Les scientifiques adaptent les moteurs à réaction à l'ère de l'hydrogène

Les avions fonctionnant à l'hydrogène sont appelés à voler dans le monde entier à l'avenir. Pour que cela soit possible, les ingénieures et  ingénieurs doivent développer les moteurs à réaction qui les propulseront. Les expériences menées par les chercheurs et chercheuses de l'ETH Zurich fournissent aujourd'hui les bases nécessaires pour rendre ces moteurs puissants et durables.
Les réacteurs des avions commerciaux seront alimentés par de l'hydrogène (image symbolique). (Image créée avec AI : Dzmitry / Adobe Stock)

En bref

  • Dans les moteurs à réaction, l'interaction des flammes et le bruit généré par la combustion peuvent provoquer des vibrations.
  • Ces vibrations sollicitent fortement les moteurs. Les ingénieurs et ingénieures font donc tout leur possible pour les éviter.
  • Les scientifiques de l'ETH Zurich viennent d'apporter une contribution importante au développement de moteurs d'avion à hydrogène propres : elles et ils ont testé en laboratoire le comportement acoustique des buses d'injection d'hydrogène dans des conditions similaires à celles qui prévalent à l'altitude de croisière.

L'Europe se prépare à des vols sans impact sur le climat, propulsés par de l'hydrogène produit de manière durable. L'année dernière, l'UE a lancé un projet visant à soutenir l'industrie et les universités dans le développement d'un avion moyen-courrier fonctionnant à l'hydrogène. Les moteurs à réaction devront notamment être adaptés pour fonctionner avec ce nouveau carburant. Les moteurs actuels sont optimisés pour brûler du kérosène.

«L'hydrogène brûle beaucoup plus vite que le kérosène, ce qui donne des flammes plus compactes», explique Nicolas Noiray, professeur au département de génie mécanique et de génie des procédés de l'ETH Zurich. Il faut en tenir compte lors de la conception des moteurs à hydrogène. Les expériences menées par l'équipe de Nicolas Noiray fournissent désormais une base importante à cet égard. L'équipe vient de publier ses résultats dans la revue Combustion and Flame.

L'un des problèmes est celui des vibrations, que les ingénieurs et ingénieures tentent de minimiser. Dans les moteurs à réaction classiques, une vingtaine de buses d'injection de carburant sont disposées autour de la chambre de combustion annulaire du moteur. La combustion turbulente du carburant génère des ondes sonores. Ces ondes sont réfléchies par les parois de la chambre et agissent en retour sur les flammes. Ce couplage entre l'onde sonore et les flammes peut donner lieu à des vibrations qui sollicitent fortement la chambre de combustion du moteur. «Ces vibrations peuvent fatiguer le matériau, ce qui, dans le pire des cas, peut entraîner des fissures et des dégâts», explique Abel Faure-Beaulieu, ancien chercheur postdoctoral dans le groupe de Nicolas Noiray. «C'est pourquoi, lors du développement de nouveaux moteurs, on veille à ce que ces vibrations ne se produisent pas dans les conditions d'exploitation.»

Simulation des conditions à l'altitude de croisière

Lorsque les ingénieures et ingénieurs ont développé les moteurs à kérosène actuels, ils et elles ont dû maîtriser ces vibrations. Elles et ils y sont parvenus en optimisant la forme des flammes ainsi que la géométrie et l'acoustique de la chambre de combustion. Cependant, le type de carburant a un impact important sur les interactions entre le son et la flamme. Les ingénieurs et ingénieures et les chercheuses et chercheurs doivent donc maintenant s'assurer que ces interactions ne se produiront pas dans un nouveau moteur à hydrogène. Une installation de test et de mesure élaborée à l'ETH Zurich permet à Nicolas Noiray de mesurer l'acoustique des flammes d'hydrogène et de prédire les vibrations potentielles. Dans le cadre du projet européen HYDEA, auquel il participe avec GE Aerospace, il teste les buses d'injection d'hydrogène produites par l'entreprise.

«Notre installation nous permet de reproduire les conditions de température et de pression d'un moteur à son altitude de croisière», explique Nicolas  Noiray. Les chercheurs et chercheuses de l'ETH Zurich peuvent également recréer l'acoustique de différentes chambres de combustion, ce qui permet d'effectuer un large éventail de mesures. «Notre étude est la première du genre à mesurer le comportement acoustique des flammes d'hydrogène dans des conditions de vol réelles.

Lors de leurs expériences, les scientifiques ont utilisé une seule buse et ont ensuite modélisé le comportement acoustique de l'ensemble des buses telles qu'elles seraient disposées dans un futur moteur à hydrogène. L'étude aide les ingénieurs et ingénieures de GE Aerospace à optimiser les buses d'injection et à ouvrir la voie à un moteur à hydrogène très performant. Dans quelques années, le moteur devrait être prêt pour les premiers essais au sol et, à l'avenir, il pourrait propulser les premiers avions alimentés à l'hydrogène.

Le professeur Nicolas Noiray de l'ETH Zurich ne considère pas le développement des moteurs ou des réservoirs d'hydrogène pour les avions comme le plus grand défi à relever pour faire passer l'aviation à l'ère de l'hydrogène. «L'humanité a volé jusqu'à la lune ; les ingénieures et ingénieurs seront sans aucun doute capables de développer des avions à hydrogène», affirme-t-il. Mais les avions ne suffisent pas. Selon Nicolas Noiray, un autre défi majeur consiste à mettre en place l'ensemble de l'infrastructure de l'aviation à hydrogène, y compris la production d'hydrogène neutre pour le climat en quantités suffisantes et son transport vers les aéroports. Pour y parvenir dans un délai raisonnable, un effort concerté s'impose dès à présent.

Pourquoi l'hydrogène pour l'aviation ?

La plupart des véhicules terrestres peuvent être électrifiés à l'aide de batteries, mais celles-ci sont trop lourdes pour les avions à hautes performances. Stocker l'énergie nécessaire pour faire voler 200 passagers et passagères sur des milliers de kilomètres avec de l'hydrogène dans des réservoirs cryogéniques pèse au moins trente fois moins que de la stocker dans des batteries. «Dans les décennies à venir, seuls les petits avions à très faible capacité de charge seront alimentés par des batteries», déclare le Nicolas Noiray de l'ETH Zurich. «Pour les avions de passagères et passagers et les avions-cargos, les carburants synthétiques sont la seule alternative au kérosène actuel, et l'hydrogène est le plus économique à produire de manière durable.»

Selon la taille et le rayon d'action de l'avion, il existe deux solutions possibles pour l'hydrogène. Pour les petits avions régionaux à faible vitesse de croisière et à faible rayon d'action, l'hydrogène peut être converti en électricité dans une pile à combustible embarquée. Celle-ci entraîne les hélices par l'intermédiaire d'un moteur électrique. Toutefois, pour les avions commerciaux long-courriers, les piles à combustible ne conviennent pas en raison de leur taille et de leur poids. À l'avenir, ces avions seront propulsés par des moteurs à réaction alimentés en hydrogène. Plusieurs consortiums industriels travaillent actuellement à la mise au point de tels moteurs.