Cette zone ressemble à une forme de diamant où les quatre angles marquent les points de pression principaux. Cependant, sa théorie n’a jamais pu être corroborée par des expériences empiriques, faute de moyens techniques. « Quand nous avons décidé de travailler ensemble, nous nous sommes demandé si ces anciens résultats géométriques étaient pertinents dans la pratique. Nous avons alors procédé à des tests, des mesures, et des expériences pour répondre à cette question », explique le mathématicien. « Cette zone de contact a toujours été calculée selon une hypothèse idéale, mais jamais vérifiée par les expériences », ajoute Pedro Reis.
Résultats corroborés
L’équipe de Pedro Reis a alors procédé à des expériences pratiques. Les chercheurs ont utilisé un tomographe, un appareil qui permet de visualiser des objets en trois dimensions grâce aux rayons X, et la modélisation informatique. « À l’aide du tomographe nous avons pu regarder à l’intérieur de la zone de contact entre les deux filaments. Puis, nous avons corroboré nos résultats expérimentaux par des simulations numériques. Nous ne nous attendions pas à observer une distribution de pression si hétérogène entre les deux filaments », révèle Paul Grandgeorge, postdoctorant dans le laboratoire des structures flexibles. Les expériences ont montré que la région où s’exerce la pression entre les deux cordes coïncide avec les calculs géométriques anciens. « C’est donc une petite avancée pour la compréhension de filament en contact », se réjouit le mathématicien.
L’équation du cabestan
Encouragés par ces résultats, les chercheurs ont voulu aller plus loin et ont décidé d’étudier la zone de contact entre les deux cordes lorsque ces dernières se retrouvent en situation de frottements. Ils ont d’abord avancé l’hypothèse que l’équation du cabestan pourrait expliquer ce phénomène physique. « Le principe du cabestan est simple : on enroule une corde autour d’un tube cylindrique, par exemple une bite d’amarrage. En enroulant la corde autour du cylindre, on sépare les tensions. Plus on effectue de tours, plus la différence de tension apparaît importante entre les deux segments de corde. Nous avons supposé qu’avec cette équation nous pourrions prédire le rapport de tension entre les deux tiges de nos expériences », explique Paul Grandgeorge.
Illustration du principe du cabestan avec une bite d’amarrage © iStock
Après plusieurs tests, les scientifiques se sont rendu compte que l’équation de cabestan ne pouvait pas s’appliquer dans le cas de nœuds en frottement. « Avec l’équation de cabestan, le cylindre ne se déforme pas et est de taille plus importante que la corde qui l’entoure. Dans nos expériences, la tige qui sert de cylindre peut se distordre et est de la même taille que la deuxième », indique Pedro Reis. Les chercheurs ne prennent pas ces résultats comme un échec, bien au contraire. « Cela nous motive encore plus à trouver un modèle théorique pour expliquer ce phénomène physique », déclare Paul Grandgeorge. « A priori cela ressemble à un problème simple, mais c’est géométriquement très complexe », ajoute John Maddocks. Les ingénieurs et les mathématiciens prédisent que les recherches scientifiques sur les nœuds vont se développer durant ces prochaines années, apportant ainsi une meilleure compréhension théorique à la pratique.