Des circuits photoniques intégrés pour combler l'«écart térahertz»
Sous la houlette de Cristina Benea-Chelmus, les scientifiques du Laboratoire de photonique hybride (HYLAB) de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL ont fait un grand pas vers l’exploitation réussie de l’écart térahertz, qui se situe entre 300 et 30 000 gigahertz (0,3 à 30 THz) sur le spectre électromagnétique. Cette plage est actuellement une sorte de zone morte technologique, décrivant des fréquences qui sont trop rapides pour les appareils électroniques et de télécommunications actuels, mais trop lentes pour les applications d’optique et d’imagerie.
Aujourd’hui, grâce à une puce extrêmement mince munie d’un circuit photonique intégré constitué de niobate de lithium, les chercheuses et chercheurs du HYLAB, en collaboration avec leurs collègues de l’Université d’Harvard et de l’ETHZ, ont non seulement réussi à produire des ondes térahertz, mais aussi à concevoir une solution permettant d’adapter leur fréquence, leur longueur d’onde, leur amplitude et leur phase. Un contrôle aussi précis du rayonnement térahertz signifie qu’il peut désormais être exploité pour des applications de nouvelle génération dans les domaines électronique et optique. Les résultats ont été récemment publiés dans la revue Nature Communications.
«Voir les dispositifs émettre des rayonnements avec les propriétés que nous avions prédéfinies nous a permis de confirmer que notre modèle était correct», explique Alexa Herter, doctorante à l'ETH Zurich et co-première auteure de l’article.
«Cela a été rendu possible grâce aux caractéristiques uniques de la photonique intégrée en niobate de lithium», ajoute le co-premier auteur Amirhassan Shams-Ansari, postdoctorant à l'Université de Harvard.
Compatibilité avec les télécommunications
Cristina Benea-Chelmus explique que, si de telles ondes térahertz ont déjà été produites en laboratoire, les approches précédentes reposaient principalement sur des cristaux en vrac pour générer les bonnes fréquences. L’utilisation par son laboratoire du circuit en niobate de lithium, finement gravé à l’échelle nanométrique par des collaboratrices et collaborateurs de l’Université de Harvard, rend leur nouvelle approche beaucoup plus rationnelle. L’utilisation d’un substrat de silicium permet également d’intégrer le dispositif dans des systèmes électroniques et optiques.
«Il est extrêmement difficile de créer des ondes à très haute fréquence et les techniques permettant de les générer avec des motifs uniques sont très rares. On peut désormais concevoir la forme temporelle exacte de l’onde térahertz au point de pouvoir dire: “Je veux une forme d’onde qui ressemble à cela”», explique-t-elle.
Pour y parvenir, le laboratoire de Cristina Benea-Chelmus a conçu la disposition des canaux de la puce, appelés guides d’ondes, à partir desquels des antennes microscopiques diffusent des ondes térahertz générées par la lumière des fibres optiques.
«Le fait que notre dispositif utilise déjà un signal optique standard est vraiment un avantage, car cela signifie que ces nouvelles puces peuvent être utilisées avec des lasers traditionnels, qui fonctionnent très bien et sont parfaitement compris. Autrement dit, notre dispositif est compatible avec les télécommunications», souligne Cristina Benea-Chelmus. Elle ajoute que les dispositifs miniaturisés qui envoient et reçoivent des signaux dans la plage térahertz pourraient jouer un rôle clé dans les systèmes mobiles de sixième génération (6G).
Dans le domaine optique, Cristina Benea-Chelmus voit un potentiel particulier pour les puces miniaturisées en niobate de lithium en spectroscopie et en imagerie. En plus d’être non ionisantes, les ondes térahertz sont beaucoup moins énergétiques que de nombreux autres types d’ondes (comme les rayons X) actuellement utilisés pour fournir des informations sur la composition d’un matériau, qu’il s’agisse d’un os ou d’une peinture à l’huile. Un dispositif compact et non destructif comme la puce en niobate de lithium pourrait donc constituer une alternative moins invasive aux techniques spectrographiques actuelles.
«On peut imaginer envoyer un rayonnement térahertz à travers un matériau qui nous intéresse et de l’analyser pour mesurer la réponse du matériau, en fonction de sa structure moléculaire. Tout cela à partir d’un dispositif plus petit qu’une tête d’allumette.»
L’avenir quantique
Par la suite, Cristina Benea-Chelmus envisage de se pencher sur la modification des propriétés des guides d’ondes et des antennes de la puce pour créer des formes d’ondes de plus grandes amplitudes, ainsi que des fréquences et des taux de décroissance plus précis. Elle estime que la technologie térahertz développée dans son laboratoire pourrait aussi être utile pour les applications quantiques.
«Il y a de nombreuses questions fondamentales à résoudre. Par exemple, nous voulons savoir si nous pouvons utiliser ces puces pour générer de nouveaux types de rayonnement quantique pouvant être manipulés à des échelles de temps extrêmement courtes. En science quantique, de telles ondes peuvent servir à contrôler des objets quantiques.»