ETH Zurich

Un peu d'esprit pionnier ne nous ferait pas de mal

Gabriela Hug, professeure de transfert d’énergie électrique et  présidente-directrice générale de l’Energy Science Center de l’ETH Zurich, est convaincue que la transition vers une énergie propre peut réussir. Mais pour y parvenir, un peu d’esprit pionnier et une gestion intelligente des réseaux électriques sont nécessaires.
Gabriela Hug est convaincue que la transformation vers l'énergie propre peut réussir. (Photo : Kellenberger Photography)

Récemment, le quotidien allemand Die Welt a parlé de la «première sècheresse énergétique». Une telle chose peut-elle se produire en Suisse?

En Suisse aussi, il y a des jours sans vent ni soleil. Mais ici, l’approvisionnement en énergie électrique se compose à environ 60% d’énergie hydraulique, permettant de compenser la baisse de production d’autres sources d’énergie. En Allemagne, on a décidé d’arrêter les centrales nucléaires, alors que le pays n’était pas prêt à franchir ce pas. En Suisse, nous nous sommes également fixé comme objectif de sortir du nucléaire, mais sans contrainte. 

Remettre en service des centrales nuisibles au climat ne semble pas être la solution.

Absolument. Mais en Suisse, nous n’avons pas de centrales à charbon, qui représentent toujours une part importante du mix électrique en Allemagne. Bien sûr, nous devons aussi pouvoir compenser les variations saisonnières, car le photovoltaïque du Plateau fournit environ 75% de l'énergie produite par année en été et 25% en hiver. 

Comment fonctionne cette compensation?

Il existe deux composantes principales. Les lacs de retenue de nos centrales hydroélectriques sont de grands réservoirs d’énergie et offrent une flexibilité saisonnière dans la production d’électricité. De plus, notre raccordement au réseau électrique international nous permet d’importer de l’électricité en hiver et d’en exporter en été. Cela s’est fait historiquement, car d’autres pays ont un surplus d’énergie électrique en hiver. Comme nos pays voisins misent davantage sur la production hivernale, par exemple de parcs éoliens qui profitent de vents plus forts en hiver, il y aura toujours des synergies.

Qu’en est-il des fluctuations à plus court terme?

Il y en a toujours du côté de la production et de la consommation. Nous les compensons principalement avec l’énergie hydraulique, car il est relativement facile d'en modifier la production. Les centrales nucléaires, en revanche, fournissent ce que l’on appelle de l’«énergie en ruban». On évite de les faire fonctionner de manière fluctuante pour des raisons de rentabilité: un taux d’utilisation élevé signifie des coûts plus bas par kilowattheure.

«On planifie donc dès aujourd’hui la production d’électricité de demain.»      Gabriela Hug, professeure de transfert d’énergie électrique à l’ETH Zurich

Comment reconnaître les besoins actuels en électricité?

L’offre et la demande sont équilibrées à l’avance sur la base des prévisions de la demande sur le marché de l’électricité. On planifie donc dès aujourd’hui la production d’électricité de demain. Au cours de la journée, les prévisions et plannings des centrales sont à nouveau adaptés via le marché de l’électricité. Mais il faut encore un réajustement en temps réel, car les prévisions sont toujours erronées. Un déséquilibre entre la consommation et la production entraîne une modification de la fréquence, en raison des conditions physiques. Cette modification peut être mesurée partout dans le réseau et utilisée comme signal pour adapter la production à court terme. 

Votre travail de recherche comprend également des approches non centralisées.

Au niveau de la très haute tension, il n’y a effectivement qu’un seul acteur responsable de l’état du réseau de transport, à savoir  swissgrid. Aux niveaux des basses tensions, il y a plusieurs opérateurs, mais là aussi, le réseau est principalement géré de manière central isée. A l’avenir, le réseau devra être régulé de manière plus dynamique en raison de la dispersion des ressources. Cela implique également la gestion du côté des consommateurs. Si l’on pouvait intégrer de nombreux appareils de grande taille dans la gestion du réseau électrique, on disposerait d’une nouvelle marge de manœuvre: une voiture électrique n’a pas toujours besoin d’être rechargée au moment précis où elle est branchée. Idéalement, ces signaux de commande seraient déterminés de manière décentralisée. 

