Attirer les bactéries dans un piège
Le développement de vaccins contre les bactéries est, dans de nombreux cas, beaucoup plus difficile que celui de vaccins contre les virus. Comme pratiquement tous les agents pathogènes, les bactéries sont capables de contourner l'efficacité d'un vaccin en modifiant leurs gènes. Pour de nombreux agents pathogènes, de telles adaptations génétiques, sous la pression sélective de la vaccination, entraînent une diminution de leur virulence ou de leur aptitude. Les agents pathogènes peuvent ainsi échapper aux effets de la vaccination, mais au prix d'une moindre transmissibilité ou d'une réduction des dommages. Cependant, certains agents pathogènes, dont de nombreuses bactéries, sont extrêmement doués pour se transformer de manière à échapper aux effets de la vaccination tout en restant très infectieux.
Pour les scientifiques qui cherchent à développer des vaccins, ce type d'évasion immunitaire constitue un problème fondamental depuis des décennies. S'il·les entreprennent de développer des vaccins contre des agents pathogènes bactériens, il·les constatent souvent que ceux-ci deviennent rapidement inefficaces.
Un vaccin combiné mène au but
Dans leur étude, les chercheur·ses ont inoculé à des souris une série de vaccins légèrement différents contre la Salmonella typhimurium et ont observé comment les salmonelles présentes dans l'intestin des animaux ont modifié leurs gènes pour échapper aux effets des vaccins. Les scientifiques ont ainsi pu identifier tout le spectre des mutations possibles d'évasion immunitaire chez Salmonella typhimurium. Par la suite, les chercheur·ses ont produit un vaccin combiné à partir de quatre souches de Salmonella qui couvraient tout le spectre des possibilités d'évasion génétique de la bactérie.
Ce vaccin combiné a entraîné une évasion immunitaire surprenante, provoquant l'atrophie d'un important revêtement de sucre à la surface de Salmonella. Si les bactéries concernées ont pu continuer à se multiplier dans les intestins des animaux, elles ont été largement incapables d'infecter les tissus de l'organisme et de provoquer des maladies. En effet, l'enrobage de sucre fait partie du revêtement protecteur des bactéries qui les protège des défenses de l'hôte ainsi que des virus qui infectent et tuent souvent les bactéries. Lors de tests sur des souris, les scientifiques ont pu montrer que leur nouveau vaccin était plus efficace pour prévenir les infections à Salmonella que les vaccins existants approuvés pour les porcs et les poulets.
Les scientifiques envisagent maintenant d'utiliser le même principe pour développer des vaccins contre d'autres micro-organismes, par exemple contre des souches bactériennes résistantes aux antimicrobiens. En outre, il devrait être possible d'utiliser cette approche en biotechnologie et d'apporter des modifications spécifiques aux micro-organismes en exerçant une pression sélective par le biais des vaccins.
L'année dernière, les scientifiques ont été nominé·es pour le Spark Award de l'ETH Zurich pour ce travail de recherche, qui a maintenant été publié pour la première fois dans une revue scientifique. De plus amples informations sont fournies dans cette vidéo :
L'armement de l'évasion immunitaire
Or, des chercheur·ses de l'ETH Zurich et de l'Université de Bâle ont précisément exploité ce mécanisme pour mettre au point un vaccin efficace contre les bactéries. Il·les ont réussi à mettre au point un vaccin contre la salmonelle qui, aulieu de tenter de tuer purement et simplement les bactéries intestinales, guide plutôt leur évolution dans l'intestin pour en faire un pathogène plus faible.
«Cela nous a permis de montrer que l'évasion immunitaire n'est pas seulement un défi majeur dans le développement de vaccins, mais qu'elle peut en fait être utilisée à bon escient en médecine humaine et vétérinaire», explique la professeure de l'ETH Zurich Emma Slack. «Nous pouvons l'utiliser pour conduire l'évolution des micro-organismes pathogènes dans une certaine direction - dans notre cas, une impasse». Emma Slack a dirigé l'étude, qui a impliqué de nombreux·ses chercheur·ses de différents groupes de l'ETH Zurich et d'autres institutions, avec le professeur de l'ETH Wolf-Dietrich Hardt et Médéric Diard, professeur au Biozentrum de l'Université de Bâle.