La mémoire glaciale du mont Rose
Le massif du Mont-Rose recèle l’archive glaciaire la plus importante des Alpes et la mieux étudiée aussi. Au Colle Gnifetti, la zone d’accumulation de la selle du glacier, la glace affiche une épaisseur de plus de 80 mètres. Les chercheurs y trouvent de précieuses informations sur l’environnement et le climat des 10 000 dernières années.
Mais la hausse des températures menace cet héritage scientifique et culturel. «Quand les glaciers fondent, les informations qu’ils recèlent se perdent», résume François Yves Burgay, scientifique au Laboratoire de chimie de l’environnement du PSI. Le mauvais état dans lequel les chercheurs avaient trouvé le plateau glaciaire sommital du Grand Combin en septembre 2020 montre à quel point cette menace est réelle: ils n’avaient pas réussi à creuser à plus de 20 mètres de profondeur, parce qu’ils étaient tombés sur une couche imbibée d’eau de fonte qui s’était infiltrée.
L’objectif de l’équipe italo-suisse est donc de prélever des carottes de glace sur le glacier encore «froid» du massif du Mont-Rose, sis à plus haute altitude, pour le projet international Ice Memory. L’une de ces carottes sera acheminée dès que possible vers l’archive de carottes de glace qui doit voir le jour en Antarctique.
«Le site de forage au Colle Gnifetti est situé à plus haute altitude que le plateau glaciaire du Grand Combin, explique François Burgay, qui participe à l’expédition. Nous sommes donc optimistes en ce qui concerne la présence sur place d’une glace bien conservée et les informations climatiques qu’elle contient.»
La mission a été organisée par l’Institut des sciences polaires ISP du Conseil national de la recherche italien (CNR) et de l’Université Ca’ Foscari à Venise, en collaboration avec l’Institut Paul Scherrer PSI. Elle est partie le 1er juin. Les chercheurs vont passer deux nuits à la cabane Gnifetti à environ 3600 mètres d’altitude pour s’acclimater, avant de rejoindre mercredi par les airs, si la météo le permet, le Colle Gnifetti, à 4500 mètres d’altitude, pour démarrer le travail proprement dit et commencer le carottage.
«Comprendre le climat et les conditions environnementales du passé nous permet de prédire les changements du futur, rappelle Carlo Barbante, directeur de l’ISP-CNR et professeur à l’Université Ca’ Foscari. Les glaciers de montagne conservent la mémoire climatique et environnementale de la région environnante, mais en raison du réchauffement globale, ils reculent inexorablement. Cela menace la préservation de cet héritage scientifique inestimable.»
Le deuxième plus grand glacier des Alpes
Pour la durée du carottage proprement dit – soit environ dix jours –, les scientifiques logeront à la Capanna Margherita à 4554 mètres d’altitude. Cette cabane de montagne est la plus haute d’Europe. Elle a été construite il y a 128 ans sur un pic rocheux pour contribuer à la recherche sur la physiologie et l’altitude et, aujourd’hui, à la climatologie également.
Des archives glaciaires comme ceux du mont Rose sont de plus en plus rares dans les Alpes. Pour les chercheurs, cette occasion est donc l’une des dernières dont ils disposent pour récupérer des carottes de glace qui n’ont pas encore été affectées par le changement climatique et peuvent toujours livrer des informations inestimables sur l’histoire de notre climat.
L’expédition au massif du Mont-Rose est la deuxième d’une série d’expéditions qui est financée par le ministère italien de l’Education, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et l’Institut Paul Scherrer.
La science des carottes de glace
L’objectif du projet Ice Memory est la conservation d’échantillons de grande valeur pour les scientifiques du futur. Lorsque quelques décennies se seront écoulées, ces derniers disposeront vraisemblablement d’encore meilleures méthodes et de technologies d’analyse. «Il s’agit pour ainsi dire d’un cadeau de la génération de chercheurs actuelles aux scientifiques du futur», note François Yves Burgay.
Si l’on veut mieux comprendre la réaction du climat de la Terre aux émissions d’origine naturelle et anthropique, et pouvoir empoigner les problèmes climatiques, il est indispensable d’étudier le passé, telle est la conviction des chercheurs d’Ice Memory. Les carottes permettent de reconstituer les variations climatiques naturelles avant que les émissions industrielles de gaz à effet de serre, par exemple, ne provoquent un changement climatique.
Les carottes de glace provenant des glaciers de haute montagne, par exemple du Colle Gnifetti sur le mont Rose ou de l'Ortler, ont permis aux chercheurs de reconstituer l'évolution du climat au cours des 5000 dernières années ou l'augmentation de la pollution atmosphérique en Europe suite à l'industrialisation.
A propos d’Ice Memory
Ice Memory est un programme international dont le but est de fournir une archive et des données sur l’histoire du climat et de l’environnement de la Terre pour les décennies et les siècles à venir. Celles-ci sont censées être fondamentales pour la science et l’élaboration de stratégies de développement durable pour le bien-être de l’humanité. Ice Memory vise à créer une confédération internationale de communautés et d’institutions scientifiques qui mette en place une archive de carottes de glace en Antarctique pour conserver certaines informations de certains glaciers actuellement menacés par le réchauffement de la planète. Les scientifiques sont convaincus que la glace renferme des informations qui resteront précieuses, même lorsque les glaciers auront disparu. Sans l’archive de carottes de glace prévue, les connaissances ainsi acquises seraient perdues pour toujours.
L’expédition au massif du Mont-Rose est la troisième mission officielle Ice Memory sur des glaciers alpins, après celles au Mont-Blanc en 2016 et au Grand Combin en 2020. D’autres expéditions internationales ont réussi à prélever des carottes de glace sur le glacier de l’Illimani en Bolivie, qu’au Mont Béloukha dans l'Altaï russe (Sibérie) et à l’Elbrouz en Russie.
Ice Memory est un programme commun de l’Institut Paul Scherrer, de l’Université Grenoble Alpes, de l’Université Ca’ Foscari à Venise, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD, France), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS, France), du Conseil national de la recherche (CNR, Italie) et de l’Institut polaire français Emile Victor (IPEV)..
Participants à l’expédition
Theo Jenk (chef d’expédition, PSI)
Margit Schwikowski (PSI)
François Burgay (PSI)
Sabine Harbeke (ZHdK, PolARTS Projekt)
Jacopo Gabrieli (CNR/Ca’ Foscari)
Fabrizio de Blasi (CNR /Ca’ Foscari)
Andrea Spolaor (CNR /Ca’ Foscari)
Paolo Conz (guide de montagne)
Federico Dallo (Ca’ Foscari) restera à la base à Alagna.
La mission est sponsorisée par AKU et Karpos et se déroule en collaboration avec la commune de Zermatt, de la section des risques naturels du canton du Valais, de la commune d’Alagna Valsesia, les guides de montagne d’Alagna (Alagna Alpine Guides), Monterosa srl, Rifugi Monterosa, Monterosa 2000 spa, Camp, ARPA Piemonte, l’Agence régionale Protection Environnement Vallée d’Aoste, le Comité de glaciologie italien (CGI), l’Organe de gestion des aires protégées de la vallée de Sesia, la Fondation Montagne Sûre et l’Université de Turin.
Texte: basé sur un communiqué de presse de l’Université Ca’ Foscari de Venise avec des compléments de l’Institut Paul Scherrer