Financement des universités: un débat national s’impose
Au cours des vingt dernières années, l’ETH Zurich a plus que doublé son nombre d’étudiants. A l’EPFL, ce nombre a même été multiplié par trois durant la même période. C’est une excellente nouvelle. Les spécialistes formés dans les écoles polytechniques fédérales sont très demandés. Le marché du travail les accueille à bras ouverts.
La base de ce succès est le soutien et le financement généreux du Domaine des EPF par la Confédération. Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude au monde politique pour cela. Cependant, les moyens alloués ne suivent pas la croissance depuis environ deux décennies. En raison de la situation tendue des finances fédérales, le Parlement, le Conseil fédéral et le groupe d’experts qu’il a mis en place et qui a produit le rapport Gaillard, envisagent d'à nouveau serrer la ceinture. Or il est déjà acté que les deux écoles polytechniques et les établissements de recherche Empa, PSI, EAWAG et WSL vont disposer d’environ un milliard de francs de moins que les besoins financiers prévus pour les quatre prochaines années.
Dans ce contexte, il y a du sens à ce que les étudiants apportent eux aussi leur contribution. Particulièrement pour les étudiants étrangers, le rapport qualité-prix à l’ETH Zurich et à l’EPFL est excellent.
L’augmentation de leurs frais d’inscription, décidée par le Conseil des EPF et le Parlement, est donc justifiable. Mais nous nous engageons ainsi sur une voie délicate: si l’on exige maintenant au moins le triple des taxes actuelles, pourquoi ne pas en exiger cinq ou dix fois plus dans quelques années?
Les étudiantes et étudiants, des facteurs de succès plus que des «vaches à lait»
N’oublions pas que les étudiants étrangers apportent énormément à la Suisse. Selon une étude d’Avenir Suisse datant de 2023, la moitié des fondateurs de start-up, c’est-à-dire des entrepreneurs ayant une idée d’entreprise particulièrement innovante, possèdent un passeport étranger. A cela s’ajoute le fait que les étudiants étrangers subissent un coût de la vie très élevé dans notre pays. Ceux qui viennent d’Allemagne, par exemple, ont des dépenses annuelles deux à trois fois plus élevées que chez eux. Les étudiants autochtones sont eux aussi pris dans le tourbillon actuel. Le rapport d’experts Gaillard propose de doubler leurs frais de scolarité.
Considérer les étudiants comme des «vaches à lait» plutôt que comme des facteurs de succès pour notre pays n’est pas judicieux. Aujourd’hui déjà, l’égalité d’accès aux hautes écoles n’est pas garantie à de nombreux talents en Suisse. Selon une étude de l’Université de Berne, les enfants issus de familles sans bagage académique ont deux fois moins de chances d’obtenir un diplôme universitaire que les enfants de parents titulaires d’un diplôme universitaire. Nous, auteurs de cet article, faisons d’ailleurs partie du premier groupe et sommes reconnaissants d’avoir pu profiter, très jeunes, des faibles obstacles financiers en Suisse pour suivre une excellente formation universitaire.
Le modèle contestable des Anglo-Saxons
Les universités anglo-saxonnes sont considérées comme la référence mondiale; il n’est toutefois pas nécessaire de les imiter en tout. Stanford, le MIT et Cambridge demandent chaque année aux étudiants internationaux l’équivalent de dizaines de milliers de francs. En même temps, elles dépendent de ces fonds, le soutien de l’Etat étant faible. Quarante pour cent des universités britanniques sont dans le rouge cette année. Les universités canadiennes sont actuellement confrontées à de sérieux problèmes financiers, car les admissions d’étudiants étrangers sont limitées.
La Suisse ne doit pas en arriver là. Les jeunes hautement qualifiés, d’où qu’ils viennent, ont été et sont un pilier central de la force d’innovation et, en fin de compte, de la prospérité de la Suisse. De même que la dotation stable et adéquate de l’enseignement supérieur par les pouvoirs publics. Un système d’enseignement supérieur dans lequel ces conditions ne sont plus valables est, à notre avis, contraire aux valeurs de la Suisse. Ce n’est pas bon marché – mais cela en vaut le prix. Le grand Abraham Lincoln l’a résumé en ces termes: «Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance.»
En tant que société, nous devons donc discuter fondamentalement des tâches que les hautes écoles et les instituts de recherche de la Confédération doivent remplir pour servir au mieux la Suisse. Sur cette base, il faut déterminer les conditions-cadres, y compris financières, dont les hautes écoles ont besoin pour accomplir leur mission. Engageons ce dialogue dès maintenant!