Retracer les accidents miniers grâce aux données satellites
La mine de Catoca dans le nord de l’Angola est l’une des plus grandes mines de diamants au monde. Fin juillet 2021, elle est le théâtre d’un grave incident: les boues minières produites lors de l’extraction des diamants de la roche s’échappent d’un bassin de décantation et sont rejetées dans l’environnement. Proche de la mine, la rivière Tshikapa transporte alors la cargaison toxique chargée de métaux sur des centaines de kilomètres vers le nord jusqu’en République démocratique du Congo. La population locale constate alors une forte coloration de l’eau et la mort de tonnes de poissons morts. Des milliers de personnes des communautés riveraines souffrent de dysenterie, une douzaine en meurt. Le gouvernement congolais parle des teneurs élevées en fer et en nickel dans l’eau. Des semaines plus tard, l’exploitant de la mine de Catoca reconnaît qu’il y a bien eu une rupture de conduite, mais affirme que seul un mélange inoffensif de sable, d’argile et d’eau s’est déversé, d’une composition comparable à la charge sédimentaire transportée par les cours d’eau pendant la mousson.
«Les déclarations de ce type sont malheureusement fréquentes», affirme Désirée Ruppen, qui a étudié en profondeur les conséquences de l’exploitation minière sur l’environnement dans le cadre de sa thèse doctorale à l’ETH Zurich et à l’Institut de recherche sur l’eau Eawag. Même si les excuses sont douteuses, elles sont difficiles à réfuter. «Dans cette région, comme dans de nombreuses autres régions minières des pays du Sud, il n’existe pas de mesures systématiques de la qualité de l’eau», explique D. Ruppen. La pollution n’est souvent constatée que tardivement, lorsque les conséquences sont déjà dévastatrices. En l’absence d’échantillons d’eau, il n’est pas possible de déterminer rétroactivement l’origine et l’ampleur de la pollution. Et encore moins lorsqu’il s’agit de processus à grande échelle dans des régions difficilement accessibles, que ce soit pour des raisons logistiques ou politiques. «Dans de tels cas, les données satellites sont d’une aide considérable, car elles nous permettent en quelque sorte de remonter dans le temps et de reconstruire à distance des événements à grande échelle.» C’est exactement ce qu’a fait D. Ruppen.
Les preuves d’une pollution sur 1’400 kilomètres
La chercheuse a observé neuf clichés publiquement accessibles de la région concernée pris par Sentinel-2, une paire de satellites de l’Agence spatiale européenne dont les données sont particulièrement utiles, notamment pour l’étude des cours d’eau. Un cliché date d’avant l’événement, alors que le fleuve est encore «bleu». Les autres, pris après entre le 25 juillet et le 30 août, montrent la forte coloration de l’eau. L’objectif était de reconnaître dans cette séquence d’images où et quand est apparue la turbidité – provoquée par des particules dans l’eau –, comment elle s’est propagée dans le temps sur le cours de la rivièreet quelle était son ampleur par rapport à la situation d’avant l’accident. James Runnalls, programmeur à l’Eawag, et Daniel Odermatt, responsable du groupe spécialisé en télédétection, ont apporté leur soutien à Désirée Ruppen pour l’analyse des données satellites. «On peut certes détecter à l’œil nu où l’eau est bleue et où elle est teintée de rouge», explique la géologue, «mais on a besoin de l’ordinateur pour déterminer l’ampleur, l’intensité de la turbidité, et par là-même, le degré de pollution.» En combinant plusieurs méthodes et algorithmes, les chercheuses et chercheurs ont réussi à développer un processus automatique d’analyse des données visuelles satellites permettant pour la première fois d’observer et de quantifier la pollution de tout un système fluvial.
«Nous avons pu retracer comment la pollution s’est propagée dans le système fluvial sur 1’400 kilomètres en l’espace de cinq semaines», explique D. Ruppen. «Cela nous a permis de déterminer la vitesse d’écoulement de l’eau, et par conséquent, le moment précis de l’accident: la fuite a commencé l’après-midi du 24 juillet.» Les données satellites ne permettent pas de savoir quels polluants ont été rejetés et en quelles concentrations, il aurait fallu pour cela prélever des échantillons d’eau sur place. Mais les chercheuses et chercheurs ont pu calculer que la turbidité, la charge en particules, était plusieurs dizaines de fois supérieure à la situation d’avant l’accident. Comme l’a montré la comparaison avec 170 photos satellites plus anciennes prises depuis 2015, la turbidité dans le Tshikapa n’a jamais été aussi élevée que dans les jours ayant suivi l’accident. L’affirmation de la société d’exploitation selon laquelle la rivière ne serait pas plus pollué que pendant la saison des pluies a ainsi été réfutée. Selon D. Ruppen «les données montrent que la pollution de l’eau était bien supérieure aux normes de l’eau potable, ce qui a très probablement provoqué l’hécatombe chez les poissons ainsi que des victimes humaines.»
Les nuages bouchent la vue
D. Ruppen et ses collègues ont-ils pour autant découvert la formule universelle permettant d’expliquer les accidents miniers? «Cela n’est pas si simple», déclare la géologue, qui a évalué la transmissibilité de ses méthodes sur une série d’événements comparables. La disponibilité des données satellites est notre principal problème: le projet Sentinel-2 a été lancé en 2015 avec tout d’abord un seul satellite qui survolait un site tous les 10 jours. Avec le lancement du second satellite Sentinel-2, la durée entre deux survols a certes été raccourcie à 5 jours, mais il est toujours possible qu’il n’y ait aucunes photos ou aucunes photos exploitables d’un événement pour la période décisive. En effet, lorsque les nuages cachent la vue sur les cours d’eau concernés, ces derniers ne peuvent pas être analysés sur les photos. C’est d’autant plus problématique que de nombreuses mines des pays du Sud sont situées sous les tropiques, où les pluies saisonnières sont non seulement liées à des épisodes très nuageux, mais aussi à de fortes précipitations constituant un risque accru d’accidents dans les mines. «Sur les deux douzaines d’événements recensés depuis 2015, je n’ai pu en identifier que quatre, outre celui de la mine de Catoca, pour lesquels des données satellites sans nuages sont disponibles et que nous avons pu reconstruire grâce à notre méthode», constate Désirée Ruppen. Mais il se passe énormément de choses dans le domaine de la télédétection, la mission Sentinel-2 se poursuivra à long terme avec sa fréquence d’enregistrement élevée et de nouveaux satellites capables de représenter les surfaces d’eau à l’aide de radars sont en train d’être développés. Les possibilités d’application de la méthode Ruppen restent donc valables pour les futurs accidents miniers et peuvent être élargies par de nouvelles technologies.