Une stimulation optique sur mesure pour les non-voyants
La stimulation neurotechnologique du système nerveux a ouvert de nouvelles voies pour le traitement de troubles chez l’être humain, avec par exemple des bras et des jambes prothétiques qui restaurent le sens du toucher chez des personnes amputées, des bouts de doigts prothétiques qui procurent un feedback sensoriel détaillé avec une résolution du toucher variable et la stimulation intraneuronale qui permet d’aider les non-voyants en leur procurant des sensations visuelles.
Dans un projet de collaboration européenne, des scientifiques ont montré que la stimulation du nerf optique se révèle être une approche neurotechnologique prometteuse pour aider les non-voyants, avec néanmoins une contrainte: la technologie actuelle n’a la capacité de générer que des signaux visuels simples.
La vision des scientifiques est néanmoins de concevoir ces signaux visuels simples de manière à ce qu’ils permettent d’assister de manière significative les non-voyants dans leur vie de tous les jours. La stimulation du nerf optique permet aussi d’éviter des procédures invasives telles que la stimulation directe du cortex cérébral visuel. Mais comment s’y prendre pour optimiser la stimulation du nerf optique de manière à produire des sensations visuelles reproductibles et significatives?
Les résultats d’une collaboration entre l’EPFL, la Scuola Superiore Sant’Anna et la Scuola Internazionale Superiore di Studi Avanzati, publiés ce jour dans Patterns, montrent maintenant qu’un nouveau protocole de stimulation du nerf optique s’avère être un outil prometteur pour le développement de signaux visuels personnalisés permettant d’aider les non-voyants - tout en tenant aussi compte de signaux provenant du cortex visuel. Pour le moment, ce protocole a été testé sur des réseaux neuronaux artificiels connus pour stimuler l’ensemble du système visuel, appelés réseaux neuronaux convolutifs (CNN, pour Convolutional Neural Networks) et généralement utilisés dans la vision par ordinateur pour la détection et le classement d’objets. Les scientifiques ont également réalisé, chez dix sujets en bonne santé, des tests psychologiques qui imitent ce que l’on verrait sous stimulation du nerf optique et ils ont montré que l’identification réussie d’objets est compatible avec les résultats obtenus avec des CNN.
© 2021 EPFL
«Nous n’essayons pas de stimuler le nerf optique simplement pour induire une perception visuelle,» explique Simone Romeni, scientifique de l’EPFL et première auteure de l’étude. «Nous développons une façon d’optimiser des protocoles de stimulation qui tiennent compte de la façon dont l’ensemble du système visuel répond à la stimulation du nerf optique.»
«La recherche montre que l’on peut optimiser la stimulation du nerf optique en recourant à des approches d’apprentissage automatique. Plus généralement, elle montre tout le potentiel de l’apprentissage automatique pour l’optimisation de protocoles de stimulation de dispositifs neuroprothétiques,» poursuit Silvestro Micera, titulaire de la chaire de la Fondation Bertarelli en Neuro-ingénierie Translationnelle à l'EPFL et Professeur de bio-électronique à la Scuola Superiore Sant’Anna.
L’idée consiste à stimuler le nerf optique afin d’induire des phosphènes, la sensation de lumière dans une région du champ visuel du sujet. Les scientifiques de l’EPFL prévoient d’utiliser des électrodes intraneuronales, qui transpercent le nerf plutôt que de l’entourer, mais il subsiste encore de très importantes contraintes sur l’image perçue qui en résulte.
Ces contraintes découlent de la physiologie du nerf optique par rapport aux dimensions de la technologie de l’électrode. L’électrode intraneuronale consiste en des sites de stimulation et ceux-ci sont peu nombreux en comparaison avec le million d’axones empaquetés dans le nerf optique, lequel n'a pas plus de quelques millimètres de diamètre. Autrement dit, un site de stimulation donné touche des centaines voire des milliers de fibres nerveuses environnantes ou d’axones provenant de la rétine, ce qui génère une stimulation électrique très grossière.
© 2021 EPFL / Alain Herzog
L’affinement de cette grossière stimulation électrique représente un défi majeur pour tous les dispositifs neuroprothétiques en général et, a fortiori, pour des signaux optiques qui sont extrêmement complexes par rapport aux signaux fournissant un feedback sensoriel provenant des membres supérieurs et inférieurs, par exemple.
Le travail de ces scientifiques est le premier à inclure une optimisation automatique de protocoles de stimulation du nerf optique. «L’avancée conceptuelle la plus importante est liée au fait que, pour la première fois, nous avons défini le problème de l’optimisation de la stimulation nerveuse en «bouclant la boucle» sur des modèles d'activation corticale,» explique Simone Romeni. «Dans notre modèle, l’idée que nous pourrions exploiter des signaux corticaux pour guider la stimulation nerveuse a permis d’obtenir des résultats comparables à l’optimum théorique pour les approches actuelles d’optimisation de la stimulation nerveuse et même meilleurs.»
«Notre étude montre qu’il est possible d’induire des modèles souhaités d’activité dans des couches profondes d’un CNN qui stimule des zones du cortex visuel. L’étape suivante consistera à comprendre quels modèles devraient être développés pour induire la perception d’objets visuels arbitraires,» poursuit Davide Zoccolan, Professeur de neurophysiologie et Directeur du Laboratoire of neurosciences visuelles de la SISSA. «Pour relever ce défi, nous travaillons actuellement sur la construction de modèles prédictifs de réponses neuronales basées sur des CNN. Ces modèles apprendront le «réglage» de neurones corticaux visuels sur la base de leur réponse à une batterie d’images visuelles, révélant ainsi la cartographie entre l’espace de l’image et l’espace de la réponse, qui est cruciale pour la restauration de la vision».
Pour le moment, les électrodes intraneuronales de l’EPFL n’ont pas encore été testées chez des humains.
Avec des essais cliniques prévus au cours de l’année à venir, en collaboration avec des partenaires italiens au Policlinico Gemelli à Rome, le même endroit où des implants de la main pour des amputés ont été réalisés, les scientifiques se demandent ce que les futurs volontaires vont voir effectivement.
«Le passage à des patients exigera de tenir compte de la variabilité entre sujets, un problème bien connu en neuroprothétique,» déclare Simone Romeni. « Nous sommes loin d’avoir tout compris sur le système nerveux et nous savons que la technologie actuelle comporte des limitations intrinsèques. Notre méthode contribuera à la résolution de ces deux problèmes et à traiter la façon dont le cerveau interprète la stimulation, dans l’espoir que ceci aboutisse à des protocoles plus naturels et plus efficaces.»
Les défis sont immenses mais les scientifiques entreprennent les démarches qui permettront de faire de la vision une réalité.