Le chercheur du WSL qui surveille le commerce des espèces menacées
1: Comment fonctionne la CITES?
La CITES concerne exclusivement le commerce international des espèces menacées ou de parties de celles-ci (animaux et plantes). C'est à la fois un ensemble de régulations et un système de contrôle. Une distinction doit être faite entre le commerce légal et illégal. Dans le cas du commerce légal, les États exportateurs doivent prouver qu'ils ne mettent pas en danger les populations d'espèces inscrites dans l'une des deux annexes CITES (voir encadré ci-dessous). CITES est représentée dans chaque pays par une autorité d'application qui contrôle le commerce légal et peut en cas de doute confier à des entreprises et organisations spécialisées la surveillance de populations de plantes ou d'animaux. Les contrôles ont lieu en pleine nature, là où des espèces menacées d'extinction ou des parties d'entre elles (par exemple l'ivoire) sont collectées, ou dans le cas d'espèces animales ou végétales d'élevage, dans les fermes et plantations concernées.
Les activités illégales concernent des espèces très rares, où la disparition de chaque individu menace l'existence de la population sauvage toute entière. Un exemple criant est celui de toutes les espèces de rhinocéros, car leurs cornes sont utilisées dans la médecine chinoise. Si les pays ne maîtrisent pas cette pratique, il n'y aura plus de rhinocéros sauvages dans 10 ou 15 ans.
2: Quel rôle joue la Suisse au sein de la CITES?
La Suisse a un statut quelque peu spécial auprès de la CITES : en tant qu'État dépositaire de la convention, elle gère tous les certificats et demandes d'adhésion de tous les pays. En outre, le secrétariat de la CITES a son siège à Genève. Enfin, aucun autre pays au monde ne délivre autant de certificats CITES que la Suisse. L'industrie horlogère et du luxe est l'un des plus grands transformateurs de produits légaux inscrits à la CITES, principalement des peaux de reptiles pour les bracelets de montre, les ceintures, les sacs ou les chaussures. La Suisse a été le premier pays à introduire la délivrance informatisée des permis. Les entreprises certifiées et régulièrement contrôlées peuvent les remplir elles-mêmes. Étant donné que chaque bracelet ou article en cuir a besoin de son propre permis, cela représente des centaines de milliers de formulaires. La délivrance informatisée des permis fonctionne bien, elle est beaucoup plus actualisée et transparente que les formulaires papier utilisés dans le passé, car toute irrégularité est immédiatement repérée.
3: Quel rôle jouez-vous dans ce contexte ?
Avec huit autres personnes, je fais partie du Comité consultatif scientifique pour la Suisse. Il s'agit d'une commission d'experts extra-parlementaire élue par le Conseil fédéral. Par exemple, nous suggérons aux autorités comment améliorer la protection des espèces. Ils nous consultent aussi régulièrement, par exemple, lorsqu'une espèce inscrite à l'annexe I et dont le commerce est interdit doit être importée en vertu d'un permis d'exemption. Cependant, nous ne sommes autorisés qu'à donner des conseils ; les décisions incombent au Secrétariat de la CITES, qui fait partie de l'Office fédéral de la sécurité alimentaire et vétérinaire (OSAV).
4: Quelles espèces font l'objet d'un commerce ?
L'annexe I contient de nombreuses espèces prisées par les chasseurs de trophées, notamment les léopards et les rhinocéros. Certains pays délivrent des permis de tir dans les populations surveillées d'espèces par ailleurs très menacées. Par exemple, la Namibie autorise les chasseurs de trophées à tirer cinq rhinocéros noirs par an. Ces permis sont parfois vendus aux enchères et peuvent coûter plusieurs centaines de milliers de dollar par animal. Une bonne partie de l'argent sera utilisée pour la conservation de la nature et des espèces, et le rhinocéros – ou une partie de celui-ci – pourrait terminer accroché dans un salon en Suisse. Dans le meilleur des cas, la chasse aux trophées profite à la population locale et contribue à assurer le maintien des populations d'anmaux sauvages. Un tel exemple est le markhor, une espèce de chèvre du Pakistan, dont le mâle arbore des cornes spiralées. Un permis de tir coûte également plus de 100 000 dollars, et une grande partie de cette somme est investie dans les infrastructures destinées à la population locale, par exemple pour construire des écoles ou des hôpitaux.
L'Annexe II comporte des espèces potentiellement menacées ou des espèces pour lesquelles la demande est très forte. Par exemple, avec un permis CITES, il est possible de collecter des œufs de tortues sauvages et de les faire éclore dans des conditions contrôlées, ce qui est très demandé dans les milieux des passionnés. L'idée de cette approche est que beaucoup plus de jeunes animaux mourraient dans la nature que dans des conditions contrôlées. Après leur éclosion, une bonne partie des jeunes tortues peuvent être vendues, les autres sont relâchées. Dans ce domaine, j'ai pu contribuer à améliorer les contrôles en demandant où se trouvaient les populations adultes. Il s'est avéré que les espèces en question ne sont même pas présentes à l'état sauvage dans certains pays. Ces pays ont été interdits de commerce et la CITES accorde désormais davantage d'attention à cette pratique.
5: Qu'a apporté la CITES ?
Les espèces ne disparaissent plus simplement sans qu'on s'en aperçoive. La population des pays producteurs est également de plus en plus impliquée. Elle bénéficie de nouvelles sources de revenus, par exemple, lorsque les agriculteurs apprennent qu'il existe une demande pour certaines tortues et qu'ils peuvent les élever dans des étangs. L'objectif de la CITES n'est pas d'interdire le commerce, mais de veiller à ce que les animaux et les plantes puissent être utilisés de manière durable afin que les populations sauvages ne soient pas mises en danger. Un exemple en est le prunier d'Afrique (Prunus africana), dont l'écorce sert à fabriquer un remède efficace contre la prostate. Si on n'écorce qu'une partie de l'arbre, celui-ci peut survivre et être à nouveau exploité après quelques années. Mais les prix élevés incitent à écorcer ou même à couper complètement les arbres. La CITES contribue à permettre le commerce durable de l'écorce et à empêcher l'importation de produits illégaux.
C'est également grâce à la CITES que les autorités de police nationales et Interpol prennent aujourd'hui très au sérieux les violations de la protection des espèces. Ce n'était pas le cas partout il y a 10 ans. On suppose que le commerce illégal d'espèces menacées d'extinction rapporte autant que celui de la drogue et des armes, soit 8 à 10 milliards de dollars en 2011. On a même saisi des avions de transport qui convoyaient des armes vers des pays du Sud et revenaient chargés d'espèces illégales. Depuis quelques années, des réseaux internationaux d'autorités policières des pays producteurs et consommateurs coordonnent leurs efforts pour lutter contre le commerce illégal des espèces – avec beaucoup de succès.
Il existe également de nouvelles solutions aux problèmes juridiques : Google a fait don d'un million de dollars pour créer à partir de spécimens certifiés provenant de musées une base de données de référence ADN des espèces inscrites à la CITES et d'autres espèces similaires. L'espèce d'une marchandise confisquée peut désormamis être identifiée génétiquement en quelques heures, et les preuves sont utilisables au tribunal. Auparavant, les auteurs devaient souvent être libérés faute de preuves. Et ça fonctionne : le commerce des espèces protégées a diminué.