Première lumière à Furka: les expériences peuvent démarrer
Pourquoi cette «première lumière» représente-t-elle un événement aussi important pour votre équipe?
Elia Razzoli: Elle signifie que nous y sommes. Ou plus concrètement: que nous pouvons maintenant démarrer les premières expériences.
Les non-initiés imaginent qu’il suffit d’actionner un interrupteur pour que la lumière s’allume. Mais les choses ne sont sans doute pas aussi simples…
Non, il s’agit d’une tâche complexe. Lorsque nous parlons de lumière au SwissFEL, nous ne parlons pas de la lumière visible, mais d’une lumière de type rayons X dotée de propriétés uniques au monde. Pour pouvoir la produire et l’utiliser dans la recherche, il faut que plusieurs équipes au PSI collaborent. Avec la station expérimentale terminale Furka, nous sommes pour ainsi dire arrivés au dernier maillon de la chaîne alimentaire. Pour produire de la lumière de type rayons X au SwissFEL, il faut contraindre des électrons sur une trajectoire en slalom à l’aide d’aimants. Ces électrons émettent alors la lumière de type rayons X dont nous avons besoin pour les analyses proprement dites. Les aimants qui dévient les électrons de la sorte s’appellent onduleurs. Et c’est précisément ce qui rend la chose si difficile, car ils doivent travailler exactement au même rythme, sinon la lumière de type rayons X n’a pas la qualité dont nous avons besoin. La complexité de l’installation augmente de manière exponentielle avec le nombre et la longueur des onduleurs. Voilà pourquoi la première lumière à Furka représente déjà en soi un tour de force technologique et organisationnel.
Quelle est la prochaine étape?
Les premières expériences-tests sont en cours, lors desquelles nous faisons varier les paramètres pour voir si tout se comporte comme nous le souhaitons. Nous menons des expériences de diffraction lors desquelles nous pouvons mesurer les écarts entre les atomes individuels dans des structures cristallines, et des expériences d’absorption où nous varions la longueur d’onde de la lumière de type rayons X afin de voir quelle est la quantité d’énergie absorbée dans le matériau suivant chaque longueur d’onde. C’est important si nous voulons réaliser des expériences de spectroscopie plus ambitieuses par la suite. Ensuite, au cours des six à huit prochains mois, nous allons faire fonctionner l’installation et nous familiariser avec la focalisation et la détection du faisceau de rayons X. Puis, en 2022, nous démarrerons les premières expériences scientifiques avec des utilisateurs externes.
Quelles expériences planifiez-vous?
Le domaine de recherche à la ligne de faisceau Athos est celui des expériences avec des rayons X mous. Nos collègues à la station terminale Maloja, qui est déjà en service, examinent avant tout des substances à l’état liquide et gazeux. Nous, à Furka, nous nous spécialisons dans les solides que nous étudions, entre autres, à des températures très basses. Nous pouvons refroidir jusqu’à moins 263 degrés Celsius, soit 10 kelvin au-dessus du zéro absolu. Nous recourons à la spectroscopie pour observer dans les atomes, les électrons qui sont responsables des propriétés physiques de certains matériaux, par exemple la supraconductivité.
Pourquoi est-ce que cela ne peut se faire qu’au SwissFEL?
Le laser à rayons X à électrons libres SwissFEL est unique au monde. Il fournit des impulsions de lumière de type rayons X. Celles-ci sont incroyablement courtes, de l’ordre de la femtoseconde, voire moins, soit de l’ordre d’un millionième de milliardième de seconde. Elles nous permettent par exemple de visualiser des réactions chimiques, comme dans le film d’une caméra à haute vitesse extrêmement rapide. Pour Athos, nous avons développé les systèmes spéciaux CHIC et APPLE-X qui nous permettent de manipuler le faisceau d’électrons du SwissFEL et de produire des propriétés uniques «à la carte».
Cette recherche va-t-elle aussi déboucher sur des applications concrètes?
Les résultats des expériences menées par nos collègues il y a 50 ans sont aujourd’hui logés dans tous les smartphones, par exemple dans les matériaux semi-conducteurs des micropuces. Nous aussi, nous espérons bien entendu que nos expériences permettront un jour de réaliser certaines avancées dans l’électronique ou dans les calculateurs quantiques. Nous nous intéressons par exemple à des matériaux dont les états magnétiques peuvent être commutés instantanément, ce qui est intéressant pour les futures générations de disques durs informatiques avec une densité de stockage extrêmement élevée. Mais nous sommes avant tout des chercheurs désireux de faire des découvertes. Peut-être même que nous découvrirons de nouveaux états quantiques comme des phases topologiques induites par la lumière, qui pourraient revêtir une importance fondamentale dans la recherche de particules semblables aux fermions de Majorana. Ces particules sont des états quantiques exotiques qui pourraient révolutionner notre approche de l’informatique quantique.
Les restrictions liées au coronavirus ont-elles entraîné des retards dans la mise en place de Furka?
Nous respectons les consignes d’hygiène pour faire en sorte, par exemple, qu’il n’y ait pas trop de personne en même temps dans la même pièce. Normalement, quatre à six chercheurs travaillent à une station terminale, ainsi que, sporadiquement, des chercheurs de partenaires externes. Cela n’était pas possible, mais nous nous sommes organisés et il n’y a pratiquement pas eu de retards. Par ailleurs, l’automatisation de stations expérimentales comme Furka est telle que de nombreux tests peuvent être menés pratiquement depuis une table de cuisine.