«IMPACT est une mise à niveau très importante»
Daniela Kiselev, le projet IMPACT est encore dans la phase de planification. Voulez-vous saisir l’occasion de lui faire un peu de publicité?
Avec IMPACT, notre objectif est de réaliser une mise à niveau décisive à une installation centrale de grande envergure au PSI, à savoir notre accélérateur de protons HIPA. Avec l’extension prévue, nous contribuerons à maintenir le paysage suisse de la recherche au niveau d’excellence où il a évolué jusqu’ici. IMPACT revêt donc une importance stratégique pour le PSI. Mais il faut encore que le Parlement suisse donne son accord. C’est un processus établi pour les grands projets qui doivent être financés dans le cadre de la Feuille de route suisse pour les infrastructures de recherche .
Acronymes
HIPA est l’accélérateur de protons du PSI. HIPA signifie High Intensity Proton Accelerator (accélérateur de protons à haute intensité).
IMPACT est une mise à niveau prévue pour HIPA, planifiée pour la période d’encouragement de la recherche à partir de 2025. IMPACT signifie Isotope and Muon Production with Advanced Cyclotron and Target Technologies (production d’isotopes et de muons à l’aide de technologies avancées de cyclotron et de cible). IMPACT prévoit deux modifications majeures à HIPA: d’un côté la transformation d’une partie de l’installation de muons actuelle et, de l’autre, une nouvelle installation de production d’isotopes, où des radionucléides destinés au traitement ciblé et au diagnostic du cancer seront fabriqués et étudiés. Le PSI, l’Université de Zurich et l’Hôpital universitaire de Zurich participent conjointement à IMPACT.
Et IMPACT est déjà inclus dans cette Feuille de route?
Oui, depuis l’été 2023. Le Secrétariat d’ État à la formation, à la recherche et à l’innovation SEFRI a publié son message FRI 2025–2028. Fin 2024, le Parlement suisse prendra sa décision sur ce message et donc sur le financement d’IMPACT. Au PSI, nous sommes familiers de ce processus: nous nous y sommes déjà été soumis avec succès pour notre toute dernière grande installation de recherche, le SwissFEL, et notre projet de mise à niveau SLS 2.0 de la Source de Lumière Suisse.
Qu’est-ce qui rend l’accélérateur de protons HIPA si particulier?
En février 2024, HIPA fêtera ses 50 ans. Et l’on peut dire que, depuis cinq décennies déjà, cette installation permet une recherche de pointe dans de nombreuses disciplines différentes. Les installations de cette taille ne perdent pas de leur importance. Leur valeur a même tendance à augmenter si l’on continue d’y investir régulièrement. C’est ce que nous faisons, entre autres avec la mise à niveau prévue, afin que HIPA puisse servir également aux futures générations de scientifiques. Car d’autres installations comparables dans le monde investissent également et sont en train de nous rattraper.
Est-ce que cela veut dire que HIPA est numéro un dans le monde?
Oui, il l’est en effet pour certains de ses paramètres. HIPA fournit un faisceau intense et continu de protons accélérés. Les protons sont des particules chargées positivement qui se trouvent aussi dans tous les atomes. Au PSI, les protons accélérés sont amenés dans des halles gigantesques à différentes grandes installations de recherche, où l’on se sert d’eux pour produire ce qu’on appelle des particules secondaires. Ces particules secondaires servent finalement à mener des analyses scientifiques à plus de 30 stations expérimentales.
Les muons sont un type de particule secondaire que nous utilisons beaucoup au PSI. Ce sont des particules élémentaires un peu moins connues, mais qui apparaissent de manière tout à fait naturelle, dans notre atmosphère par exemple. Au PSI, nous les produisons de manière ciblée. Nous avons la plus haute intensité au monde de muons susceptibles d’être utilisés dans des expériences. D’autres installations sur la planète se perfectionnent et sont en train de nous rattraper par certains aspects. Au niveau de la concurrence internationale, le projet IMPACT est très important, car nous augmenterons au PSI notre flux maximal de muons d’un facteur 100 et nous mettrons 10 milliards de muons par seconde à disposition de la recherche dans les domaines de la physique des particules et des sciences des matériaux.
Et pourquoi a-t-on besoin de cette énorme quantité de muons?
Les muons sont instables et se désintègrent très rapidement en d’autres particules. D’un point de vue scientifique, ces désintégrations de particules sont passionnantes, car elles révèlent beaucoup de choses sur les règles fondamentales de la physique. C’est également dans cette direction que va la recherche au CERN.
Au PSI, nous cherchons certaines désintégrations de muons particulières qui nous indiqueraient l’existence d’un monde au-delà de ce que l’on appelle le modèle standard de la physique des particules. Ce modèle standard est censé décrire autant que possible la totalité de notre univers, mais plusieurs observations en astrophysique le contredisent. Ces désintégrations particulières sont donc étudiées dans le cadre de collaborations internationales et certaines expériences de pointe ont lieu chez nous, au PSI. Avec le flux de muons disponible à ce jour, nous aurons bientôt épuisé nos possibilités de trouver ces désintégrations critiques de particules. Sur ces questions de recherche, nous ne pourrons aller plus loin que si nous augmentons encore notre flux de muons grâce à IMPACT.
