Comment les gènes, le genre et l'âge affectent l'espérance de vie
Le vieillissement, la sénescence et la mort sont inévitables. Certaines personnes vieillissent plus vite, d’autres souffrent de maladies liées à l’âge ou meurent plus jeunes. Robert Williams de l’UTHSC, qui a permis de lancer ce projet avec Johan Auwerx de l’EPFL en 2016, souligne qu’«il est essentiel de rechercher les dénominateurs moléculaires communs qui déterminent les différences dans le vieillissement. L’espérance de vie et la santé sont soumises à un certain niveau de contrôle génétique qui varie à la fois entre les espèces et au sein même des espèces . Une fois ce niveau de contrôle défini, nous pouvons alors intervenir de manière rationnelle.»
Le problème est que l’espérance de vie – la durée pendant laquelle on vit – est l’un des traits les plus compliqués à étudier. Il est influencé par les gènes, l’environnement et leurs interactions complexes. Ce paramètre complique l’étude du vieillissement et de l’espérance de vie chez les êtres humains, qui possèdent chacun un patrimoine génétique et des antécédents d’exposition environnementale uniques. Des études menées sur des organismes de laboratoire dans des environnements contrôlés tentent de déchiffrer ces relations désormais simplifiées afin de fournir des informations sur ce processus complexe.
Les chercheuses et chercheurs d’un consortium dirigé par l’EPFL et l’UTHSC ont fait un pas de plus vers la compréhension de ces relations en étudiant l’espérance de vie dans le cadre de la plus vaste étude menée à ce jour sur la longévité des souris, l’Interventions Testing Program (ITP) du National Institute of Aging (NIA). Lancé en 2004, l’ITP est un programme multi-institutionnel destiné à tester l’effet de différents traitements sur la longévité. Afin de simuler une population humaine, des centaines de souris mâles et femelles génétiquement différentes ont été traitées dans trois lieux différents: le Jackson Laboratory (dirigé par le professeur David Harrison), l’Université du Michigan à Ann Arbor (dirigée par le professeur Richard Miller) et l’Université du Texas Health Science Center à San Antonio (dirigée par les professeurs James Nelson et Randy Strong). Cette combinaison de différents sites et de souris très variées permet aux chercheuses et chercheurs de trouver des traitements de prolongation de la vie qui peuvent être généralisés à l’ensemble des individus et même des espèces, et ce indépendamment de l’environnement.
Les facteurs génétiques de la longévité sont spécifiques à un genre ou ne font la différence qu’après un certain âge
Un grand nombre de souris non traitées, qui servent habituellement de témoins lors des études scientifiques, sont désormais devenues un trésor de données pour étudier les facteurs de l’espérance de vie naturelle. Les chercheuses et chercheurs de l’EPFL et de l’UTHSC ont mesuré la composition génétique de plus de 3 000 individus d’une grande famille de souris à partir d’une biopsie de queue effectuée lorsque les souris n’avaient que 30 jours. Une fois les souris génotypées et vieillies jusqu’à une mort naturelle, ils ont étudié la relation entre les variations de l’ADN et les différences dans l’espérance de vie pour chaque souris. Cette cartographie génétique a permis aux équipes de définir les segments d’ADN dans le génome qui influent sur la longévité. «Nous avons découvert que les segments d’ADN, ou loci, qui sont associés à la longévité sont très spécifiques à chaque genre. Les femelles ont une région dans le chromosome 3 qui agit sur l’espérance de vie, mais cette région n’a pas d’effet chez les mâles. De nombreux mâles meurent plus jeunes pour des raisons non liées au vieillissement, comme les affrontements et les cancers. C’est pourquoi, lorsque nous avons retiré de l’analyse des mâles, qui meurent de manière plus précoce, des signaux génétiques ont commencé à apparaître. Chose intrigante, de nouveaux loci émergent selon le seuil d’âge, ce qui semble montrer que certaines variations génétiques deviennent pertinentes (agissent sur l’espérance de vie) seulement lorsque le sujet a atteint un certain âge», commente Maroun Bou Sleiman du LISP de l’EPFL.
La génétique et la croissance précoce influencent la longévité
Outre les facteurs génétiques de la longévité, les chercheuses et chercheurs ont étudié d’autres facteurs. La relation entre la croissance d’un organisme, sa vitesse de croissance et la longévité a déjà été décrite. En général, les souris plus grosses meurent plus jeunes. Les études montrent que certains des effets génétiques sur la longévité passent par des effets sur la croissance. Alors, quels sont ces effets non génétiques ? L’un d’entre eux est l’accès précoce à la nourriture. Maroun Bou Sleiman explique : «Nous avons observé que les souris issues de portées plus petites (ayant moins de frères et sœurs) ont tendance à être plus grosses à l’âge adulte et à vivre moins longtemps. Les souris issues de portées plus grandes doivent partager le lait de leur mère avec leurs frères et sœurs, et elles grandiraient donc plus lentement et vivraient en moyenne plus longtemps.» Les chercheuses et chercheurs corroborent ces tendances et montrent aussi des effets opposés sur la longévité selon le caractère précoce ou tardif de la croissance dans de grands ensembles de données humaines comprenant des centaines de milliers de participantes et participants dans le cadre d’une collaboration avec l’équipe de Zoltan Kutalik de l’Université de Lausanne.
La chasse aux gènes du vieillissement et de la longévité
Au-delà de l’étude des effets sur la longévité, les chercheuses et chercheurs ont porté leur attention sur la recherche des gènes les plus susceptibles de jouer un rôle dans la détermination de la longévité. Ils ont mesuré l’effet des variations de l’ADN sur l’expression des gènes et ont comparé leurs analyses avec de nombreuses bases de données humaines et non humaines. Cela leur a permis d’identifier quelques gènes susceptibles de moduler les taux de vieillissement. Ensuite, ils ont testé les effets de la manipulation de ces gènes chez les vers ronds (C. elegans) et ont découvert qu’un sous-ensemble de perturbations génétiques agissait sur l’espérance de vie.
L’avenir est dans la recherche sur la durée de vie en bonne santé
Cette étude est une étape importante pour comprendre les facteurs expliquant pourquoi certaines personnes vivent plus longtemps que d’autres. Toutefois, Johan Auwerx, l’un des auteurs principaux de l’étude, commente: «Cette étude particulière est axée sur la longévité, mais selon toute vraisemblance, c’est la durée de vie en bonne santé qui importe le plus, c’est-à-dire la durée de vie sans maladie. Des études sur des modèles animaux et, à terme, sur des êtres humains, devront évaluer comment la santé se dégrade de manière longitudinale, puis rechercher les causes sous-jacentes. Nous sommes au cœur d’une telle étude sur la durée de vie en bonne santé dans notre laboratoire.» Une question principale demeure: peut-on retarder l’apparition de nombreuses maladies en agissant sur le vieillissement de manière générale? Les résultats de cette étude représenteront une précieuse ressource de gènes du vieillissement. Espérons qu’elle guidera le développement de traitements qui prolongeront non seulement l’espérance de vie, mais aussi la durée de vie en bonne santé.