Des vessies organoïdes révèlent les secrets des infections urinaires
Les infections urinaires font partie des infections bactériennes les plus courantes. Elles nécessitent généralement un traitement par antibiotiques, et près d’un quart des cas traités mènent à une infection récurrente. La grande majorité des infections urinaires sont dues à une sous-espèce de la bactérie Escherichia coli, qui infecte les cellules de la paroi de la vessie et forme ce que l’on appelle des «communautés bactériennes intracellulaires».
Reconstruction en microscopie électronique des différentes niches bactérienness. Credit: Sharma et al.© 2021 EPFL
Ces «communautés» se rompent à plusieurs reprises et les bactéries pénètrent à nouveau dans les cellules voisines, finissant par tuer les cellules dites «parapluie» qui tapissent la couche la plus externe de l’épithélium de la vessie. La disparition des cellules parapluie permet alors aux bactéries d’envahir les couches plus profondes de la vessie, où elles peuvent former des «réservoirs intracellulaires quiescents» qui résistent aux antibiotiques et provoquent des infections urinaires récidivantes. La dynamique de ces événements est difficile à saisir in vivo dans des modèles animaux.
«La dynamique de l’infection est difficile à saisir à partir de l’imagerie statique d’explants tissulaires à des points temporels en série», affirme Kunal Sharma, auteur principal des deux études. «Jusqu’à aujourd’hui, les modèles in vitro n’ont pas reproduit l’architecture de la vessie avec une fidélité suffisante pour étudier le déroulement temporel de ces événements.»
Pour y remédier, le groupe du professeur John McKinney de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL a mis au point deux modèles complémentaires de vessie pour étudier les infections urinaires de manière plus contrôlée. Le premier modèle est constitué d’organoïdes de vessie qui recréent l’architecture stratifiée en 3D de l’épithélium de la vessie. Les organoïdes sont de minuscules tissus et organes cultivés en laboratoire qui sont anatomiquement corrects et physiologiquement fonctionnels.
Le second modèle est une vessie sur puce qui intègre des stimuli physiologiques, par exemple l’effet mécanique du remplissage et de la vidange de la vessie, ainsi qu’une interface avec le système vasculaire pour étudier la migration des cellules immunitaires vers les foyers d’infection. Les avancées sont publiées dans les revues Cell Reports et eLife.
«En produisant des organoïdes à partir d’une souris avec un marqueur fluorescent incorporé dans les membranes cellulaires, nous avons pu utiliser l’imagerie confocale de cellules vivantes au sein de la plateforme BioImaging & Optics Core Facility de l’EPFL pour identifier des niches bactériennes spécifiques dans l’organoïde avec une haute résolution spatiale», explique Kunal Sharma. «Grâce à l’imagerie de multiples organoïdes, nous avons réussi à identifier l’hétérogénéité et les divers résultats des interactions hôte-pathogène. Ce système de validation de principe a montré un potentiel prometteur pour des études de suivi sur la persistance bactérienne aux antibiotiques et la dynamique des réponses des cellules immunitaires aux infections.»
En combinaison avec la microscopie électronique volumétrique réalisée par la plateforme Biological Electron Microscopy Facility de l’EPFL, les chercheurs ont découvert que les bactéries solitaires envahissent rapidement les couches plus profondes de la vessie, indépendamment de la formation de communautés bactériennes intracellulaires, où elles sont protégées des antibiotiques et des cellules immunitaires de l’hôte. Ces résultats pourraient être exploités pour améliorer les stratégies de traitement des infections urinaires.
Dans le modèle complémentaire de la vessie sur puce, les chercheurs ont étudié la dynamique de croissance des bactéries dans les communautés bactériennes intracellulaires au fil du temps. Ils ont cultivé simultanément des cellules parapluie et des cellules endothéliales humaines dans un système d’écoulement de l’urine simulé. Ils ont appliqué des contraintes mécaniques pour imiter l’expansion et la contraction naturelles de la vessie.
Cette étude a porté sur le rôle du recrutement des neutrophiles en réponse à l’infection, révélant que les neutrophiles ne peuvent pas éliminer les communautés bactériennes intracellulaires. En suivant les communautés bactériennes intracellulaires au cours de cycles successifs de traitement antibiotique, les chercheurs ont découvert qu’elles étaient très dynamiques et résistantes aux antibiotiques.
«Ces études font partie du consortium “AntiResist” financé par le PRN, qui vise à développer des modèles in vitro plus réalistes pour les maladies infectieuses et à utiliser ces connaissances pour élaborer des stratégies de traitement optimales, ce qui pourrait avoir un impact considérable sur la santé humaine», affirme John McKinney.
«Les modèles microphysiologiques comblent le fossé entre les systèmes simples de culture cellulaire et les modèles animaux», explique Vivek V. Thacker, qui a travaillé sur les deux études. «Les deux modèles se complètent bien et sont adaptés à l’étude d’aspects spécifiques de la maladie. Nous espérons qu’ils serviront de ressource à la communauté microbiologique au sens large et feront progresser les synergies entre les spécialistes de l’ingénierie tissulaire et des maladies infectieuses.»