Cancer du poumon: espoir d'une immunothérapie plus efficace
Le cancer du poumon est la principale cause de mortalité due au cancer. Les traitements actuels recourent à l’immunothérapie, souvent en association avec la chimiothérapie, mais les bénéfices restent maigres pour les patients. Dans une étude préclinique, des chercheurs de l’EPFL ont testé une méthode connue pour augmenter l’efficacité de l’immunothérapie dans d’autres cancers. L’article relatant cette étude fait la couverture de Science Translational Medicine.
«Le type d’immunothérapie autorisée pour le traitement du cancer du poumon, appelé blocage de point de contrôle immunitaire (immune checkpoint blockade, ICB), réside dans une classe de médicaments qui peuvent induire les cellules immunitaires CD8 T à attaquer la tumeur», déclare Amaia Martinez-Usatorre, auteure principale de l’étude et postdoc dans le laboratoire du professeur Michele De Palma. «Malheureusement, seul environ un cinquième des patients atteints de cancer du poumon peuvent bénéficier de l’ICB et les réponses à long terme sont rares.»
Des scientifiques cherchent à améliorer l’efficacité de l’ICB dans le cancer du poumon, souvent en combinant l’ICB avec d’autres médicaments, afin d’augmenter directement l’effet des cellules CD8 T. Cependant, s’il n’y a pas assez de cellules CD8 T dans la tumeur – ce qui est souvent le cas dans le cancer du poumon – cette approche reste inefficace.
L’équipe de chercheurs a examiné des modèles de cancer du poumon dont les tumeurs avaient été modifiées par génie génétique pour présenter des mutations que l’on trouve dans le cancer du poumon humain. «Ces tumeurs se développent comme le cancer du poumon humain et elles sont tout aussi difficiles à traiter avec les médicaments anticancéreux disponibles,» explique Amaia Martinez-Usatorre.
Amaia Martinez-Usatorre, auteure principale de l’étude et postdoc dans le laboratoire du professeur Michele De Palma © Murielle Gerber / 2021 EPFL
Le laboratoire du Professeur De Palma avait montré précédemment qu’il est possible d’augmenter le nombre de cellules CD8 T dans des tumeurs mammaires en utilisant des médicaments anti-angiogéniques qui rendent les vaisseaux sanguins de la tumeur plus perméables aux cellules CD8 T. (L’angiogenèse est le processus par lequel des vaisseaux sanguins se forment et croissent dans les tumeurs.) Lorsque le médicament anti-angiogénique était combiné avec l’ICB, davantage de cellules CD8 T étaient recrutées vers les tumeurs. Renforcée par l’ICB, cette armée fortifiée de cellules CD8 T est plus à même de combattre la tumeur.
Cette approche nouvelle a aussi été testée chez des patients et elle a amélioré le traitement de certains autres types de cancers, pour lesquels elle est récemment devenue une thérapie autorisée.
Contrairement aux attentes, les chercheurs ont trouvé que cette combinaison de médicaments ne fonctionnait pas dans les modèles de cancer du poumon. « En fait, nous avons trouvé que certaines tumeurs pulmonaires semblaient même croître plus rapidement lorsque nous combinions le médicament anti-angiogénique avec l’ICB, » explique Amaia Martinez-Usatorre. «C’était là apparemment un paradoxe … et un échec.»
D’autres recherches ont permis d’identifier le coupable probable: en plus des cellules CD8 T, le médicament anti-angiogénique favorisait le recrutement d’un autre type de cellules T appelées cellules T régulatrices ou Tregs. Dans les organes sains, ces deux types de cellules T travaillent de concert, les cellules CD8 T contribuant à l’élimination des cellules infectées et les Tregs protégeant le tissu pour prévenir des dommages qui pourraient survenir à long terme.
