Améliorer la qualité grâce à l'intelligence artificielle
Machines complexes, produits pharmaceutiques ou puces électroniques: plus un produit est cher, plus sa qualité est importante lorsqu'il s'agit de survivre sur le marché. C'est particulièrement vrai pour la production industrielle dans les pays à hauts salaires comme la Suisse. Il est donc d'autant plus surprenant que la mauvaise qualité continue à représenter en moyenne 15% des coûts d'exploitation dans la fabrication industrielle, souvent en raison d'une gestion de la qualité dépassée.
Dans une nouvelle étude, les chercheurs de l'ETH Julian Senoner et Torbjørn Netland, ainsi que Stefan Feuerriegel, qui a récemment rejoint la LMU de Munich, montrent comment l'intelligence artificielle (IA) peut être utilisée pour améliorer la gestion de la qualité dans les processus de production numérique complexes. Leur algorithme a déjà été testé avec succès dans une usine de semi-conducteurs d'Hitachi Energy - anciennement Hitachi ABB Power Grids - à Lenzburg: le nombre de produits défectueux a été réduit de plus de 50% lors d'une expérience, rendant la production non seulement plus efficace mais aussi plus durable.
Une gestion de la qualité dépassée
La fabrication de produits industriels complexes nécessite un grand nombre d'étapes de travail interdépendantes. La production de semi-conducteurs, par exemple, destinés à être utilisés dans des ordinateurs, des trains ou des éoliennes, implique entre 200 et 400 étapes de production. Différents problèmes peuvent survenir au cours de chacune de ces étapes. Si la température d'une machine est un peu trop élevée, ou la pression d'une autre un peu trop faible, par exemple, une grande partie des produits peut être affectée par des erreurs. «Dans la production de semi-conducteurs, il n'est pas rare que le taux d'erreur se situe entre 5 et 70% en raison du processus de fabrication très compliqué. D'énormes sommes d'argent sont en jeu», explique Torbjørn Netland, professeur à l'ETH Zurich et membre de la chaire de gestion de la production et des opérations.
Jusqu'à présent, il était extrêmement difficile d'identifier précisément les sources d'erreur dans des processus de production complexes de ce type. Les méthodes traditionnelles utilisées pour l'assurance qualité dans de nombreuses usines du monde entier n'ont jamais permis aux ingénieures et ingénieurs d'examiner que quelques paramètres à la fois. Or, dans les processus de production complexes, des milliers de paramètres interdépendants sont désormais mesurés, mais les méthodes traditionnelles ne permettaient pas d'analyser la manière dont ils interagissent et affectent la production globale. Le professeur Torbjørn Netland de l'ETH Zurich et ses co-auteurs veulent changer cela: «Nous voulons faire entrer la gestion de la qualité dans l'ère numérique. Les méthodes qui continuent d'être utilisées par de nombreux producteurs ont souvent jusqu'à 100 ans», explique-t-il.
L'algorithme identifie les sources d'erreur
Les chercheurs de l'ETH Zurich ont d'abord développé un algorithme qui imite les différentes étapes de la production de semi-conducteurs. Ils ont ensuite alimenté l'algorithme avec autant de données historiques de production que possible, telles que la température ou la pression mesurée dans les machines. «Sur la base de ces données, l'algorithme apprend les conditions nécessaires pour garantir la bonne qualité des semi-conducteurs et celles qui entraînent des taux d'erreur élevés», explique Julian Senoner, auteur principal et chercheur dans le groupe de Torbjørn Netland.
L'avantage de la méthode basée sur l'AI est qu'elle peut être utilisée pour analyser un nombre quelconque de facteurs et de relations dans le processus de production, et révéler des interrelations plus complexes entre les paramètres. Cela permet d'identifier les sources d'erreur de manière plus systématique et tout au long du processus de production. L'approche proposée ne rendra pas inutile la présence d'ingénieures et ingénieurs bien formés dans les usines, bien au contraire: «Notre algorithme identifie principalement les sources d'erreur qui n'étaient pas détectées auparavant. Mais pour les corriger, il faudra encore beaucoup d'expertise technique et de créativité humaine», explique Torbjørn Netland.
50% de pertes en moins
Pour tester l'algorithme, les auteurs ont travaillé avec Hitachi Energy à Lenzburg. Hitachi Energy produit des semi-conducteurs qui sont utilisés dans les véhicules et les trains électriques, ainsi que dans les éoliennes et les lignes électriques. Les données historiques de production du fabricant de semi-conducteurs ont permis aux chercheurs d'identifier les deux étapes de fabrication qui nuisaient le plus à la qualité des produits.
Forts de ces résultats, ils se sont rendus à l'usine pour mener une expérience dans des conditions de production réelles. Avec les ingénieures et ingénieurs d'Hitachi Energy, les auteurs ont divisé un lot de production de 1488 semi-conducteurs en quatre groupes de taille égale. Alors que les 372 premiers semi-conducteurs ont été produits sans ajustements spécifiques, une étape de fabrication chacune a été optimisée pour les groupes deux et trois, et les deux étapes de fabrication ont ensuite été optimisées pour les 372 derniers semi-conducteurs. «Les résultats de l'expérience ont confirmé les prédictions de l'algorithme: dans le groupe de contrôle produit sans optimisation, le taux d'erreur était quatre fois plus élevé que dans le groupe produit selon la recommandation de l'algorithme», explique Torbjørn Netland.
Hitachi Energy a ensuite appliqué les recommandations des chercheurs de l'ETH Zurich à une autre variante de produit, et a réduit de plus de la moitié la proportion de produits défectueux. Pour le fabricant de semi-conducteurs de Lenzbourg, l'algorithme développé par les chercheurs de l'ETH Zurich offre des avantages considérables qui contribueront à améliorer la gestion de la qualité de manière significative et durable.
Transférable à d'autres secteurs
Mais ces résultats sont-ils également réalisables dans d'autres industries? «Pour que notre méthode donne de bons résultats, il faut disposer de beaucoup de données de production, ce qui suppose des processus de production hautement numérisés», explique Julian Senoner. Selon les auteurs, ces conditions se retrouvent actuellement surtout dans l'industrie pharmaceutique et chimique et dans la production de plastique.
Mais avec la numérisation croissante des processus de production, l'algorithme des chercheurs de l'ETH Zurich devrait également devenir intéressant à moyen terme pour d'autres secteurs. Afin d'exploiter le potentiel économique de l'intelligence artificielle dans la gestion de la qualité et de rendre la technologie accessible au plus grand nombre, l'auteur principal Julian Senoner et l'ETH Pioneer Fellow Bernhard Kratzwald ont donc fondé la spin-off EthonAI.