Comment rendre l’air de New Dehli plus propre?
Nulle part ailleurs au monde, les êtres humains ne respirent un air aussi pollué qu’en Inde. Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé, jusqu’à 1,3 millions de décès dans le sous-continent sont imputables à l’air pollué. Avec son National Clean Air Program, le gouvernement indien veut prendre des contre-mesures. Mais pour ce faire, les décideurs doivent connaître les sources à l’origine des particules, leur distribution régionale et le degré de nocivité de certains composés pour la santé. Une étude, placée sous la direction de scientifiques du Laboratoire de chimie de l’atmosphère et de partenaires venus d’Inde, de Chine, d’Allemagne, du Danemark, de France, d’Espagne et de Suisse, est la première à fournir ces informations importantes. Les scientifiques ont non seulement déterminé la quantité de particules et leur origine, mais aussi leur potentiel oxydatif, un facteur important de la nocivité d’un composé chimique pour les cellules vivantes et donc pour la santé. L’étude vient d’être publiée dans la revue spécialisée Nature Communications.
L’étude a porté, une fois de plus, sur la capitale indienne New Dehli. Cette métropole est considérée comme celle où la concentration de particules dans l’air est la plus élevée au monde. Au cours des quatre dernières années, les scientifiques y ont déjà acquis des connaissances révolutionnaires sur la pollution atmosphérique. Dans une étude menée en 2023, ils ont été les premiers à démontrer que les processus chimiques qui se jouent dans le ciel de New Dehli se déroulent différemment de ceux des autres grandes villes.
Cause principale: l’incinération incomplète
Cette fois-ci, l’équipe s’est intéressée aux source des émissions de particules et à l’effet pathogène de certaines substances. Selon l’étude, l’incinération incomplète pollue particulièrement l’air ambiant. Même des profanes s’en rendent compte: «Quand ça fume, c’est parce que la combustion est incomplète», rappelle Imad El Haddad, qui a dirigé l’étude actuelle avec André Prévôt, du Laboratoire de chimie de l’atmosphère au PSI. L’incinération de la biomasse et des déchets, notamment, contribue à la formation de particules et de smog. Cela inclut également la combustion de fumier de vache pour le chauffage et la cuisson des aliments, qui génère elle aussi beaucoup de particules fines. A cela s’ajoutent le parc automobile vétuste, mais aussi les tuktuks, ces petits véhicules largement répandus en Inde, et les scooters avec leurs moteurs deux temps inefficaces.
Pour mieux pouvoir juger de la répartition locale et régionale des particules, l’équipe a élargi le réseau des points de mesure par rapport à l’étude précédente, avec deux points de mesure supplémentaires dans la zone urbaine de New Dehli, un de plus dans les environs de la capitale et un de plus à Kanpur, une ville située à quelque 500 kilomètres de New Dehli. La composition des échantillons recueillis sur ces sites a été analysée au PSI par spectroscopie de masse.
Les particules provoquent un stress oxydatif
La quantité de particules présentes dans l’air est un facteur important, mais ce n’est pas le seul. La nocivité d’une particule de poussière fine dépend de sa composition chimique et de son potentiel oxydatif. En termes simples, il s’agit du stress qu’un composé chimique exerce sur les cellules vivantes et, finalement, sur des organes entiers ou des tissus, comme les poumons ou les vaisseaux sanguins. Ce stress peut entraîner de l’asthme, des inflammations, une élévation de la pression artérielle et d’autres affections. L’équipe a déterminé ce potentiel oxydatif et l’a corrélé avec les sources de particules locales et régionales. En dépit des différences de composition chimique que présentent les particules sur les différents sites, l’important potentiel oxydatif provient surtout d’aérosols organiques issus de l’incinération incomplète de la biomasse et des combustibles fossiles, ainsi que de leurs produits d’oxydation organique dans l’atmosphère. Comparé à l’Europe et à la Chine, la majeure partie de ces composants est émise localement, mais avec une contribution substantielle des sources régionales. Cela concorde avec les résultats de l’étude menée l’an dernier.
En Suisse, la recherche à New Delhi est financée par la Direction du développement et de la coopération. La première phase de ce programme de quatre ans s’achève maintenant. Pour son directeur André Prévôt, ce dernier a été un franc succès et a contribué de manière importante à l’évaluation de la qualité de l’air pour les 900 millions de personnes qui vivent dans la plaine du Gange. «Mais il nous reste encore beaucoup à faire, note le chercheur. L’Inde a besoin de mesures strictes et d’une observation à long terme, mais aussi d’une mutation sociale et d’une meilleure sensibilisation du public à la protection de l’environnement.» Il faudra donc encore un certain temps avant que les conditions environnementales ne s’améliorent dans le nord de l’Inde.