«C’était là une mauvaise nouvelle car les Tregs sont connues pour exercer un effet immunosuppresseur, c’est-à-dire qu’elles peuvent contrecarrer la réponse immunitaire des cellules CD8 T contre le cancer,» déclare Ece Kadioglu, étudiante doctorante dans le laboratoire du professeur Palma et co-auteure de l’étude. «L’ICB ne pouvait pas distinguer entre les «bonnes» cellules CD8 T et les «mauvaises» Tregs. Elle renforçait les deux types de cellules. Une augmentation des Tregs signifie davantage d’effet immunosuppresseur, ce qui facilite la croissance de la tumeur.»
Pour contrecarrer cet effet, les chercheurs ont alors entrepris d’identifier des vulnérabilités chez les Tregs. Ils ont trouvé que leur survie dans les tumeurs dépendait d’un autre type de cellules immunitaires appelées macrophages. Les macrophages posent un problème parce que non seulement ils aident les Tregs à prospérer mais aussi parce qu’ils soutiennent la croissance du cancer de plusieurs façons.
«Lorsque nous avons analysé des données de cancers pulmonaires humains, nous avons constaté que plus il y avait de macrophages, plus il y avait de Tregs dans les tumeurs pulmonaires,” déclare Amaia Martinez-Usatorre. «Ceci a confirmé que nous avions probablement découvert quelque chose, que ce que nous voyions dans les modèles expérimentaux de tumeurs avait une pertinence pour la maladie humaine. Les macrophages et les Tregs établissent des liens dangereux dans le cancer pulmonaire. Pour augmenter l’efficacité de l’ICB, nous devions rompre ces liens.»
L’équipe a découvert que deux types différents de macrophages étaient présents dans les tumeurs pulmonaires – tous deux contribuant à soutenir les Tregs. Afin d’identifier des molécules permettant de les cibler pharmacologiquement, ils les ont «profilés».
Un type de macrophages associés aux tumeurs exprimait la protéine CSF1R et en dépendait pour sa survie, les chercheurs ont donc pu éliminer ces macrophages de la tumeur en utilisant un anticorps pour bloquer CSF1R. Toutefois, ceci n’a pas fonctionné sur le second type de macrophages car il n’exprimait pas CSF1R et n’en dépendait pas. Les chercheurs ont néanmoins découvert que ce type était sensible à une certaine forme de chimiothérapie communément administrée aux patients atteints de cancer du poumon.
Cette attaque sur deux fronts, qui combinait le cisplatine et l’anticorps anti-CSF1R, a éliminé les deux types de macrophages et n’a laissé que très peu de macrophages dans les tumeurs. À leur tour, les Tregs ont aussi été éliminés car maintenant le soutien vital des macrophages leur faisait défaut.
Une fois les macrophages et les Tregs éliminés, seules les «bonnes» cellules CD8 T étaient présentes dans les tumeurs. L’augmentation du nombre de cellules CD8 T n’étant plus empêchée par les Tregs, ceci libérait l’action de l’ICB contre les tumeurs, induisant des bénéfices remarquables.
«Nous avons en fait été capables d’induire la régression d’environ 70% des tumeurs,» déclare Amaia Martinez-Usatorre. «À titre de comparaison, seuls 15 à 20% des tumeurs cancéreuses pulmonaires humaines répondent actuellement à l’ICB. Ce serait donc spectaculaire si cette stratégie pouvait être transférée à des patients.»
«Cette combinaison est prometteuse et elle pourrait être testée chez des patients atteints de cancer du poumon,» déclare le Professeur Michele De Palma. «Il s'agit là d’une véritable réussite pour cette étude. Nous menons actuellement des discussions pour pouvoir avancer et tester cette approche dans des essais cliniques. Et comme les médicaments que nous avons utilisés dans ces expériences - le cisplatine et l’anticorps anti-CSF1R – sont déjà des traitements autorisés pour certaines maladies humaines, ceci pourrait accélérer les tests cliniques de la stratégie.»