Est-ce qu’IMPACT contribuera également à résoudre des questions et des problèmes sur Terre?
Nous utilisons aussi les muons pour étudier des matériaux novateurs. Ils nous permettent de révéler leurs propriétés fondamentales, ce qui est essentiel pour le développement de nouvelles technologies. IMPACT nous permettra de mesurer plus rapidement des échantillons beaucoup plus petits et d’étudier une zone plus large qu’auparavant, de la surface jusqu’aux solides. Nous pourrons ainsi gagner de nouvelles perspectives en sciences des matériaux.
IMPACT viendra également en soutien pour la médecine nucléaire. Nous planifions une installation complètement nouvelle, qui servira à la recherche visant un traitement du cancer ciblé et personnalisé. Il s’agira de développer ce qu’on appelle des radionucléides, c’est-à-dire des médicaments radiopharmaceutiques qui sont déjà utilisés aujourd’hui pour quelques types de cancer. Or nous voulons être en mesure de fournir le bon radionucléide pour tout type de cancer à n’importe quel stade. Nous nous concentrons pour ce faire sur des radionucléides du même élément chimique, dont on peut se servir pour diagnostiquer et, dans la foulée, pour combattre le cancer. Cette double utilisation a le gros avantage de permettre, déjà au moment du diagnostic, de prévoir plutôt bien comment l’organisme réagira au traitement et, le cas échéant, d’ajuster la dose.
Le Parlement suisse ne tranchera la question du financement que fin 2024. Or il y a d’ores et déjà beaucoup à préparer pour IMPACT. Comment est-ce conciliable?
Si fin 2024 la décision du financement est prise, les premières transformations physiques devront commencer peu après, car IMPACT est prévu pour la période d’encouragement de la recherche à partir de 2025. La planification et nombre de travaux préparatoires doivent donc être réglés dès à présent. Pour ce faire, le PSI investit lui-même: il a déjà assuré 1,2 millions de francs par année en 2022, 2023 et 2024 pour les travaux préparatoires.
Avez-vous des exemples concrets de ces travaux préparatoires?
Nous avons commencé en janvier 2022 par produire un «Conceptual Design Report», ou CDR, de 300 pages. Il contient déjà les principes du projet, de la motivation scientifique aux premiers concepts techniques. Ce rapport a servi de base pour le préfinancement maison du PSI. Maintenant, c’est au tour du «Technical Design Report», ou TDR, qui contient l’élaboration technique des concepts. Dans le cas de la construction d’une maison, cela correspondrait probablement au plan de construction détaillé dans le respect des différentes réglementations en vigueur. Nous sommes en train d’élaborer à cet effet les concepts et les modèles CAO, c’est-à-dire les modèles de construction assistés par ordinateur, de chacun des futurs composants. Il s’agit de milliers de modèles CAO que nous sommes en train d’assembler en gigantesques puzzles tridimensionnels, avec énormément de détails et de défis techniques.
La transformation concernera plusieurs zones dans les halles autour de HIPA.
C’est exact et nous exploitons cette opportunité pour optimiser les déplacements et les processus. Par exemple les parcours des issues de secours dans la halle: nous avons réussi à les raccourcir grâce à ces transformations et à faire en sorte qu’ils n’incluent plus d’escaliers. Cela rend l’installation plus sûre et bénéficie évidemment à tout le monde.
Par ailleurs, une station cryogénique, où l’on remplit de l’hélium liquide pour l’expérimentation, doit céder sa place. Nous en avons profité pour la déplacer à un nouvel endroit qui sera plus accessible. Actuellement, la station cryogénique est surélevée: cela nous oblige à transporter pratiquement tous les récipients de remplissage à l’aide d’une grue et cela représente sur toute l’année des coûts importants en termes de temps. Au nouvel endroit, elle sera beaucoup plus accessible et plus de la moitié des 2000 trajets annuels avec la grue pourront être supprimés.
Comment un projet aussi complexe peut-il être mené à bien?
Je dirais qu’il peut l’être grâce à l’engagement d’une équipe de direction de projet et grâce à l’implication de plus de 100 autres spécialistes issus de cinq divisions du PSI. Le projet de mise à niveau IMPACT concerne les scientifiques affiliés aux divisions de recherche suivantes: Biologie et chimie, Recherche avec des neutrons et des muons, Energie nucléaire et sûreté, et Grandes installations de recherche. Mais aussi les spécialistes de la division Logistique. Même pour le PSI, coutumier d’interdisciplinarité, cette collaboration dans le cadre d’un projet de grande envergure est unique.
Coordonner tout cela est complexe, mais passionnant également, car tous les experts impliqués apportent de précieuses contributions. Et c’est précisément la diversité des compétences telle que nous l’avons ici, au PSI, qui fait notre force: scientifiques aux lignes de faisceaux, spécialistes des cibles, des aimants, du diagnostic des faisceaux, des simulations, mais aussi développement de détecteurs, de l’infrastructure sans laquelle rien n’est possible, et bien plus encore, tout cela placé sous l’œil vigilant de la sécurité du travail. Nous avons tout cela sur place et nous avons besoin de tout le monde.