«Nous vivons aujourd'hui dans les scénarios futuristes d'autrefois»
Le GIEC résume dans ses rapports l'état de la recherche sur le climat et le changement climatique, formule de nouvelles questions de recherche et coordonne les efforts de recherche sur le climat mondial. Le Bureau du GIEC dirige ce travail considérable. Il est élu par les gouvernements membres, donne des orientations au groupe sur les aspects scientifiques et techniques de ses travaux et le conseille sur les questions de gestion et de stratégie qui s'y rapportent. Trente-quatre scientifiques siègent au Bureau du GIEC, mais seuls huit d'entre elles et eux viennent d'Europe. Être membre du Bureau du GIEC est considéré comme un honneur particulier, mais cela demande aussi beaucoup de travail.
Sonia Seneviratne, vous êtes impliquée dans le GIEC depuis un certain temps, mais vous êtes désormais vice-présidente du groupe de travail I, «Les bases de la science physique». Qu'est-ce que cela change ?
J'ai participé en tant qu'autrice principale ou autrice principale coordinatrice à des rapports du GIEC, notamment le rapport spécial sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C et le dernier rapport d'évaluation pour le chapitre sur les extrêmes climatiques. Cependant, le Bureau du GIEC a avant tout une fonction stratégique. Nous formulons des recommandations pour la planification du cycle de rapports et sur les rapports qui seraient utiles au cours des sept prochaines années. Nous sélectionnons ensuite les autrices et auteurs appropriés et les supervisons. Les membres du Bureau du GIEC préparent également des résumés pour les décideurs et décideuses politiques. Cela nous donne l'occasion de jouer un rôle actif dans la recherche d'un consensus et dans la formulation de passages difficiles du texte.
Quel est l'ordre du jour ?
La prochaine réunion du Bureau du GIEC aura lieu à Genève en novembre - c'est pratique car cela signifie que je peux m'y rendre en train (rires). Dans un deuxième temps, au sein des groupes de travail, nous discutons des thèmes à aborder dans les prochains rapports. Nous présenterons ces propositions lors de la prochaine assemblée générale du GIEC en janvier.
Quelles seront les priorités ?
Nous nous trouvons actuellement dans une situation exceptionnelle : nous subissons de plein fouet les conséquences des gaz à effet de serre émis au cours des dernières décennies. Nous vivons aujourd'hui les mêmes scénarios que ceux que nous avions modélisés pour l'avenir. Nous sommes au cœur de cette crise. Une nouvelle tâche consiste à mieux surveiller la situation actuelle. L'accent est également mis sur ce que nous appelons les informations exploitables, c'est-à-dire sur la manière dont nous pouvons mieux soutenir les décisions politiques.
Le GIEC est-il trop lent à agir ?
Un cycle typique du GIEC dure environ sept à huit ans. Toutefois, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui organise les conférences annuelles des parties sur le climat, a établi un processus selon lequel un bilan mondial de la crise climatique doit être réalisé tous les cinq ans. Cette évaluation doit être réalisée pour la première fois cette année, puis à nouveau en 2028. Je pense donc qu'il serait bon que des bilans plus courts sur l'évolution de l'état du climat et des émissions de gaz à effet de serre soient produits plus rapidement. Nous ne pouvons pas attendre 2030 pour le prochain rapport de synthèse du GIEC.
Où souhaitez-vous mettre l'accent personnellement ?
Les interfaces entre les trois groupes de travail sont très importantes pour moi. Pour faire simple, le groupe de travail I se concentre sur les fondements du changement climatique, le groupe de travail II sur les impacts climatiques et l'adaptation, et le groupe de travail III sur l'atténuation du changement climatique. Cependant, certains aspects ne sont pas suffisamment liés entre eux dans les évaluations.
Pouvez-vous donner un exemple ?
L'idée de planter des forêts pour éliminer le CO2 de l'atmosphère est souvent discutée. Ce qui n'est pas suffisamment pris en compte, cependant, c'est le fait que certaines de ces forêts plantées ne survivraient pas si le climat régional devenait plus sec et plus touché par les incendies en raison du changement climatique induit par l'être humain.
En outre, de plus en plus de preuves scientifiques indiquent que l'économie ne peut pas continuer comme elle l'a fait sans une réduction drastique des émissions de CO2. Si le monde se réchauffait de quatre degrés, la société telle que nous la connaissons aujourd'hui ne pourrait pas continuer.
Vous renoncez à votre poste de vice-présidente associée pour le développement durable à l'ETH Zurich. Pourquoi ?
Ce serait tout simplement trop demander que de faire les deux en même temps. Mon nouveau rôle au sein du Groupe d'experts et expertes intergouvernemental sur l'évolution du climat va me prendre beaucoup de temps. Parallèlement à mon poste de professeure à l'ETH Zurich, il exigera toute mon attention. Il y a également beaucoup à faire dans le domaine de la durabilité à l'ETH Zurich.
Qu'entendez-vous par là ?
L'ETH Zurich doit et veut atteindre ses objectifs de zéro émission nette d'ici à 2030. Mais cela soulève des questions importantes. Comment réduire réellement les émissions ? Pour atteindre réellement le zéro net, nous devrions réduire nos émissions actuelles de plus de 50% d'ici à 2030, et les compensations pour les émissions restantes ne pourraient se faire qu'avec des émissions négatives. Ces deux étapes nécessitent des investissements. Compte tenu des restrictions budgétaires actuelles, la mise en œuvre de cet objectif est particulièrement difficile. Lors de l'adoption de la Loi suisse sur le climat et l'innovation en juin, nous espérions un soutien financier plus important de la part du Parlement, en particulier dans le domaine de la décarbonisation. Selon moi, l'ETH Zurich, comme d'autres institutions fédérales, a un rôle exemplaire à jouer à cet égard et a besoin de ressources appropriées. Je suis convaincue que mon successeur ou ma successeure accordera beaucoup d'attention à ces questions.
N'est-il pas frustrant de s'engager en faveur de la protection du climat et de constater ensuite la lenteur des changements ? Avez-vous des stratégies pour vous aider à tenir le coup ?
Je pense qu'il est très utile de s'engager activement sur le sujet et de sentir que l'on fait quelque chose d'utile et que l'on apporte une contribution. Personne ne peut résoudre seul ou seule la crise climatique. Cependant, chacune et chacun d'entre nous peut apporter sa contribution.
Le dernier rapport sur le climat contenait beaucoup de nouvelles alarmantes, mais je pense que les nouvelles positives ont été négligées. On a trop parlé de l'objectif zéro net, plutôt que de ce que nous pouvons réaliser d'ici à 2030. Par exemple, de nombreuses solutions à la crise climatique sont à long terme peu coûteuses, voire moins coûteuses que l'utilisation de combustibles fossiles, moyennant des investissements adéquats dans les infrastructures. Ce qui m'aide, c'est de me concentrer sur les aspects positifs et sur ce qui est faisable.