Les gestionnaires de réseau peuvent-ils contrôler le moment où le courant circule?

Oui et non. Il serait possible de céder partiellement le contrôle de certains consommateurs. En contrepartie, ils recevraient des avantages, par exemple des coûts énergétiques plus bas. Des prestataires tiers testent déjà cette solution. Mais c’est délicat en termes de sécurité des données et de respect de la vie privée: l’utilisation optimale de cette flexibilité nécessite l’échange de données.

Que serait l’alternative?

Réguler la consommation avec des tarifs d’électricité échelonnés. Les prix refléteraient la situation actuelle du réseau et les chargeurs automatisés réagiraient de manière dynamique, sans recevoir de signaux de régulation directs ni partager d’informations.

Vaut-il mieux utiliser les appareils gourmands en électricité lorsque les tarifs sont bas?

C’est exact. Mais toujours en sachant que les clients du secteur électrique ont une autre motivation que les gestionnaires du réseau. Ces derniers ont pour objectif de minimiser le pic de consommation, afin d’éviter d’étendre leur système. Les clients veulent simplement minimiser leurs coûts. Il n’est pas facile de faire coïncider ces «fonc-tions cibles».

«Il s’avère qu’il est possible de se passer des énergies fossiles et des centrales nucléaires.»      Gabriela Hug, professeure de transfert d’énergie électrique à l’ETH Zurich

Vous êtes parvenue à la conclusion qu’un approvisionnement énergétique sans énergie fossile était techniquement réalisable.

Dans le modèle, nous avons calculé les ressources nécessaires à un réseau électrique suisse stable. Pour ce faire, nous examinons toujours différents scénarios et montrons quelles sont les alternatives possibles. Il s’avère qu’il est possible de se passer des énergies fossiles et des centrales nucléaires. Nous tenions à fournir une base factuelle au débat politique. Il va de soi que cela nécessite un fort développement des énergies renouvelables et que l’importation et l’exportation sont également importantes.

En tant qu’experte, qu’est-ce qui vous a poussée à prendre cette position?

Par le passé, je me suis surtout occupée de questions purement techniques. Après mon retour des Etats-Unis, une partie de mon travail s’est concentrée sur la modélisation de systèmes énergétiques, donc sur ce à quoi pourrait  ressembler le système énergétique électrique, par exemple en 2050, ce qui crée automatiquement une référence politique. C’était important pour moi de le montrer: un avenir énergétique propre pour la Suisse est possible de plusieurs façons.

«L’énergie éolienne et le photovoltaïque alpin sont en difficulté. Bien entendu, l’électricité solaire en montagne ne doit pas empiéter sur des paysages intacts.»      Gabriela Hug, professeure de transfert d’énergie électrique à l’ETH Zurich

Et où en sommes-nous aujourd’hui?

L’énergie éolienne et le photovoltaïque alpin sont en difficulté. Bien entendu, l’électricité solaire en montagne ne doit pas empiéter sur des paysages intacts. Il faut donc trouver un compromis entre la production d’énergie et la protection du paysage. Un peu d’esprit pionnier, comme au début du XXe siècle, ne nous ferait pas du mal.

Que pensez-vous de la «pénurie d’électricité»?

Le mot est mal choisi, car il implique une situation de pénurie. La politique énergétique suisse a été conçue de manière à ce que nous soyons reliés au réseau européen, et que nous exportions en été et importions en hiver. Il est judicieux d’exploiter les synergies avec nos pays voisins, afin de maintenir les coûts aussi bas que possible. L’importation en hiver n’est donc pas mauvaise en soi, elle a un sens économique.

Donc, pas de coupures de courant?

Dans les réseaux électriques complexes, des coupures de courant ou des black-out peuvent toujours se produire, malheureusement. De tels événements se sont produits en Europe ces dernières années. Mais cela relève plutôt de la stabilité des réseaux, car ce sont des systèmes extrêmement dynamiques. C’est un défi et cela ne sera certainement pas plus facile avec les énergies renouvelables, mais c’est aussi extrêmement passionnant.