Le rôle des capacités d'apprentissage dans la stimulation cérébrale
L’avancée en âge entraîne une altération des fonctions cognitives et motrices de l’individu, affectant son autonomie et sa qualité de vie en général. Des travaux de recherche visant à améliorer — voire à faire disparaître complètement — ce phénomène ont débouché sur des technologies très prometteuses.
Parmi ces dernières, la stimulation cérébrale non invasive recouvre un ensemble de techniques externes susceptibles de modifier les fonctions cérébrales sans nécessiter ni chirurgie ni pose d’implants. L’une d’entre elles est la stimulation anodique transcrânienne à courant continu (atDCS), technique utilisant, pour moduler l’activité neuronale, un courant électrique continu de faible intensité diffusé par des électrodes placées sur le cuir chevelu.
Les études réalisées sur l’atDCS ayant donné des résultats divergents, les chercheuses et chercheurs se sont demandé pourquoi certaines personnes bénéficiaient de cette technique et d’autres pas. Le problème semble être lié à notre compréhension des facteurs susceptibles d’influencer la réceptivité à la stimulation cérébrale, parmi lesquels l’âge semble jouer un rôle important.
Si certaines études suggèrent que d’autres facteurs, notamment les compétences comportementales de base ou un apprentissage antérieur, pourraient être importants à prendre en compte, l’interaction entre ces facteurs et le comportement n’a pas été étudiée de manière approfondie, soulignant la nécessité de disposer de modèles prédictifs précis des effets de l’atDCS.
Des scientifiques de l’équipe de Friedhelm Hummel viennent d’identifier un facteur influençant de manière significative la réceptivité d’un individu à l’atDCS. Ils se sont penchés sur la manière dont les capacités d’apprentissage innées déterminent l’effet de la stimulation cérébrale exercée lors de l’apprentissage d’une tâche motrice. Les résultats obtenus suggèrent que les sujets dotés de mécanismes d’apprentissage moins performants bénéficieraient davantage de la stimulation, tandis que ceux qui possèdent des stratégies d’apprentissage optimales pourraient subir des effets néfastes.
L’équipe de recherche a recruté 40 sujets participants — 20 adultes d’âge moyen (50-65 ans) et 20 autres âgés de plus de 65 ans. Chacun de ces groupes a été divisé en deux, un sous-groupe étant soumis à une atDCS et l’autre à une stimulation placebo.
Pendant dix jours, les personnes participant à l’étude ont pratiqué une « tâche par tapotement des doigts » — il s’agit de taper une série de chiffres le plus rapidement et le plus précisément possible à l’aide d’un clavier —, conçue pour étudier l’apprentissage à domicile de séquences motrices parallèlement à l’administration d’une atDCS.
L’équipe a ensuite utilisé un modèle d’apprentissage automatique entraîné à partir d’un ensemble de données publiques pour classer les sujets dans la catégorie des apprenantes et apprenants « optimaux » ou « sous-optimaux » sur la base de leurs performances de départ. Ce modèle visait à prédire quelles personnes bénéficieraient de l’atDCS en se fondant sur leur capacité à intégrer efficacement les informations relatives à la tâche dès les premières étapes du programme.
L’étude a montré que les apprenantes et apprenants sous-optimaux, c’est-à-dire semblant intégrer moins efficacement la tâche durant les premières étapes d’apprentissage, voyaient leur précision s’améliorer de manière accélérée lorsqu’ils effectuaient la tâche en recevant l’atDCS. Cet effet n’était pas limité aux personnes d’un certain âge (les plus âgées par exemple), le groupe des sujets moins âgés comptant également des apprenantes et apprenants sous-optimaux.
Au contraire, les sujets présentant des stratégies d’apprentissage optimales ont même présenté des performances à tendance négative lorsqu’ils étaient soumis à une atDCS, et ce, quel que soit leur âge. Cette différence laisse entrevoir que la stimulation cérébrale serait plus profitable aux personnes présentant tout d’abord des difficultés à effectuer des tâches motrices. De ce fait, l’atDCS semblerait avoir un effet réparateur plutôt qu’améliorateur, ce qui aurait des conséquences importantes en matière de réhabilitation.
« En exploitant différentes méthodes d’apprentissage automatique, nous avons pu distinguer les influences respectives de différents facteurs sur les effets individuels de la stimulation cérébrale », explique Pablo Maceira, premier auteur de l’étude, « ce qui ouvrira la voie à l’optimisation des effets de la stimulation cérébrale chez les sujets et les patientes et patients. »
L’étude implique qu’à long terme, des protocoles de stimulation cérébrale personnalisés seront développés pour en maximiser les bénéfices sur la base des besoins spécifiques de chaque individu plutôt que d’un trait général tel que l’âge. Cette approche pourrait déboucher sur une efficacité accrue des interventions basées sur la stimulation cérébrale en agissant sur des mécanismes spécifiques soutenant l’apprentissage, et ce, particulièrement dans le domaine de la neuroréhabilitation, qui vise principalement à permettre le réapprentissage de compétences perdues suite à une lésion cérébrale (pour cause par exemple d’accident vasculaire cérébral ou de traumatisme).
« À l’avenir, les cliniciens pourraient appliquer une version perfectionnée de notre algorithme pour déterminer si un patient pourra bénéficier d’une thérapie basée sur la stimulation cérébrale, ce qui permettra d’améliorer les effets de la neuroréhabilitation et de personnaliser les traitements », a précisé M. Hummel.