Cancer du sein: une étude révolutionnaire sur l'interaction hormonale
«Le cancer du sein touche 1 femme sur 7», déclare la professeure Cathrin Brisken de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL. «Dans plus de deux tiers des cas, on constate une sensibilité aux hormones et l’expression du récepteur d’œstrogènes dans au moins 1% des cellules tumorales.» En effet, la signalisation biologique par le récepteur d’œstrogènes est un facteur clé de carcinogenèse du sein, et son blocage est la cible classique des traitements hormonaux, qui ont sensiblement amélioré les taux de survie des patientes.
Le problème est que les tumeurs qui sont positives au récepteur d’œstrogènes ont été peu étudiées car le domaine manque de modèles adaptés. «Les carcinomes mammaires qui se développent dans les modèles de souris génétiquement modifiés ne sont pas sensibles aux hormones, et les taux de réussite des xénogreffes de cancer du sein positives au récepteur d’œstrogènes sont extrêmement faibles.»
De précédentes études ont révélé une interaction importante entre le récepteur d’œstrogènes et celui pour une autre hormone sexuelle, la progestérone. Plus précisément, les voies de signalisation des récepteurs d’œstrogènes et de progestérone semblent interférer les unes avec les autres tant au niveau génomique que protéique.
Toutefois, le manque de lignées cellulaires et de modèles animaux adaptés a empêché les scientifiques d’étudier cette interaction sous des taux hormonaux cliniquement pertinents. Étant donné que le gène du récepteur de progestérone est affecté par le récepteur d’œstrogènes, les traitements hormonaux qui ciblent ces derniers peuvent bloquer l’expression des premiers. Cette complexité rend difficile l’étude du rôle de chaque récepteur de manière indépendante et, donc, l’optimisation des stratégies de traitement.
Aujourd’hui, en collaboration avec une équipe de recherche et médicale du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), du Réseau Lausannois du Sein et de l’ICPI (International Cancer Prevention Institute), le laboratoire de Cathrin Brisken a réussi à greffer des cellules de cancer du sein humaines positives au récepteur d’œstrogènes sur les canaux lactifères de souris immunodéprimées. Cette avancée leur a permis d’étudier l’effet des œstrogènes et de la progestérone sur le développement du cancer du sein.
Déroulement expérimental de l'étude. Des échantillons de tumeurs mammaires fraîchement prélevés sont dissociés en cellules uniques et marqués génétiquement avec des gènes rapporteurs pour permettre la détection et le suivi des cellules. Peu après, les cellules tumorales sont injectées dans les canaux lactifères des souris pour former des tumeurs mammaires. Des traitements hormonaux sont administrés aux animaux pour étudier leurs effets sur la croissance et les métastases du cancer du sein. Crédit: Scabia et al.
Les scientifiques ont découvert que ces deux hormones, les œstrogènes et la progestérone, peuvent augmenter la croissance des tumeurs, et que des traitements combinés peuvent favoriser les métastases.
Mais il y a un moyen d’y faire face. «Nous avons découvert que les tumeurs réagissent différemment aux deux hormones selon les patientes, ce qui laisse entendre qu’il est possible d’améliorer le traitement endocrinien en l’adaptant», explique Cathrin Brisken. «De plus, la suppression de l’expression du récepteur de progestérone peut être une option thérapeutique», ajoute-t-elle. «Alors que l’on affirmait que la progestérone pouvait aider les femmes ayant un cancer du sein, nous montrons que cette hormone favorise les tumeurs et que le récepteur de progestérone sert de médiateur de la signalisation du récepteur d’œstrogènes, rendant ce récepteur intéressant comme potentielle cible thérapeutique.»
L’étude, qui a été publiée dans la revue Nature Communications, été présentée par le directeur de la Société d’endocrinologie lors de l’événement ENDO 2022, rassemblant plus de sept mille médecins et scientifiques.