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«Du bouc émissaire à la bouée de sauvetage»

Quel est le rôle du secteur de la construction dans l’aggravation de la crise climatique? Un rôle majeur, selon Peter Richner. Entretien avec le directeur adjoint de l’Empa et coresponsable du pôle de recherche Construction durable.
Peter Richner, directeur adjoint de l’Empa et coresponsable du pôle de recherche Construction durable. (Photo: Kellenberger Photographie)

Monsieur Richner, vous souhaitez utiliser l’atmosphère comme source de CO2, vous appelez cela Mining the atmosphere. En quoi cela consisterait-il?

Tout d’abord, nous devons prendre conscience d’une chose: nous faisons tout pour atteindre notre objectif de zéro émission nette d’ici à 2050. Aussi difficile que cela puisse déjà être, ce n’est qu’une étape intermédiaire! Après 2050, nos émissions doivent devenir négatives, et ce massivement, sinon cela n’aura servi à rien.

Négatives? Peut-on faire plus que de ne pas émettre de CO2?

Oui, tout à fait. En récupérant dans l’atmosphère une bonne partie du CO2 émis jusque-là.

En quoi votre approche diffère-t-elle du concept très controversé de carbon capture and storage (CCS)?

Le CCS pourra et devra très probablement apporter une contribution importante pour atteindre notre objectif. Mais son désavantage, selon moi, c’est que la valeur ajoutée de cette méthode est nulle et que le procédé consistant à capturer le CO2 dans l’atmosphère et à le stocker dans le sol ne génère que des coûts. Si la première étape de notre proposition est similaire, nous souhaitons ensuite utiliser le carbone obtenu. On pourrait appeler ce concept le CCU, carbon capture and use.

En quoi le carbone pourrait-il être utile?

C’est la question la plus importante: qui aurait besoin d’énormes quantités de carbone? Non pas comme combustible, mais comme matériau. Le secteur de la construction, bien sûr. Il ne s’agit pas de quelques milliers de tonnes, mais de centaines de millions.

Et cela servirait à la construction de bâtiments en carbone?

Pas tout à fait, mais ça va dans ce sens. Nous avons mis au point un béton léger auquel sont ajoutés des granulés de carbone. Ce n’est pas un béton haute performance, mais il suffit pour la plupart des applications. Nous avons ainsi un puits de carbone où le CO2 disparaît durablement.

«Et j’émets ici une hypothèse, qui ne fait peut-être pas l’unanimité, mais dont je suis totalement convaincu: il arrivera un moment où l’énergie renouvelable sera disponible en abondance.»      Peter Richner

La production de ce béton n’émet-elle pas, elle aussi, du CO2?

Avec les matériaux dont nous disposons, nous atteignons déjà un bilan d’émissions nul. Mais nous pensons que nous parviendrons finalement à –100kg de CO2 /m3, voire moins. Cela signifie donc que plus l’on utilise de béton, mieux c’est pour le climat! Cette approche ouvre de nouvelles perspectives, surtout au vu de l’évolution du secteur de la construction à l’échelle mondiale. Pensez par exemple aux projets de construction et d’infrastructure en Chine ou à tous les pays qui n’ont encore quasiment aucune infrastructure.

Mais où et surtout avec quelle énergie ce carbone sera-t-il produit?

C’est le deuxième point essentiel: nous ne le faisons pas ici, mais là où se trouvent les plus grandes quantités d’énergie. Et j’émets ici une hypothèse, qui ne fait peut-être pas l’unanimité, mais dont je suis totalement convaincu: il arrivera un moment où l’énergie renouvelable sera disponible en abondance. Les pays producteurs de pétrole savent bien que le temps de l’argent fossile facilement gagné est bientôt révolu. Ils voudront cependant continuer de compter parmi les plus grands fournisseurs d’énergie. Ils investissent donc massivement dans le photovoltaïque.

C’est tout de même étrange: nous produirons du carbone avec de l’énergie solaire?

Pas directement. Avec l’électricité, nous produisons de l’hydrogène que nous transformons en méthane avec du CO2. Ce méthane, nous l’amenons ici sous forme de gaz liquide. Cela nous permet donc d’importer de l’énergie renouvelable en Suisse. Il y aura des besoins, surtout en hiver. Mais ce qui est décisif, c’est la conversion du méthane en carbone, par un procédé de pyrolyse. Celui-ci libère de nouveau de l’hydrogène et génère du charbon comme sous-produit, ce qui est pratique, car le charbon est le matériau contenant le plus de carbone.

Le béton est-il le seul réservoir adéquat?

Nous examinons aussi d’autres options. L’asphalte pourrait éventuellement convenir, mais aussi certains matériaux isolants. Il y a encore un potentiel de développement.

Il existe d’autres propositions pour faire du secteur de la construction un puits de CO2. Le climatologue allemand Hans Joachim Schellnhuber est partisan du bois. Le bois n’est-il pas plus efficace?

Là où les ressources en bois sont suffisantes, il est judicieux de l’utiliser dans la construction. Mais il est important que le bois ne soit pas brûlé à la fin de sa durée d’utilisation, sinon il produit à nouveau du CO2; nous devons supprimer celui-ci du cycle pour plusieurs siècles, pas seulement pour 50 ans.

Les maisons ne sont pas non plus éternelles. Que se passe-t-il lors de la démolition?

Ici également, il faudra penser différemment: nous avons besoin d’un design for disassembly, ou conception pour le démontage. Le carbone reste en circulation pendant quelques cycles et les éléments sont réutilisés pour de nouvelles constructions. A la fin, ils sont envoyés dans une décharge minérale, laquelle constitue un puits définitif.

Cela semble convaincant, mais le climat est aussi une question politique. Comment mettre cela en œuvre à grande échelle?

Cela ne peut se faire que progressivement. Au début, on peut aussi convertir de la matière organique en carbone par pyrolyse. Il est évident que les émissions de CO2 doivent avoir un prix. Celles et ceux qui émettent doivent payer. Et inversement: celles et ceux qui construisent récupèrent de l’argent! Il faut trouver les bonnes incitations. Je suis convaincu que nous avons besoin de solutions qui peuvent être soutenues par la majorité de la population

Vous parlez comme un expert en politique climatique. Considérez-vous aussi ce travail de recherche comme un engagement sociétal?

Absolument. Je suis conscient des défis, mais nous souhaitons montrer des voies praticables au lieu de crier que tout est perdu. Nous avons émis gratuitement pendant deux cents ans et notre dette est aujourd’hui énorme. Nous devons maintenant réparer les dégâts.