Toute une interface cerveau-machine sur une puce
Les interfaces cerveau-machine (ICM) sont apparues comme une solution prometteuse pour rétablir la communication et le contrôle chez les personnes souffrant de graves déficiences motrices. Traditionnellement, ces systèmes sont encombrants, gourmands en énergie et limités dans leurs applications pratiques. Des chercheurs de l'EPFL ont développé la première interface cerveau-machine miniaturisée (ou miniature brain-machine interface en anglais), nommé MiBMI, de haute performance, offrant une solution extrêmement petite, à faible consommation, très précise et polyvalente. Publiée dans la dernière édition de l'IEEE Journal of Solid-State Circuits et présentée à l'International Solid-State Circuits Conference, la MiBMI améliore non seulement l'efficacité et l'évolutivité des ICMs, mais ouvre également la voie à des dispositifs pratiques et entièrement implantables. Cette technologie pourrait améliorer considérablement la qualité de vie des patients atteints de maladies telles que la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et les lésions de la moelle épinière.
La petite taille et sa faible consommation en énergie du MiBMI sont des caractéristiques clés, qui rendent le système adapté aux applications implantables. Son caractère peu invasif garantit la sécurité et la praticité de son utilisation en milieu clinique et dans la vie réelle. Il s'agit également d'un système entièrement intégré, ce qui signifie que l'enregistrement et le traitement sont effectués sur deux puces extrêmement petites d'une surface totale de 8 mm2. Il s'agit du dernier né d'une nouvelle classe de dispositifs ICM à faible consommation développés par le Laboratoire de neurotechnologies intégrées (INL) de Mahsa Shoaran dans les instituts IEM et Neuro X de l'EPFL.
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"Le MiBMI nous permet de convertir une activité neuronale complexe en texte lisible avec une grande précision et une faible consommation d'énergie. Cette avancée nous rapproche de solutions pratiques et implantables susceptibles d'améliorer considérablement les capacités de communication des personnes souffrant de graves déficiences motrices", explique M. Shoaran.
La conversion des activités du cerveau en texte lisible implique le décodage des signaux neuronaux générés lorsqu'une personne imagine écrire des lettres ou des mots. Dans ce processus, des électrodes implantées dans le cerveau enregistrent l'activité neuronale associée aux actions motrices de l'écriture. La puce MiBMI traite ensuite ces signaux en temps réel, traduisant les mouvements de la main voulus par le cerveau en texte numérique correspondant. Cette technologie permet aux personnes, en particulier celles atteintes du syndrome d’enfermement et d'autres handicaps moteurs graves, de communiquer en pensant simplement à écrire, l'interface convertissant leurs pensées en texte lisible sur un écran.
"Bien que la puce n'ait pas encore été intégrée dans une ICM fonctionnelle, elle a traité des données provenant d'enregistrements en direct antérieurs, tels que ceux du laboratoire Shenoy à Stanford, convertissant l'activité d'écriture manuscrite en texte avec une précision impressionnante de 91 %", explique Mohammed Ali Shaeri, auteur principal de l'étude. La puce peut actuellement décoder jusqu'à 31 caractères différents, une performance inégalée par les autres systèmes intégrés. "Nous sommes convaincus de pouvoir décoder jusqu'à 100 caractères, mais nous ne disposons pas encore d'un ensemble de données d'écriture manuscrite comportant davantage de caractères", ajoute M. Shaeri.
Les ICM actuelles enregistrent les données provenant d'électrodes implantées dans le cerveau et envoient ensuite ces signaux à un ordinateur séparé qui se charge du décodage. Les puces MiBMI enregistrent les données mais traitent également les informations en temps réel, intégrant un système d'enregistrement neuronal à 192 canaux et un décodeur neuronal à 512 canaux. Cette percée neurotechnologique est un exploit de miniaturisation extrême qui combine l'expertise en matière de circuits intégrés, d'ingénierie neuronale et d'intelligence artificielle. Cette innovation est particulièrement intéressante dans l'ère émergente des startups neurotechnologiques dans le domaine de l’ICM, où l'intégration et la miniaturisation sont des éléments clés. Le MiBMI de l'EPFL offre des perspectives prometteuses et un potentiel pour l'avenir de ce domaine.
Pour pouvoir traiter la quantité massive d'informations captées par les électrodes de l'ICM miniaturisée, les chercheurs ont dû adopter une approche complètement différente de l'analyse des données. Ils ont découvert que l'activité cérébrale pour chaque lettre, lorsque le patient imagine l'écrire à la main, contient des marqueurs très spécifiques, que les chercheurs ont appelés codes neuronaux distinctifs (CND). Au lieu de traiter des milliers d'octets de données pour chaque lettre, la micropuce ne doit traiter que les CND, qui représentent une centaine d'octets. Le système est donc rapide, précis et peu gourmand en énergie. Cette avancée permet également d'accélérer les temps de l’apprentissage, rendant l'utilisation de l'IMC plus facile et plus accessible.
Les collaborations avec d'autres équipes des instituts Neuro-X et IEM de l'EPFL, telles que les laboratoires de Grégoire Courtine, Silvestro Micera, Stéphanie Lacour et David Atienza, promettent de créer la prochaine génération de systèmes d'ICM intégrées. Shoaran, Shaeri et leur équipe explorent diverses applications du système MiBMI au-delà de la reconnaissance de l'écriture manuscrite. "Nous collaborons avec d'autres groupes de recherche pour tester le système dans différents contextes, tels que le décodage de la parole et le contrôle des mouvements. Notre objectif est de mettre au point une ICM polyvalente qui puisse être adapté à divers troubles neurologiques, afin d'offrir un plus large éventail de solutions aux patients", explique M. Shoaran.