Tests de résistance pour le système électrique suisse

Des chercheuses et chercheurs de l'ETH Zurich et de la ZHAW Winterthur simulent dans une nouvelle étude comment le futur système électrique suisse pourrait être structuré pour résister à une baisse drastique des importations de gaz et d'électricité. Ils et elles entendent ainsi contribuer au débat sur la sécurité d'approvisionnement de la Suisse.
Les lacs de retenue suisses tels que le lac Grimsel contribuent de manière significative à la résistance du système électrique suisse aux chocs. (Photo : Peter Schneider / Keystone)

En bref

  • Les calculs du modèle des scientifiques montrent qu'un futur système électrique pourrait supporter jusqu'à 70% de réduction temporaire du commerce de l'électricité sans qu'il soit nécessaire de prendre des mesures supplémentaires.
  • En l'absence d'importations de gaz, les centrales électriques à combustible liquide pourraient jouer un rôle important en compensant les chocs liés aux importations.
  • Selon le modèle des scientifiques, de nouvelles centrales nucléaires n'auraient de sens que dans le scénario irréaliste d'une interruption totale des importations d'électricité tous les deux ans et en l'absence de toute importation de gaz.

Conformément à la loi sur le climat et l'innovation, la Suisse vise à ce que son approvisionnement énergétique soitneutre en CO2 d'ici 2050. L'augmentation de la demande d'électricité due à l'électrification des transports et du chauffage doit être couverte en premier lieu par l'énergie hydraulique, solaire et éolienne, ainsi que par les importations. D'ici 2050, les centrales nucléaires existantes ne seront plus en service.

Mais dans quelle mesure un système énergétique stable doit-il dépendre d'autres pays ? Cette question est au cœur des discussions sur la politique énergétique de la Suisse depuis l'arrêt des livraisons de gaz russe. Les deux derniers hivers, en particulier, ont été marqués par des craintes de pénurie d'électricité et de gaz.

Dans une nouvelle étude, des scientifiques de l'ETH Zurich et de la ZHAW Winterthur simulent différents scénarios de choc pour le système énergétique suisse neutre sur le plan climatique en 2050. Leur objectif est de montrer comment ce système doit être structuré pour compenser les restrictions drastiques du commerce transfrontalier de l'électricité de manière aussi rentable, sûre et durable que possible.

«La question de savoir quelles technologies sont économiquement viables dépend de l'ampleur et de la fréquence de la diminution des possibilités d'importation», explique Ali Darudi, chercheur en énergie à la ZHAW Winterthur et l'un des auteurs et autrices de l'étude. Le modèle des scientifiques pourrait contribuer à un débat objectif sur la sécurité d'approvisionnement de la Suisse.

Simulation de chocs à l'importation

Les scientifiques ont basé leurs calculs pour 2050 sur les prévisions énergétiques du gouvernement fédéral et anticipent une demande annuelle de 76 térawattheures (TWh). Elles et ils ont défini comme point de départ le système énergétique le plus rentable de l'avenir, sans tenir compte des objectifs d'expansion définis politiquement et d'une dépendance excessive à l'égard d'autres pays. Ce modèle couvre 45% de la demande avec de l'électricité bon marché provenant de l'étranger et de l'énergie hydraulique. Le reste est assuré principalement par l'énergie photovoltaïque et l'énergie éolienne.

Les scientifiques exposent ce système énergétique à différents chocs en modélisant des scénarios dans lesquels les importations d'électricité en Suisse chutent à des degrés et à des fréquences variables pendant une année entière, les importations de gaz étant possibles ou impossibles pendant l'année du choc. Afin de compenser ces chocs d'importation de la manière la plus rentable possible tout en garantissant une quantité suffisante d'électricité à tout moment, les autrices et auteurs de l'étude testent un mélange de différentes technologies, allant des centrales de réserve fonctionnant au gaz ou aux combustibles liquides, des systèmes photovoltaïques supplémentaires et des centrales éoliennes à diverses technologies de stockage et à de nouvelles centrales nucléaires.

Les scientifiques prennent également en compte les coûts d'investissement et d'exploitation estimés de ces technologies. Un autre aspect essentiel de l'analyse est que, contrairement aux études précédentes, le portefeuille de centrales est toujours planifié pour fonctionner à la fois dans des conditions normales et dans le scénario de choc.

Quelle est la robustesse du système énergétique de demain ?

Les calculs du modèle montrent que le système pourrait supporter une réduction de 70% de la capacité d'importation pendant un an sans qu'il soit nécessaire de prendre des mesures supplémentaires. Cela serait possible principalement grâce aux réserves hydroélectriques : «Les lacs de retenue de la Suisse peuvent stocker près de neuf térawattheures d'électricité. Avec les options d'importation restantes, cela permettrait de compenser le manque de disponibilité», explique Jonas Savelsberg du Centre des sciences de l'énergie de l'ETH Zurich.

«Moins les restrictions massives des échanges d'électricité avec l'étranger sont fréquentes, plus les technologies dont les coûts d'exploitation sont élevés mais les coûts d'investissement faibles sont compétitives.»      Jonas Savelsberg, chercheur à l'ETH Zurich

Des capacités de production supplémentaires ne seraient nécessaires pour couvrir la demande que dans le cas d'une réduction de plus de 70% des possibilités d'échange d'électricité. La question de savoir quelles technologies seraient peu coûteuses et efficaces pour compenser les pertes d'importation dépend de la gravité et de la fréquence du choc. Selon Jonas Savelsberg, chercheur à l'ETH Zurich, «moins nous sommes confrontés à des restrictions drastiques de 70% ou plus dans le commerce de l'électricité à l'étranger, plus nous pouvons les surmonter efficacement grâce à des technologies dont les coûts d'exploitation sont élevés, mais les coûts d'investissement faibles». Ces technologies comprennent principalement les centrales électriques de réserve fonctionnant au gaz ou aux combustibles liquides.

