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«Le CO2 peut devenir une précieuse ressource»

Le système énergétique suisse doit atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. Pour y parvenir, la science apporte des solutions: transformé par électrolyse, le CO2 peut servir à fabriquer des produits chimiques ou des carburants synthétiques. La modélisation permet de calculer les coûts d’un système énergétique non fossile.
Thomas Justus Schmidt, chef de la division de recherche Energie et environnement (à g.), ici avec Tom Kober, responsable du groupe Economie énergétique du Laboratoire d’analyses des systèmes énergétiques. (©Conseil des EPF / Kellenberger Kaminsiki)

Docteur en chimie, Thomas Justus Schmidt est professeur d’électrochimie à l’ETH Zurich et chef de la division de recherche Energie et environnement au PSI, qui comprend le groupe Economie énergétique. Tom Kober, ingénieur de gestion et titulaire d’un doctorat en économie de l’énergie, dirige le groupe et s’intéresse autant à la technique qu’à l’économie. Tous deux travaillent sur la décarbonisation et la transformation du système énergétique suisse pour que le pays atteigne la neutralité climatique conformément à la Stratégie énergétique 2050. La chimie et la technique seront indispensables à la substitution concrète des sources d’énergie fossiles et au stockage prolongé d’électricité issue des énergies renouvelables. L’économie permet de mettre en évidence les coûts qui y sont liés. 

L’élément dont il est ici question est le dioxyde de carbone ou CO2. Il est naturellement présent dans l’atmosphère terrestre, mais il est aussi généré par la combustion de bois, de charbon, de pétrole ou de gaz ainsi que par des processus industriels. Une fois libéré, le CO2 ne se décompose pas de lui-même: soit il est absorbé par l’eau, soit il est éliminé par les plantes vertes au cours de la photosynthèse. Depuis les années 1950, la quantité de CO2 émise à travers le monde a quadruplé. Les puits de carbone naturels ne peuvent pas suivre ce rythme, et l’effet de serre s’accentue.
 

«Utiliser le CO2 comme matière première peut contribuer à la protection du climat et à la transition énergétique.»      Thomas Justus Schmidt, chef de la division de recherche Energie et environnement au PSI

«Le CO2 peut devenir une précieuse ressource»: voici le titre surprenant d'un communiqué du PSI publié en 2021. Le dioxyde de carbone qui nuit au climat serait-il tout à coup devenu une matière première recherchée? Ce n’est pas de la sorcellerie mais de la chimie. Le procédé consiste à capter le CO2 dans l’atmosphère ou là où il se forme. De la même manière qu’une combustion produit du CO2, «il est possible d’inverser le processus et d’obtenir des matières premières qui serviront à fabriquer des produits chimiques ou des carburants de synthèse», explique T. J. Schmidt. Lors de l’électrolyse, le courant électrique déclenche un processus qui transforme le CO2 et l’eau en produits chimiques de valeur.

«Utiliser le CO2 comme matière première peut contribuer à la protection du climat et à la transition énergétique», affirme le chimiste. Mais l’électrolyse doit consommer peu d’énergie et l’électricité provenir de sources renouvelables. Au final, l’opération doit capturer plus de CO2 qu’en dégager. Une cellule d’électrolyse développée au PSI montre que, même avec le mix de courant suisse actuel, il est possible de fabriquer du CO, un produit de départ important pour la fabrication de carburants de synthèse, «qui présente le potentiel d’un puits de CO2.» Des processus qui fonctionnent de façon fiable en laboratoire sont sur le point d’être testés à plus grande échelle. Le potentiel est très élevé au niveau de la fabrication de carburants de synthèse pour l’aviation, là où la décarbonisation est complexe. La recherche interdisciplinaire de l’initiative SynFuels du PSI et de l'Empa a déjà permis de produire en laboratoire de petites quantités de carburant synthétique.

L’électricité est la clé d’un avenir énergétique non fossile. Dans un contexte de hausse de la consommation électrique, les technologies de stockage joueront un rôle majeur. «Stocker directement de l’électricité sur de longues périodes n’est pas rentable», explique T. J. Schmidt. «Le stockage sur le long terme passe par le stockage du courant dans des liaisons chimiques de molécules, comme l’hydrogène, le gaz naturel de synthèse et d’autres carburants ou le méthanol.» Les produits chimiques serviraient d’accumulateurs de courant sur le long terme. La production pourrait se décentraliser, la taille des installations diminuer. Les technologies correspondantes sont d’ores et déjà disponibles à l’échelle de laboratoire. Reste à les traduire en modèles commerciaux économiques viables.

Prix pour atteindre le zéro émission nette

Combien la transformation vers le zéro émission nette coûtera-t-elle à la Suisse? Les modèles de T. Kober montrent que le surcoût avoisinera les 300 francs par an et par personne. «Il s’agit des surcoûts liés à l’énergie, qui s’ajoutent à ceux d’un développement de référence où la protection du climat joue un rôle relativement secondaire. Les coûts sont ceux du système énergétique complet, pour la mobilité, le bâtiment et l’industrie», précise l’ingénieur. Cette approche globale montre l’ampleur d’une telle transformation du système énergétique pour la Suisse.

La capacité des systèmes photovoltaïques va devoir doubler tous les dix ans jusqu’en 2050, la production électrique des centrales nucléaires et des installations de stockage augmenter d’au moins un cinquième, ceci dans l’hypothèse que toutes les centrales nucléaires seront mises à l’arrêt d’ici 2045. Chacune et chacun est concerné: d’ici à 2030, une nouvelle voiture immatriculée sur trois sera électrique et, d’ici à 2050, les véhicules électriques couvriront plus ou moins l’ensemble du territoire. La production de chaleur ambiante doit elle aussi passer des actuelles sources d’énergie fossiles aux pompes à chaleur électriques et exploiter tous les potentiels d’économie possibles.