Mieux comprendre l'eau
Certaines molécules existent sous deux formes structurellement identiques, mais en miroir l’une par rapport à l’autre, exactement comme notre main droite et notre main gauche. Ces molécules sont dites chirales et les deux formes sont appelées énantiomères. La chiralité est particulièrement importante dans le cas des molécules biologiques, car les énantiomères peuvent avoir des effets différents lors des fonctions biologiques. Par conséquent, en biochimie, en toxicologie et dans la recherche de nouveaux médicaments, il est essentiel de séparer ces molécules de sorte que, par exemple, seule la variante souhaitée soit intégrée dans un médicament. Un groupe de chercheurs du PSI, de l’EPFL et de l’Université de Genève vient de développer une nouvelle méthode qui permet de mieux différencier les énantiomères les uns des autres, et donc éventuellement de les séparer: le dichroïsme hélicoïdal dans le domaine des rayons X.
La méthode établie à ce jour pour distinguer les énantiomères est appelée le dichroïsme circulaire, abrégé DC. Elle consiste à faire passer à travers l’échantillon une lumière dotée d’une propriété particulière, la polarisation circulaire. Les énantiomères absorbent cette lumière de manière différente. Le DC est largement répandu en chimie analytique, en recherche biochimique, ainsi que dans l’industrie pharmaceutique et agroalimentaire. Cependant, ses signaux sont intrinsèquement très faibles: l’absorption de lumière polarisée circulairement par les deux énantiomères ne diffère que d’à peine 0,1%. Il existe différentes stratégies d’amplification des signaux DC, mais elles ne s’appliquent qu’à des échantillons en phase gazeuse. Or l’essentiel de la chimie et de la biochimie a lieu en solutions liquides, en particulier en milieu aqueux.
La nouvelle méthode, en revanche, utilise ce qu’on appelle le dichroïsme hélicoïdal, abrégé DH. L’effet à la base de ce phénomène est dû non à la polarisation de la lumière, mais à sa forme: le front d’onde est en hélice.
A la Source de Lumière Suisse SLS au PSI, les chercheurs ont réussi pour la première fois à montrer qu’il est également possible de différencier des énantiomères avec des rayons X hélicoïdaux. À la ligne de faisceau cSAXS de la SLS, ils l’ont démontré sur un échantillon du complexe métallique chiral fer-tris-bipyridine en poudre, synthétisé par les chercheurs de l’Université de Genève. Le signal ainsi obtenu a une amplitude de plusieurs ordres de grandeur supérieure à celle du DC. Le DH peut être aussi utilisé en phase liquide et remplit ainsi une des conditions pour des applications en analyse chimique.
Le point central de l’expérience a consisté à générer des rayons X ayant exactement les bonnes propriétés. Les chercheurs y sont parvenus à l’aide de lentilles de Fresnel spirales, un type particulier de lentilles de diffraction grâce auxquelles, après le passage des rayons X, ceux-ci émergent avec le front d’onde hélicoïdal requise avant d’atteindre l’échantillon.
«Avec les zones de Fresnel spirales, nous contrôlons de manière très élégante les fronts d’ondes des rayons X, les dotant ainsi d’un moment angulaire orbital. Les rayons créés de la sorte sont aussi appelés tourbillons optiques», explique Benedikt Rösner, chercheur au PSI, qui a conçu et fabriqué les lentilles de Fresnel spirales utilisées dans cette expérience.
«Le dichroïsme hélicoïdal fournit un type tout à fait nouveau d’interaction lumière-matière. Nous pouvons parfaitement l’exploiter afin de distinguer les énantiomères», complète Jérémy Rouxel, chercheur à l’EPFL et premier auteur de l’étude.
L’étude a été rendue possible grâce à un financement du Conseil européen de la recherche avec un ERC Advanced Grant DYNAMOX et du Fonds national suisse avec le Pôle de recherche national NCCR:MUST et de l’Office allemand d’échanges universitaires DAAD.