Centrales électriques à combustible liquide

Dans la plupart des scénarios où aucune importation de gaz n'est disponible et où les échanges d'électricité sont limités de 90 à 100% tous les 10 à 100 ans, les centrales électriques fonctionnant avec des combustibles liquides tels que le pétrole, l'huile ou les combustibles synthétiques peuvent constituer une option économiquement viable.

Ces centrales sont relativement peu coûteuses à construire, mais leur exploitation est onéreuse. En effet, les émissions de CO2 qui en résultent doivent être filtrées dans l'air ou les centrales doivent être exploitées avec des combustibles synthétiques coûteux. Les coûts d'exploitation élevés pèsent toutefois moins lourd sur toute la durée de vie de ces centrales, car elles sont très peu utilisées. En outre, la Suisse dispose déjà d'importantes capacités de stockage de combustibles liquides qui ne seront pas entièrement utilisées en raison de la décarbonisation du système énergétique d'ici à 2050.

Les technologies dont les coûts d'investissement sont élevés et les coûts d'exploitation faibles n'ont de sens que si l'on part du principe que la Suisse doit se passer entièrement ou presque entièrement d'importations d'électricité tous les deux à cinq ans. Ces technologies comprennent l'énergie photovoltaïque, l'énergie éolienne et, dans le cas de scénarios de chocs extrêmes, l'énergie nucléaire.

Centrales électriques au gaz

Si, en revanche, les importations de gaz en provenance de l'étranger sont possibles au cours d'une année de choc, le modèle s'appuie principalement sur les centrales à gaz de réserve pour compenser la baisse des importations d'électricité. Là encore, le filtrage des émissions de CO2 qui en résultent est coûteux.

«Les importations de gaz ont un rôle clé à jouer dans la conception d'un système énergétique suisse robuste», déclare Jonas Savelsberg. Dès que les importations de gaz sont disponibles, les centrales nucléaires ne constituent plus une option économiquement viable pour compenser les chocs. «La disponibilité du gaz réduit les incitations économiques à investir dans de nouvelles centrales nucléaires», explique le scientifique de l'ETH Zurich.

Énergie nucléaire et hydrogène

Dans le modèle de calcul des scientifiques, les nouvelles centrales nucléaires n'ont de sens économique que dans l'hypothèse d'un arrêt complet des importations d'électricité tous les deux ans et de l'impossibilité d'importer du gaz. «Dans ce scénario irréaliste, les coûts d'investissement très élevés des nouvelles centrales nucléaires ne seraient compensés que par leurs coûts d'exploitation relativement faibles», explique Ali Darudi, scientifique à la ZHAW.

Les scientifiques fondent leurs conclusions sur des coûts d'investissement supposés de 10'000 euros par kilowatt (kW). Ce chiffre correspond à peu près aux coûts supposés par de nombreuses autres études pour la construction de nouvelles centrales nucléaires en Europe. Les scientifiques ont également tiré des conclusions similaires lorsqu'ils et elles ont testé des scénarios prévoyant des coûts inférieurs.

L'hydrogène produit de manière durable n'est utilisé comme source d'énergie compensatoire que dans les scénarios de choc où les importations d'électricité et de gaz s'interrompent complètement tous les deux à dix ans. Au total, la production d'électricité n'atteindrait que 2,5 TWh au maximum, ce qui correspond à environ 3% de la demande suisse. Si, en revanche, les importations de gaz sont disponibles, il ne vaut pas la peine de miser sur l'hydrogène, dont la production est coûteuse.

Robustesse de l'analyse

Les scientifiques ont également testé les résultats de l'étude dans un autre système énergétique modélisé. Ils et elles ont supposé que les objectifs fixés dans la loi fédérale sur la sécurité de l'approvisionnement en électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables seraient atteints.

Dans ce cas, environ 60% de la demande est produite par des installations photovoltaïques en Suisse, le reste provenant principalement de la force hydraulique et de l'énergie éolienne. Le rôle des importations d'électricité en provenance des pays voisins s'en trouve réduit, et la Suisse exporterait à peu près la même quantité d'électricité qu'elle en importerait tout au long de l'année.

Dans ce système aussi, les chercheuses et chercheurs sont arrivés aux mêmes conclusions : les centrales de réserve alimentées par du gaz ou des combustibles liquides sont également dans ce cas la solution la plus efficace pour faire face à des chocs rares.

Plus d'informations

Darudi A, Savelsberg J, Schlecht I, Thrive in sunshine, brace for thunder. Least-cost robust power system investments under political shocks. Document de travail, ZBW - Leibniz Information Centre for Economics, https://hdl.handle.net/10419/306555

Série «Solutions énergétiques pour la Suisse»

La Suisse doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre à zéro d'ici 2050. Pour ce faire, elle doit disposer d'un approvisionnement énergétique exempt de fossiles et basé sur des sources d'énergie renouvelables et durables, ce qui représente un énorme défi pour le pays. Avec son Energy Science Center, l'ETH Zurich soutient la transition énergétique en Suisse avec des solutions concrètes dans les domaines de la recherche, de l'enseignement et du transfert de connaissances.

Pour en savoir plus sur le thème de l'énergie à l'ETH Zurich.