Le réemploi pour une construction plus durable

La réutilisation des matériaux de construction prend aujourd’hui tout son sens avec la nécessité de limiter notre empreinte carbone. La recherche s’y intéresse. Le point avant une conférence à l’EPFL.
Le projet RebuiLT utilise un bâtiment construit dans les années 70 voué à la démolition pour édifier un pavillon à Ecublens. © 2023 rebuiLT/PJ Renaud CC-BY-SA 4.0

La Suisse jette chaque année 17 millions de tonnes de matériaux de construction (hors terres d’excavation). «Ces produits sont généralement de bonne qualité et ils pourraient être utilisés pour éviter la production de nouveaux matériaux, l’extraction de matières naturelles et des processus d’extraction et de fabrication extrêmement polluants», résume Corentin Fivet. Le professeur au Laboratoire d’exploration structurelle (SXL) de l’EPFL et, à partir du 1er avril, directeur académique du Smart Living Lab à Fribourg a fait du réemploi un de ses thèmes de recherche phare.

«Le réemploi, c’est le retour du bon sens. Il était l’évidence avant la révolution industrielle, car produire un matériau neuf coûtait plus cher que de réutiliser un élément qui venait d’être démonté. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, regrette Corentin Fivet. C’est plus cher, car ce n’est pas dans les habitudes. Pour les investisseurs tout ce qui représente un risque neuf coûte plus cher.» Mais si la nécessité du réemploi n’est plus économique, elle est environnementale.

«Si l’on veut avoir un réel impact sur les émissions, cela ne suffit pas de réutiliser le pot de fleur ou la moquette.»      Corentin Fivet, professeur au Laboratoire d’exploration structurelle, EPFL

Le réemploi revient depuis une dizaine d’années avec l’avènement de l’économie circulaire. Les projets se multiplient à l’instar de la transformation prochaine de l’ancien site de l’usine Fiat à Genève en zone mixte de logements et d’activité industrielle. Nombre d’éléments ont été récupérés, du mobilier urbain aux éléments structurels, y compris des dalles de béton qui ont trouvé place dans les ateliers du Smart Living Lab, à Fribourg. «Le réemploi reste un marché de niche et on manque encore de retours d’expérience, de démonstrations qu’il fait sens techniquement et économiquement et de preuves que les déchets ont encore une valeur pour remplacer des produits neufs», souligne le professeur.

Les études montrent déjà que le réemploi a surtout un sens, en matière d’impact environnemental, quand il concerne les éléments porteurs du fait de leur grande présence et de processus de production ayant une grande empreinte écologique. «Il est clair que si l’on veut avoir un réel impact sur les émissions, cela ne suffit pas de réutiliser le pot de fleur ou la moquette», tranche le professeur. Le produit le plus durable reste celui qui existe déjà, même si sa production était polluante. Une récente étude émanant de son laboratoire montre qu’en réutilisant une dalle en béton, on économise jusqu’à 90% d’émissions de gaz à effet de serre comparativement à la production d’une nouvelle dalle.

Un thème qui essaime

Au-delà de la construction proprement dite, le réemploi produit aussi un cercle vertueux, favorisant l’économie locale et participant à la création de nouveaux métiers à tous les niveaux de qualification. «Les ouvriers ont appris à construire, mais pas à déconstruire. Or pour faire fonctionner le réemploi, on a besoin de nombreuses expertises différentes. De nouvelles start-ups et associations émergent chaque mois avec des modèles économiques très divers et très localisés», précise Corentin Fivet. Une effervescence qui se traduit par exemple par le nombre croissant de sites mettant en relation l’offre et la demande de lavabos, portes, radiateurs, mobilier, ou autres éléments de construction.

L’enseignement est aussi chamboulé. «Désormais, les exigences en matière de durabilité sont tellement élevées qu’on ne peut plus enseigner la technologie du bâti comme il y a encore 10 ans. On doit ouvrir la voie aux méthodes alternatives et apprendre à questionner la norme.» Le réemploi s’invite encore dans les laboratoires de recherche. Outre le SXL, plusieurs laboratoires de la faculté de l’Environnement naturel, architectural et construit (ENAC) de l’EPFL s’intéressent à des problématiques liées au réemploi comme le laboratoire EAST qui aborde les questions de conception des bâtiments, THEMA qui travaille sur l’empreinte environnementale des matériaux à la lumière de l’histoire de la construction, HERUS qui regarde la question des flux de matériaux à l’échelle de la ville, EESD qui étudie la construction de murs en maçonnerie à base de débris de béton, CRCL qui fait appel à la robotique pour automatiser la construction y compris à l’aide de matériaux recyclés ou encore RESSLab qui travaille sur les performances mécaniques de l’acier en vue du réemploi.

Une solution de dernier recours

Mais il ne faut pas se leurrer. Le réemploi doit rester une solution de dernier recours aux yeux du spécialiste. «Notre recherche montre que l’on peut valoriser les déchets de construction, mais cela ne devrait pas servir comme excuse pour continuer à en produire. C’est le problème aujourd’hui des bouteilles en plastique: comment on peut les recycler, la population a généralement moins de scrupules à en utiliser.» Pour réduire l’empreinte énergétique dans la construction, il faudrait en premier lieu conserver les bâtiments existants, préconise le professeur. Si l’on doit les démolir, il faudrait alors les déconstruire et en réemployer le plus possible d’éléments. Après seulement, le recyclage des déchets pourrait être envisagé car il s’agit d’une pratique qui nécessite généralement plus d’énergie et est plus polluante que le réemploi qui essaie de conserver le plus possible des qualités physiques des matériaux.

«Notre recherche montre que l’on peut valoriser les déchets de construction, mais cela ne devrait pas servir comme excuse pour continuer à en produire.»      Corentin Fivet

Le réemploi a aussi certaines limites. En Suisse par exemple, on construit 6 à 7 fois plus qu’on ne démolit. Il faut donc aussi essayer de construire moins et, le cas échéant, surtout mieux. Ne pas remplacer un immeuble par un autre sensiblement pareil, ou pour construire plus grand et plus moderne sans pour autant accueillir plus d’habitants. Et Corentin Fivet de conclure: «Ce genre d’opération ne fait pas sens à la lumière de ce qu’il faudrait consentir pour lutter contre le réchauffement climatique. C’est clair pour les scientifiques, mais des solutions sont encore à trouver pour en convaincre la société et les promoteurs immobiliers.»

Apprendre à construire de manière durable

Le projet rebuiLT met au défi les étudiants et étudiantes de prouver la qualité et l’intérêt d’une réalisation low-tech. Le projet utilise entre autres un bâtiment construit dans les années 70 voué à la démolition pour édifier un pavillon à Ecublens. L’été dernier, la structure en béton a été transférée d’un site à l’autre avec l’aide de professionnels, puis le reste du gros œuvre a été réalisé sous forme de chantiers participatifs. Des enfants d’écoles primaires d’Ecublens ont notamment peint certaines tuiles qui s’intercalent entre les quelque 6000 tuiles récupérées.

Le chantier reprendra au printemps et surtout cet été avec la construction des murs en paille et des fenêtres issues du réemploi. Le bâtiment devrait être achevé au début de l’automne et mis à disposition de la population.

Corentin Fivet est le référent académique, mais la gestion et la réalisation sont le fait des étudiants et étudiantes, soutenu par l’initiative de l’EPFL MAKE.

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Liens

«Waste no more» conférence et table ronde avec Corentin Fivet, le 27 mars 2024 à 18h, SG 1138.